Une dette globale de plus en plus à risque

2019/06/06 | Par IREC

Texte intégral de la fiche technique no 27 de l’IRÉC, disponible en ligne : https://irec.quebec/publications/fiches-techniques/une-dette-globale-de-plus-en-plus-a-risque

Ce n’est pas seulement au Canada que les risques d’endettement élevé deviennent préoccupants. L'agence de notation Standard & Poor's (S&P) a récemment mis en garde contre la dégradation du risque de crédit, contre l’accroissement des problèmes de liquidité des titres de dette et de la diminution de la protection des investisseurs en raison de l’ampleur de la dette mondiale[1]. Selon certains analystes de la firme, elle serait même plus élevée et plus risquée aujourd’hui qu'avant la grande crise financière de 2008. Petit tour d’horizon de la dette globale.

 

Des constats inquiétants

Selon des données de la Banque des règlements internationaux (BRI), la dette globale (tous les pays, dette privée et publique, mais excluant les sociétés financières) aurait augmenté de presque 50 points de pourcentage depuis 2001, pour atteindre un sommet historique à 245% du PIB mondial au premier trimestre de 2018. Bien qu’elle ait diminué au 2e trimestre, on prévoit une remontée pour les trimestres à venir. Quant à la seule dette privée, elle a atteint un record à 159% du PIB mondial, légèrement plus élevée que lors de la crise de 2009. Comme le montre le graphique suivant, la dette globale serait passée de 60 billions $ au dernier trimestre de 2001 à 180 billions $ au premier trimestre de 2018, soit l’équivalent de 120 billions $ (1 billion = mille milliards) de nouvelles dettes qui devront être assumées par les générations futures, des générations qui, faut-il le rappeler, hériteront en plus d’écosystèmes dysfonctionnels si nous poursuivons à un même rythme de croissance insoutenable.

 

Dette globale : pays avancés VS pays émergents ; dette privée VS dette publique

Globalement, pour l’ensemble des pays, nous sommes passés d’une dette de 9 600 $ par habitant en 2001 à 24 000 $ en 2018 (hausse de 150%), alors que le PIB mondial par habitant n’aurait pas suivi tout à fait le même rythme, en progressant pendant la même période de 5 400 $ à 10 800 $ (hausse de 100%). Le graphique montre bien que si les pays avancés ont hérité de la plus grande part de la dette globale, la croissance de la dette des pays émergents (en particulier de la Chine) a été beaucoup plus forte. Exprimée en dollar, la croissance de la dette des pays émergents a été extrêmement robuste étant donné que la croissance des revenus de ces pays a été forte, beaucoup plus que dans les pays avancés. Par ailleurs, la dette des pays émergents (exprimée en % du PIB) a fortement progressé, passant de 110% en 2001 à 183% en 2018 (hausse de 73 points de %). Néanmoins, malgré cette forte hausse, étant partie à un niveau de moitié plus faible que celle des pays avancés en 2001, la part de la dette des pays émergents reste aujourd’hui malgré tout à un niveau inférieur à celle des pays avancés. Pour ces derniers, la dette est passée de 211% du PIB en 2001 à 266% au 2e trimestre de 2018, soit une hausse de 55 points de %.

En 2018, à peu près la moitié de la dette totale des pays émergents relève de la dette des entreprises non financières (97% du PIB), l’autre moitié étant issue presque à parts égales de l’endettement public (47% du PIB) et de l’endettement des ménages (39% du PIB). Dans les pays avancés, la dette totale découle principalement de la dette publique (104% du PIB), suivie de la dette des entreprises non financières (89% du PIB) puis de celle des ménages (73% du PIB). Pour ce groupe de pays, la situation était très différente en 2001, la dette étant alors à peu près également répartie entre ces trois catégories d’acteurs. Entre 2001 et la crise financière de 2008, ce sont les dettes privées qui ont crû le plus rapidement, en particulier celle des ménages. Puis, dans la foulée de la Grande Récession, ce sont les dettes publiques qui ont provoqué presque entièrement la détérioration des conditions financières globales des pays avancés. De toute évidence, la baisse des taux d'intérêt et le retour de la croissance de ces pays ne semblent pas avoir suffi à réduire significativement le ratio de la dette totale, rendant la situation globale actuelle pire que celle d’il y a dix ans.

 

Une situation fragilisée

Une publication de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) intitulée « External Shocks and Financial Stress post the Global Financial Crisis » souligne que le cas récent des déboires financiers de la Turquie ne serait malheureusement pas unique parmi les pays émergents[2]. Cette situation reflèterait au contraire des défauts et des déséquilibres structurels dans l’architecture financière internationale. Pour les analystes de l’institution, la capacité de ces déséquilibres à déstabiliser les conditions financières dans les pays émergents se concrétise dans un contexte particulièrement préoccupant, marqué entre autres par des changements inattendus dans la politique monétaire des économies avancées.

Dans un tel contexte, on peut estimer, pour conclure, que la mise en garde de Standard & Poor's sur les risques de la dette globale, que nous avons soulignés en introduction, serait d’abord et avant tout un geste de prudence. S&P veut probablement éviter de se placer dans une situation comme celle de novembre 2012 où elle a été condamnée par la justice australienne pour avoir effectué des notations trompeuses en notant AAA les titres structurés (CDO) qui furent à l'origine de la crise des subprimes. Mais lorsqu’on y pense, les grandes agences de notation n’agissent-elles pas avec le même aveuglement aujourd’hui en accordant les meilleures notes de crédit[3] à un pays, les États-Unis, dont le président conduit l’économie nationale, et par contagion celle des autres pays, vers une instabilité particulièrement dangereuse en raison du gouffre croissant des dettes publiques, reposant sur la spéculation et les dépenses improductives. En effet, en plus du gonflement démesuré des dépenses militaires réalisées depuis le début de son mandat (hausse de près de 200 milliards $), la réforme fiscale engagée par Donald Trump en 2018 devrait se traduire par une augmentation historique du déficit budgétaire, au plus grand profit des classes aisées et des entreprises, ainsi que par de sévères coupes dans les programmes sociaux à destination des populations les plus fragiles[4].