Figure 1 Derricks dans le Bassin permien au Nouveau-Mexique, États-Unis
Le pétrole tiré par fracturation de la roche-mère (« Oil Shale ») dont l’exploitation (surtout dans le Bassin permien) a rendu les USA de nouveau exportateurs de pétrole est une source dont la production sera plutôt ponctuelle à l’échelle humaine. En effet, il faut forer continuellement de nouveaux puits qui s’épuisent sur une année d’exploitation, de sorte que les compagnies s’étant lancées dans cette aventure ne couvrent même pas leurs frais, s’agitant comme la reine rouge du conte de Lewis Carroll.
Bref, comme nous avons dépassé le pic de production pétrolière pour le pétrole conventionnel depuis 2006 selon certains, 2008 selon d’autres, et que celui-ci compte pour 75 % des approvisionnements alors que le quart restant possède un taux de retour énergétique (en anglais « EROI » et en français « TRÉ ») nettement inférieur, notre civilisation thermo-industrielle se dirige aveuglément vers une contraction énergétique, phénomène demeuré inconnu depuis l’aube de la révolution industrielle.
Or qu’est-ce que l’énergie sinon la source première à toute transformation d’un système, celle-ci étant à la base même de toute activité économique et non pas un intrant ne comptant que pour quelques pour cent du PIB, de nature quasi illimitée, comme le professe l’économie classique. Il faut donc s’attendre à ce que l’économie mondiale suive cette contraction des approvisionnements par une pénurie allant croissante, accentuée par un déclin du taux de retour énergétique, bref un monde en décroissance économique. La moindre prudence serait de proposer la transition vers un monde de sobriété.
Car ce ne sont pas les énergies renouvelables qui pourront, même à l’échelle canadienne, suppléer. D’une part leur importance dans le cocktail énergétique demeure marginale, d’autre part leur TRÉ plutôt maigrichon — mis à part l’hydro-électricité, mais celle-ci compte pour moins de 18 % de l’électricité produite par l’ensemble des pays de l’OCDE — ne peuvent remplacer 85 % de l’énergie utilisée actuellement d’origine fossile avec la même abondance et la même efficacité.
Le Québec, même riche de son hydro-électricité, ne pourra échapper aux conséquences économiques de la fin du pétrole facile tant il est dépendant d’un marché globalisé à l’échelle planétaire, que ce soit pour le transport ou pour l’approvisionnement en denrées et produits. Une crise économique généralisée à l’échelle mondiale le frappera donc de plein fouet comme partout ailleurs.
Or, c’est là que le bât blesse : bonne chance au politicien qui réussira à intéresser ses électeurs au virage nécessaire devant être pris pour éviter une succession de crises. Sur l’horizon de la prochaine décennie, l’on se dirige plutôt vers un accroissement des inégalités, car si la sobriété n’est pas au rendez-vous, ce sera la pauvreté qui la remplacera forcément dans un monde en décroissance. Ainsi nous avons le choix entre un déclin planifié ou subi.
Qui plus est, je n’ai même pas encore parlé de l’impact sur notre environnement de l’utilisation des énergies fossiles grandes responsables de l’accroissement des GES et du dérèglement climatique. Pourtant nous allons aveuglément vers un monde ou les écosystèmes dont dépend notre bien-être seront durablement affectés. Avec les engagements actuels (pour la plupart même pas respecté) de l’Accord de Paris lors de la COP 21, c’est une augmentation de la température moyenne sur Terre entre 3 °C à 4 °C vers laquelle nous courrons allègrement. Aussi bien dire que des zones entières de la planète risquent de devenir inhabitables, comme d’autres, impropres à la production alimentaire.
Je doute que la démocratie demeure dans bon nombre de pays le vecteur le plus approprié pour faire face à ce dilemme (ou plutôt « predicament » pour utiliser un terme anglais plus approprié). Un politicien qui ne promet plus la croissance, mais la décroissance à ses électeurs, risque de rencontrer bien des difficultés, surtout si ayant été élu, il a pris acte de l’impossibilité de livrer ce qu’il avait précédemment promis à ses concitoyens.
Deux possibilités s’ouvrent devant nous : soit l’émergence de gouvernements populistes glissant immanquablement vers des régimes de plus en plus autoritaires et antagonistes; soit celui d’un gouvernement abandonnant la langue de bois, celle qui promet l’enrichissement, la croissance tous azimuts, verte ou durable, bref des lendemains qui chantent, pour la remplacer par la transformation radicale d’une société dans laquelle le confort et l’indifférence ont pris racine.
Chez nous, la question qui découle de ce constat, la question qui tue : « Comment un Parti québécois* même renouvelé pourra s’ajuster aux conséquences de ces changements qui nous pendent au bout du nez ? »
Ou écrit plus clairement : « Est-ce que la souveraineté** pourra toujours être une réponse lorsque de telles crises surviendront ? Si les changements démographiques que connaît le Québec persistent à aller dans le sens d’une désaffection ou d’une indifférence à l’endroit de la question nationale, c’est loin d’être certain. »
* Ou remplacez celui-ci par votre parti favori, la réponse demeurant la même!
** Il faut lire ci-dessous : « Quelques contributions à l'examen de la question nationale »
https://grop.ca/wp-content/uploads/2018/03/Quelques-contributions-%C3%A0...
Figure 2 Ce premier graphique illustre la croissance du PIB ("GDP" en anglais) dans le temps long de l'Histoire. Source : https://blog.francetvinfo.fr/classe-eco/2018/10/14/william-nordhaus-paul...-nobel-deconomie-2018.html
Figure 3 Ce second graphique montre la très forte dépendance entre croissance du PIB ("GDP" en anglais) et consommation d'énergie. Source : http://www2.ac-lyon.fr/etab/lycees/lyc-69/bernard/IMG/pdf/evolutionPIB-NRJ.pdf
Figure 4 Ce troisième graphique illustre que le pic pour le pétrole conventionnel est survenu vers 2006-2008 (les strates jusqu'à "M.East"), le déclin pour cette production s'étant amorcé au cours de la décennie suivante. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pic_pétrolier
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