La vraie bonne question

2019/10/17 | Par Michel Rioux

Pierre Dubuc, qui tient à bout de bras depuis 35 ans le mensuel indépendantiste et progressiste l’aut’journal, a posé récemment dans une publication une question cruciale en ces temps incertains où trop de nos compatriotes s’apprêtent à se laisser séduire par des sirènes tantôt vertes, tantôt rouges, tantôt oranges.

Cette question, c’est : Dans quel camp êtes-vous ?

Que voilà une question fort pertinente en effet dans une époque, comme le souligne l’auteur, où « des indépendantistes en sont même venus à renier leur engagement souverainiste lui-même. À la base, on trouve une grande confusion idéologique, un révisionnisme historique et une oblitération du caractère distinct du Québec. »

Dès le départ, Dubuc prend à contrepied les arguments qui ont fait douter un indépendantiste convaincu, Francis Boucher, de la justesse de cette position politique. Ce dernier a publié en 2018 La grande déception. Dialogue avec les exclus de l’indépendance, essai dans lequel il rapporte les entretiens qu’il a menés avec une quinzaine de personnes issues des communautés culturelles, personnes qui se sentent exclues en accusant le discours de Jacques Parizeau, le soir du référendum de 1995, et la Charte des valeurs déposée par le gouvernement de Pauline Marois.

Pour une majorité des personnes rencontrées par Boucher, ce NOUS cacherait un racisme latent, comme l’a exprimé Dalila Awada lors d’un congrès de Québec solidaire en 2017. « Pour nous, les communautés racisées au Québec, l’ennemi est double. Il s’incarne à la fois dans le néolibéralisme et dans le racisme. Le Parti Québécois porte en lui ces deux bêtes », avait-elle affirmé sans que personne dans la salle ne relève le mépris qu’exprimaient ces propos.

Comme ils sont nombreux à soutenir que le parti de René Lévesque était loin d’être raciste ou ethnocentrique au départ, dérive qu’il aurait connue par la suite, l’auteur rappelle fort opportunément que le premier chapitre du livre de René Lévesque, Option Québec, publié en 1969, s’intitule tout simplement Nous autres ! « Ne pouvoir vivre comme nous sommes, a écrit le fondateur du PQ, convenablement, dans notre langue, à notre façon, ça nous ferait le même effet que de nous arracher un membre, pour ne pas dire le cœur. »

Certains apôtres de l’amour infini ont certes raison de croire qu’il est possible qu’il se trouve, parmi le million d’indépendantistes québécois, quelques éléments qui ne sont pas des enfants de chœur en ces matières. Il est en revanche particulièrement injuste de ranger l’ensemble des partisans de l’indépendance dans cette catégorie, comme le font à peu près tous les interlocuteurs de Boucher.

Rappelant que l’ancien chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, estimait que le Québec et le Canada n’avaient pas la même vision de l’Histoire et « n’habitaient pas la même réalité historique », Pierre Dubuc constate que « même s’il franchit tous les obstacles placés sur son chemin – campagne de commandites fédérales, chantage économique, menaces de partition, loi sur la ‘clarté’, intervention armée comme lors des Évènements d’Octobre 1970 – le mouvement d’émancipation de la nation québécoise se butera, même après un référendum gagnant, à la ‘vérité’ du Canada anglais. »

 

Le Québec n’est pas un ilôt isolé

Abordant la question de la laïcité, Dubuc avance que le Québec n’est pas un « ilôt isolé, à l’abri des grandes bourrasques idéologiques qui déferlent sur la planète », mais qu’il est bien le théâtre, comme des dizaines d’autres pays, de débats déchirants reliés à la montée d’un islamisme politique qui cherche à imposer ses visées.

Pour lui, comme pour un grand nombre de citoyens et de citoyennes faisant preuve de lucidité, le voile islamique n’est pas un tissu neutre, n’ayant d’autre signification que l’expression d’une conviction religieuse individuelle ou culturelle, qui ne serait même, dans bien des cas, qu’une coquetterie vestimentaire. Ce qui l’amène à se demander « comment une certaine gauche, regroupée au sein de Québec solidaire, peut-elle réduire la question de la laïcité à une affaire de droits individuels, en faisant abstraction de ses dimensions nationales et internationales ? »

Après un survol des quelque cinquante dernières années et rappelé la guerre arabe contre Israël en 1973, l’arrivée de Khomeini en Iran, le dijhadisme en Afghanistan, le 11 septembre 2001, Al-Quaïda, le califat en Syrie, l’auteur conclut que la réalité du modèle de société implanté par Daesh – charia, oppression de la femme, tortures, exécutions sommaires – « devrait avoir fini de convaincre de son erreur cette gauche qui voyait dans la montée de l’islam radical une force progressiste et révolutionnaire ».

À la fin de ce chapitre comme dans d’autres, « la question se pose donc : dans quel camp êtes-vous ? Dans le camp des adeptes de la neutralité anglo-saxonne ou dans celui de la laïcité à la française ? »

 

Immigration

Abordant la question de l’immigration, Dubuc fait siens les commentaires de l’économiste Pierre Fortin qui, en commission parlementaire en 2017, est intervenu pour mettre en garde contre des cibles d’immigration qui seraient trop élevées par rapport à notre capacité collective d’accueillir correctement ces nouveaux arrivants. Selon Fortin, cité par l’auteur, une hausse des seuils trop importante «exposerait le Québec aux dangers d’une déferlante excédant la capacité d’absorption raisonnable de sa population et destructive à terme de sa cohésion sociale (…) « Il faut ouvrir notre cœur mais garder notre tête froide. »

Fort à propos, Dubuc ne manque pas de rappeler, comme l’a fait Marie Michèle Meggs dans la dernière livraison de l’Action nationale, que le Québec ne détient qu’une partie des compétences en matière d’immigration. Il pose en conséquence à Québec solidaire, qui a appuyé le gouvernement fédéral à l’occasion du débat entourant la baisse temporaire du seuil d’immigration, la question suivante : « Dans quel camp êtes-vous, dans celui du Québec ou dans celui du Canada ? »

 

Le risque de se tromper de camp…

Par ailleurs, là où Pierre Dubuc m’apparaît contre-productif, c’est lorsqu’il s’en prend à Mathieu Bock-Côté pour son conservatisme social ou à Fernand Dumont, à qui il reproche «une conception culturelle de la nation », tout en ne voyant la survivance du peuple québécois « qu’à l’ombre de l’Église et de la Couronne britannique ou de la constitution canadienne ». (C’est oublier que Dumont a remis en 1968 au Parti québécois naissant la bourse de 10 000 $ accolée au prix du gouverneur général.) Lorsqu’il égratigne les historiens Éric Bédard et Philippe Courtois, le sociologue Jacques Beauchemin et le chroniqueur Joseph Facal, qui ne seraient sans doute pas suffisamment à gauche à ses yeux. Ou lorsqu’il règle un vieux contentieux avec Gérald Larose pour son rapport sur l’état de la langue au Québec publié en 2002.

Pourtant, dans sa conclusion, il rappelle les efforts des Lévesque et Godin plaidant pour une société ouverte et progressiste, efforts qui ont été réalisés « en présence au sein du mouvement souverainiste d’une aile créditiste, dont les interventions auraient fait dresser les cheveux des interlocuteurs de Francis Boucher ».

Mais dans quel camp, mon cher Pierre, sont donc les Bock-Côté, Larose, Facal, Bédard, Dumont, Courtois, Beauchemin ? Dans le tien, parbleu !

 

PIERRE DUBUC
DANS QUEL CAMP ÊTES-VOUS ?
Montréal, Les éditions du renouveau québécois, 2019, 174 pages