C'est le titre du dernier ouvrage, fort utile, de Pierre Dubuc (l'aut'journal), qui entreprend de déconstruire le mythe du retour du nationalisme ethnique au Québec, tel que le prétend Francis Boucher dans son récent ouvrage intitulé « La grande déception : dialogue avec les exclus de l'indépendance ». C'est d'ailleurs cette même thèse que défendait récemment Louis Balthazar dans un article publié dans Le Devoir sous le titre : « L'échec d'une nation québécoise ». Francis Boucher a servi à Québec solidaire de 2007 à 2010 (cela se sent) avant de militer au PQ et pour la convergence PQ-QS sur l'indépendance.
Ce mythe qu'on répand, c'est que la dérive identitaire et ethnique du nationalisme québécois serait récente, car le mouvement souverainiste de René Lévesque et de l'ancien PQ était plutôt un nationalisme décolonisateur, donc ouvert sur la question de l'immigration et de la diversité, mais depuis la fameuse déclaration de Parizeau le soir du deuxième référendum, le nous québécois serait redevenu le nous canadien-français de souche, colonisé, revanchard, hostile au multiculturalisme et peu attirant pour les néo-québécois. La dérive se serait amplifiée avec la crise des accommodements raisonnables, la défaite de André Boisclair et de son nationalisme civique, la Commission Bouchard-Taylor, la Charte des valeurs du gouvernement Marois et la loi 21 sur la laïcité.
La réponse de Pierre Dubuc tient en quelques mots :
« Il faut prendre conscience que le monde, le Canada et le Québec ont évolué énormément depuis les années 1960. Nous ne sommes plus dans un contexte mondial caractérisé par la présence de pays socialistes, de gouvernements sociaux-démocrates et de luttes de libération nationale. Le bloc soviétique n'existe plus, la social-démocratie est en déroute, l'extrême-droite est en pleine ascension et l'islam radical est souvent présenté comme la principale force d'opposition à l'impérialisme occidental.
Dans quel camp êtes-vous? Dans le camp de la lutte d'émancipation nationale et sociale du Québec...ou dans le camp de l'oppression et de l'exploitation, dans le camp du Canada post-national colonisateur et impérialiste? »
En d'autres mots, le récit historique des diversitaires ne tient pas la route : il est fabriqué de toutes pièces pour légitimer une idéologie diversitaire dans laquelle la nation et l'identité n'existent plus.
Dubuc, dont la force est l'histoire géopolitique, entreprend donc de déconstruire le mythe du retour au nationalisme identitaire en reconstruisant notre histoire, en disséquant les changements historiques et politiques RÉELS survenus depuis 1960, qui font que les défis ne sont plus les mêmes :
- l'ampleur qu'a prise l'immigration dans le contexte de la mondialisation,
- la progression rapide de la population mondiale,
- l'aggravation du sous-développement et de l'insécurité dans de nombreux pays où les jeunes veulent changer de pays,
- l'attirance grandissante des laissés-pour-compte de la mondialisation pour le populisme,
- la montée de l'islam radical et du terrorisme d'inspiration islamique,
- la politique multiculturaliste et chartiste du Canada de Trudeau et Ignatieff qui privilégie l'immigration,
- la décroissance du poids du Québec français dans le Canada et du français à Montréal, ou l'assimilation effective par l'immigration, tel que préconisée par le Rapport Durham, et qui s'aggrave depuis que les barrières de la religion et du système seigneurial ne servent plus de protection,
- la loi 101 qui a heurté de front l'idéologie des droits individuels,
- le peu d'efficacité du travail remarquable de Gérald Godin dans les faits,
- les projets de loi sur la laïcité d'inspiration républicaine.
- la reconnaissance des nations autochtones par le Québec et les bases d'une négociation de nation à nation avec la Convention de la Baie-James et la Paix des Braves.
Les chartistes diversitaires occultent tous ces faits, qui placent incontestablement le Québec dans une toute autre position de vulnérabilité et devant de tout autres défis. Il existe incontestablement sur le territoire québécois, une communauté, un peuple, une nation québécoise de langue et de culture française distinctive, historiquement constituée, puisant ses origines en Nouvelle-France et ayant assimilé au cours des siècles des gens de différentes origines. Nous ne sommes pas tous des immigrants individuels et une nation ne se résume pas à la somme des individus habitant un territoire donné. Et cette nation, dans son ensemble, n'a pas succombé à une obsession identitaire ethnique et fermée aux Néo-Québécois, tout comme elle n'adhère pas collectivement à ce nationalisme civique et multiculturaliste vide qu'on voudrait lui faire avaler: elle ne fait que s'adapter aux nouveaux défis que lui pose la dynamique des populations, de la mondialisation, du multiculturalisme canadien, des fondamentalistes religieux et des diverses formes que prend aujourd'hui la diversité, sans sacrifier pour autant ce qui la définit.
Au cours de cette reconstitution historico-politique, Dubuc nous rappelle une multitude de faits importants qui sont totalement occultés dans le récit des diversitaires. Nous avons droit à un cours d'histoire monumental et très juste dans l'ensemble. Bien sûr, Dubuc fait parfois un peu de collage de ses nombreuses recherches et publications antérieures. L'ouvrage est un peu fourre-tout et manque parfois de souffle et de limpidité. J'ai aussi trouvé excessive sa critique de Mathieu Bock-Côté, dont les récents écrits et chroniques me semblent davantage marqués par l'opposition au multiculturalisme post-national et à la rectitude politique qu'à la défense de l'héritage chrétien et ethnique. Mais la richesse des informations et des raisonnements compense largement. Cet ouvrage sera pour beaucoup une révélation, sur le sujet et sur l'auteur.
À la lumière de cet éclairage historique, Dubuc termine sur l'espoir. Le Québec n'a jamais cessé de progresser vers sa libération et son émancipation, malgré les forces politiques historiques qui jouent en sa défaveur. Il le fait encore aujourd'hui. C'est faux de crier à l'échec. Tout est encore possible, à condition de croire en ce que nous sommes, en notre capacité d'intégrer la diversité moderne sans nous renier et sans nous exclure nous-mêmes. La grande déception, elle est du côté de ceux qui ont abdiqué, qui réécrivent notre histoire pour en faire une histoire de perdants, et du côté de ceux qui prêchent la reddition sans condition. Rien, dans notre histoire ancienne et récente ne nous y oblige.
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