Analyses environnementales : Quel avenir pour les bélugas?

2019/08/26 | Par Louise Morand

L’auteure est membre du Comité vigilance hydrocarbures Québec

Si on additionne les projets industriels et portuaires qui ont lieu présentement au Saguenay, dont celui du terminal de gaz naturel liquéfié Énergie Saguenay, c’est plus de 635 navires qui pourraient remonter le parc marin Saguenay-St-Laurent  en 2030, soit une hausse de 180 % par rapport au trafic  maritime actuel[1]. Les impacts cumulatifs de ce trafic intense dans l’habitat essentiel des bélugas, une espèce en péril particulièrement sensible au bruit, ne seront pas analysés. Comment est-ce possible?

En matière de consultations publiques et d’analyse environnementale, l’éthique de la CAQ rappelle les travers des libéraux. Ce sont les mêmes manœuvres déloyales qui déterminent les mandats donnés au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) : consultations et annonces faites en été pendant que la population est en vacances et donc plus susceptible de ne pas recevoir l’information ou de ne pas pouvoir participer aux consultations; morcellement des analyses environnementales de manière à ne pas tenir compte des impacts cumulatifs et globaux des projets; refus de tenir compte des gaz à effet de serre générés en amont et en aval des projets, baisse des exigences du gouvernement de manière à avantager les promoteurs (exemple : accepter des études d’impacts incomplètes), refus de suivre les recommandations du BAPE, refus d’exercer le pouvoir d’évaluation du Québec face au fédéral, et le reste.

La région du Saguenay est présentement le théâtre de toutes ces dérives. Prenons seulement le cas des projets de desserte gazière d’Énergir[2] et de l’usine métallurgique de Métaux BlackRock[3], deux projets qui visent la zone industrialo-portuaire de Saguenay. Les deux projets sont liés car Métaux BlackRock ne pourra s’installer au port de Saguenay que si le pipeline d’Énergir est construit et vice versa. Pourtant, les deux projets font l’objet d’évaluations séparées. Un premier BAPE sur Métaux BlackRock a eu lieu à l’été 2018, tandis que les audiences sur la desserte d’Énergir ont eu lieu cet été. Énergir peut déclarer que son gazoduc fera peu de GES puisque le BAPE n’a pas à tenir compte des 400 000 tonnes éqCO₂\an qu’émettra son client, ni tenir compte des GES (des millions de tonnes éqCO₂) produits en aval et en amont du gaz qui devrait transiter dans la conduite.

Dans la même veine, l’étude d’impact du promoteur de l’usine Métaux BlackRock, acceptée par le ministre de l’environnement M. Benoit Charrette, n’indique pas comment seront traités les 135 000 tonnes de déchets possiblement dangereux produits chaque année. S’ils devaient être expédiés par bateau en Chine, une possibilité évoquée, en plus des navires déjà prévus pour les métaux raffinés, le trafic maritime déjà important sur le Saguenay s’en trouvera encore alourdi. Mais les impacts cumulatifs, notamment sur la population des bélugas, ne seront pas analysés puisqu’ils ne font pas partie des données à étudier.

Toute cette distorsion dans le processus réglementaire d’évaluation des impacts environnementaux des projets industriels au Québec a de quoi nous préoccuper. L’entêtement des gouvernements successifs du Québec à refuser de tenir compte du consensus scientifique concernant les véritables impacts du gaz naturel (et à fortiori du gaz obtenu par fracturation que distribue Énergir) sur la crise climatique et environnementale[4],[5], ainsi que la poursuite d’un modèle de développement économique indifférent aux destructions qu’il engendre, laissent présager le pire pour les bélugas comme pour nous tous. Jusqu’où faudra-t-il aller dans le chaos climatique et environnemental avant que nos gouvernements commencent à exercer leurs responsabilités en matière de protection de la santé publique et des écosystèmes essentiels à la vie?

 

Photo : canva  - SandraMinarik