Les grandes entreprises et les banques de Toronto utilisent de plus en plus les paradis fiscaux pour ne pas payer leurs impôts. Plutôt que s’attaquer fermement à ce problème, le gouvernement fédéral préfère laisser faire. Il s’ensuit que le fardeau fiscal se déplace sur les épaules des autres contribuables. Nous sommes devant une injustice profonde qui ne cesse de s’accentuer.
Les gouvernements canadiens, qu’ils soient libéraux ou conservateurs, sont des cancres en matière de lutte à l’évitement fiscal. En 1997, les Libéraux de Jean Chrétien ont légalisé l’utilisation de la Barbade comme paradis fiscal. Cette décision avantageait directement l’entreprise de Paul Martin, alors ministre des Finances.
Plus ça change, plus c’est pareil ! L’entreprise familiale de l’actuel ministre des Finances, Bill Morneau, est active dans les paradis fiscaux et elle vend ses services-conseils aux fonds de placement. Au cours du dernier mandat, les Libéraux ont légalisé l’utilisation de trois nouveaux paradis fiscaux.
Au pouvoir entre les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Justin Trudeau, les Conservateurs de Stephen Harper n’ont guère fait mieux. D’un seul coup, ils ont légalisé l’utilisation de plus d’une vingtaine de paradis fiscaux.
L’OCDE a suggéré aux pays membres une série de mesures pour limiter le recours aux paradis fiscaux. Or, le Canada se traîne les pieds et se retrouve en queue de peloton. Ottawa se refuse, par exemple, à mettre en place un échange automatique de tous les renseignements fiscaux des individus et des entreprises, qui brassent des affaires dans ces juridictions de complaisance.
Tous les pays de l’Union européenne et tous les pays du G-7 – à l’exception du Canada – ont déjà limité l’utilisation des prêts, qui proviennent des paradis fiscaux. Ce stratagème sert à détourner artificiellement les profits d’une entreprise vers sa filiale située dans un paradis fiscal. Ainsi, la filiale de Shell aux Bahamas peut prêter de l’argent à Shell Canada à un taux d’intérêt, qui fait en sorte que les profits réalisés au Canada servent presque entièrement à payer les intérêts à Shell Bahamas. Au bout du compte, Shell Canada ne paie à peu près pas d’impôt au Canada et Shell Bahamas non plus, puisque ses mégas profits sont imposés à un taux nul. En 2018, Shell Canada n’a payé que 8 millions $ en impôts pour des revenus de 28 milliards $, alors que Shell Bahamas a enregistré des revenus de 22 milliards et n’a payé aucun impôt !
Pour une déclaration de revenus unique gérée par le Québec
La lutte aux paradis fiscaux avance trop lentement à travers le monde. Le Canada est à la traîne et le Québec n’a pas les coudées franches pour s’y attaquer, les pouvoirs en la matière se trouvant à Ottawa. L’adoption d’une déclaration de revenus unique gérée par Québec lui donnerait des pouvoirs accrus. Pour gérer cette déclaration unique, Québec devrait avoir accès aux renseignements fiscaux des individus et des entreprises québécoises à l’étranger, y compris dans les paradis fiscaux. Québec pourrait alors adopter une loi de l’impôt plus sévère que la loi canadienne.
Le Bloc Québécois présentera un projet de loi pour une déclaration de revenus unique gérée par le Québec, conformément à la volonté unanime de l’Assemblée nationale. Il est même possible que ce projet de loi soit adopté. Lors de la dernière campagne électorale, les Conservateurs ont affirmé appuyer ce projet, tout comme les Néo-démocrates, pourvu que les emplois des fonctionnaires ne soient pas menacés. Or, il est tout à fait possible de préserver les emplois en reclassant les fonctionnaires dans d’autres fonctions actuellement en sous-effectifs. Puisque les libéraux sont en situation de gouvernement minoritaire, une majorité d’élus pourraient voter en faveur de ce projet de loi. Reste à voir jusqu’où les Conservateurs et les Néo-démocrates étaient sérieux en campagne électorale.
Si les Libéraux se sont opposés à une déclaration de revenus unique gérée par Québec, ils se disaient, par contre, prêts à taxer davantage les géants du web. Ainsi, ils affichaient leur volonté de prélever la taxe de vente auprès des Netflix, Google, Apple, Facebook et Amazon, en plus d’une redevance pour compenser les impôts que ces entreprises ne paient pas au Canada.
À la fin du mois de décembre, le ministre Steven Guilbeault y allait d’un premier recul en affirmant que son gouvernement irait de l’avant avec la TPS, mais qu’il faudrait plus de temps pour les redevances. Interrogé sur le même sujet à Davos à la fin du mois de janvier, le ministre des Finances Bill Morneau semble, à son tour, avoir carrément reculé sur le prélèvement de redevances, en disant craindre les représailles du gouvernement états-unien. Pourquoi ne pas s’inspirer de l’Australie qui affirme avoir récupéré 1,14 milliard $, dont 440 millions $ auprès de Google, après avoir adopté une loi en ce sens ?
Dans ces dossiers comme dans bien d’autres – par exemple, les subventions au secteur des énergies fossiles – nous sommes en présence d’un gouvernement cool au niveau des déclarations, qui sont trop rarement transformées en actions concrètes.
Pourtant, la lettre de mandat remise par le Premier ministre à Bill Morneau évoque une volonté de s’attaquer à l’utilisation des paradis fiscaux par les entreprises :
« Moderniser les règles anti-évitement de manière à empêcher les grandes multinationales de contourner l’impôt grâce à des stratégies comptables sophistiquées entre les pays.
Mettre fin aux échappatoires fiscales grâce auxquelles les sociétés peuvent déduire excessivement leurs dettes afin de réduire artificiellement l’impôt qu’elles paient. »
Est-ce que le Canada ira finalement de l’avant ou est-ce que cette lutte aux paradis fiscaux ne restera qu’au niveau du discours ? Dans tous les cas, la situation de gouvernement minoritaire accorde à l’opposition un bon rapport de force pour obliger le gouvernement à adopter des mesures concrètes.
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