Difficile de rester stoïque alors qu'on soulignait il y a peu le 10e anniversaire de la mort du cinéaste et auteur Pierre Falardeau. Avant la cause du Québec, c'est celle de la liberté qui explique le mieux son oeuvre.
On le voit dans son travail documentaire où sa sensibilité d'anthropologue traite son sujet à hauteur d'homme, sans ambages ou biais paternaliste. La liberté est là, observée à son état naturel, dans les milieux populaires, les damnés de la terre.
Elle est plus évidente dans ses fictions cinématographiques dans l'expression de son contraire: l'oppression. Celle-ci est présente dans Le party ou 15 février 1839. La création même du film Octobre représente une lutte pour la liberté.
Falardeau a raconté comment il a dû défendre chaque mot, chaque virgule de son scénario après que ce dernier soit tombé entre les mains du sénateur Philip Deane Gigantès qui a compromis le financement public du projet de film.
C'était pour lui de la propagande, un projet de réécriture de l'histoire, car il n'y avait qu'une lecture possible des évènements de la Crise d'octobre, celle où les felquistes étaient d'infâmes terroristes et Pierre Laporte, un martyr.
Cette anecdote révélait au grand jour comment s'exerçait la censure au Canada. Pour Falardeau, voir achever ce projet pour lequel il s'est investi pendant presque 20 ans en recherche, en écriture, en réécriture, en quête de financement, était pour lui une question de dignité aussi vitale que pouvait l'être le retour dans le ring de Gaétan Hart, sujet du documentaire Le Steak.
Le 15 octobre dernier ont été inaugurées les places Michel-Brault et Pierre-Falardeau dans Rosemont-La-Petite-Patrie à Montréal, entre les rues Masson et Saint-Joseph, sur la rue Molson. Pour l'occasion, deux oeuvres d'art public créées à la mémoire des cinéastes ont été dévoilées par leur créateur, Armand Vaillancourt. L'increvable artiste n'a pas ménagé sa liberté en constatant les citations qui font la marque des deux hommes cerner la base des monuments dressés comme des poings levés.
Cependant, l'existence de ces places publiques pose une triple ironie. D'abord, ces lieux sont cernés de rues éponymes en forme de fer à cheval. Bref, elles mènent nulle part, rappelant la célèbre phrase de Pierre Falardeau: «On va toujours trop loin pour ceux qui vont nulle part». Ensuite, qui aurait pu s'imaginer qu'on verrait un jour une rue Pierre-Falardeau croiser la rue Molson? Enfin, que penser de ces rues créées dans le cadre de la création d'un parc de copropriétés participant activement à l'embourgeoisement de ce quartier de la ville, repoussant toujours plus loin les ouvriers mangeurs de sandwich au baloney?
Il va sans dire que ce n'est pas la première fois ni la dernière, qu'on peine à honorer ceux qui ont marqué l'histoire nationale. Amusez-vous à chercher les rues Gerry-Boulet, Pauline-Julien et Robert-Gravel dans le Plateau-Mont-Royal. Ce ne sont que des bouts de rues et des culs-de-sac. C'est comme si la ville avait atteint depuis longtemps un point de saturation dans la toponymie de la ville, comme s'il n'y avait qu'Amherst qui posait problème, comme s'il n'y avait pas d'autres figures controversées de maîtres et de bourreaux à déboulonner. En cela, nous portons encore les affres d'une histoire qui se normalise, comme lorsqu'un concierge repeint un logement en blanc en passant par-dessus les vis et les moulures.
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