Lutte contre les paradis fiscaux

2019/10/08 | Par Samuel-Élie Lesage

L’auteur est coordonnateur du Collectif Échec aux paradis fiscaux

Après un règne conservateur désastreux sur le front de la lutte contre les paradis fiscaux, les attentes dans ce dossier étaient grandes lors de l’arrivée au pouvoir du gouvernement Trudeau. Malheureusement, quatre ans plus tard, son bilan demeure mitigé : les quelques avancées réalisées auront somme toute un effet  fort limité sur le recours aux paradis fiscaux par les grandes entreprises et par les particuliers fortunés. Les profonds changements attendus n’auront donc pas été au rendez-vous.

Au cours des quatre dernières années, le gouvernement libéral a mis de l’avant quelques actions intéressantes. Citons à titre d’exemple la fermeture d’échappatoires fiscales et l’amorce d’un réinvestissement plus que nécessaire à l’Agence du revenu du Canada (ARC), notamment afin d’améliorer ses capacités en matière de vérification.

Il a de plus a resserré l’accès au Programme de divulgation volontaire et a amélioré la transparence corporative en jetant les bases de registres des bénéficiaires ultimes en collaboration avec les provinces. Finalement, il a implanté les diverses mesures prévues par le projet sur l’Érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices de l’OCDE (BEPS en anglais), notamment au moyen d’une participation active au nouveau mécanisme d’échange automatique de renseignements et la ratification récente d’un accord multilatéral.

Quels effets auront ces actions? Certes, il deviendra plus difficile pour les particuliers fortunés de cacher illégalement des revenus à l’étranger. C’est une bonne nouvelle. Cependant, en refusant de modifier substantiellement le cadre légal et de revoir les conventions fiscales avec certains paradis fiscaux notoires, le recours aux paradis fiscaux par les contribuables canadiennes et canadiens demeurera, dans une large mesure, tout à fait légal. Les récentes défaites majeures sur le front judiciaire, dans deux dossiers importants où l’ARC avait eu l’audace de poursuivre les entreprises Loblaws et Cameco, démontrent à quel point le cadre légal doit être resserré et les moyens améliorés pour en assurer l’application.

Plusieurs actions du gouvernement Trudeau sont même allées à l’encontre d’une lutte sérieuse contre le recours aux paradis fiscaux. Par exemple, en 2018, le Canada a signé deux nouveaux Accords d’échange de renseignements fiscaux avec Antigua-et-Barbuda et la Grenade, alors que ces accords ont pour effet d’octroyer de nouvelles possibilités d’évitement fiscal. De plus, les Libéraux ont bloqué à deux reprises la motion M-42 présentée par le Bloc québécois, une motion qui aurait amené le gouvernement canadien à revoir ses liens avec la Barbade, paradis fiscal notoire. Rappelons que cette motion avait été reprise et adoptée à l’unanimité par les membres de l’Assemblée nationale du Québec au printemps 2016.

Autre grande déception : le refus du gouvernement Trudeau de taxer les grandes entreprises numériques (GAFAM), pourtant utilisatrices manifestes de paradis fiscaux. Finalement, en juin dernier, nous apprenions que l’ARC avait encore une fois conclu des ententes secrètes dans le cadre du scandale de l’affaire KPMG. Ceci renforce l’impression qu’il existe une justice parallèle pour les plus fortunés et qu’il peut être payant de ne pas respecter ses obligations fiscales. Toutes ces actions (ou omissions d’agir!) amènent d’ailleurs neuf vérificateurs fiscaux sur dix de l’ARC, selon un sondage réalisé par leur syndicat, à considérer que le système fiscal favorise les grandes entreprises et les plus nantis!

Malgré quelques avancées, le mandat du gouvernement libéral sortant semble donc n’avoir été, finalement, à l’instar des gouvernements avant lui, qu’un chapitre de plus dans l’histoire de la douteuse connivence canadienne avec les paradis fiscaux.

*

Signataires du Collectif Échec aux paradis fiscaux :

Carolle Dubé, présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) ; Lise Lapointe, présidente de l’Association des retraitées et retraités de l’éducation et des autres services publics du Québec (AREQ-CSQ) ; Luc Vachon, président de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) ; Sonia Éthier, présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ; Jacques Létourneau, président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) ; Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ; Daniel Boyer, président secrétaire général de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) ; Nancy Bédard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) ; Denis Bolduc, président du Syndicat canadien de la fonction publique Québec (SCFP) ; Christian Daigle, président général du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) ; Jean Portugais, président de la Fédération québécoise des professeures et des professeurs d’université (FQPPU) ; Line Lamarre, présidente du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) ; Guillaume Lecorps, président de l’Union étudiante du Québec (UEQ) ; Philippe Clément, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) ; Claude Vaillancourt, président d’ATTAC-Québec ; François Décary-Gilardeau, président, Union des consommateurs;  ;  Sandrine Louchart,  AmiEs de la Terre de Québec ; Gérald Larose, président de la Caisse d’économie solidaire du Québec.