Teck Frontier était incompatible avec l’urgence climatique

2020/02/27 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois

Le 23 février, la compagnie Teck Resources ltée suspendait son projet de construction et d'exploitation d'une mine de surface de sables bitumineux, qui aurait produit environ 260 000 barils de bitume par jour pendant 41 ans. Située dans le nord-est de l'Alberta, à environ 110 kilomètres au nord de Fort McMurray, la superficie de ce projet aurait dépassé les 24 000 hectares.

L’automne dernier, un panel d’évaluation constitué d’agences fédérales et provinciales avait reconnu que Frontier aurait entraîné la destruction permanente de forêts anciennes, d’habitats de poissons et de milieux humides riches en biodiversité, qui couvrent actuellement près de la moitié du site. Le panel avait également admis que les communautés autochtones Dene et Cri des environs auraient subi les conséquences de ce projet au risque de perdre à jamais leurs savoirs traditionnels. Malheureusement, même si les experts prévoyaient des conséquences irréversibles de grande ampleur et même s’ils étaient conscients que les émissions de gaz à effet de serre généré par Teck Frontier auraient rendu presque impossible l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris, ils recommandaient tout de même que ce projet aille de l’avant, car il aurait servi « l’intérêt public ».

J’aimerais bien que ce panel m’explique ce que signifie, pour eux, l’intérêt public. Ce projet était néfaste sous tous ses angles, qu’on parle du point de vue environnemental, de son aspect financier, des relations avec les Autochtones et, enfin, en matière de protection du milieu naturel. J’explique…

 

Environnement

Les émissions de gaz à effet de serre du projet Frontier étaient majeures. De 4,1 à 6 mégatonnes d’équivalent de CO2 supplémentaires par année auraient été émises dans l’atmosphère pendant toute la durée du projet. L’approbation du gouvernement fédéral se serait traduite par un maintien des émissions de CO2 jusqu’en 2067, ce qui aurait été entièrement incompatible avec la position du Canada en matière de lutte aux changements climatiques.

Or, sans considérer ce projet, les émissions produites par le secteur des sables bitumineux sont déjà en croissance et représenteront 21 % de la cible canadienne de 2030.

 

Économique

Les prévisions économiques proposées par Teck Resources ltée furent élaborées à partir d’une surestimation du prix du pétrole. L’aval des experts a donc été donné sous de fausses prémisses. Ils ont pris en compte des données trompeuses et ils ont prêté foi à un promoteur, qui stipulait que le prix du baril de pétrole serait à 95 $. Or, les prévisions des principaux leaders de l’industrie et les consultants démontrent clairement que les prix du pétrole devraient se situer entre 60 $ et 70 $ du baril pour les décennies à venir. C’est là une des raisons de l’abandon du projet.

 

Relations avec les autochtones

La mine Frontier aurait porté atteinte aux droits ancestraux issus de traités, dans la mesure où des communautés autochtones situées en aval du projet connaissent déjà une dégradation de l’utilisation de leurs terres et territoires traditionnels, après 60 ans d’exploitation des sables bitumineux. Les leaders ont signé des ententes en déclarant qu’ils n’avaient pas le choix d’accepter le projet Frontier puisque leurs efforts répétés pour faire cesser ce type de projets ont toujours été ignorés par le passé.

Le gouvernement de l’Alberta a d’ailleurs mis sur pied un programme accordant jusqu’à 1G$ (maximum de 250M$ par projet) aux membres des communautés autochtones souhaitant investir dans les grands projets pétroliers et gaziers.

Malgré ces sommes alléchantes,  Environnement Canada s’est joint à des groupes d'Autochtones préoccupés par les effets de la mine sur les écosystèmes de la région.  Les membres de Indigenous Climate Action étaient résolus à combattre ce projet. C’est une autre raison de l’abandon du projet.

 

Protection du milieu naturel

Frontier aurait été situé à quelques kilomètres du parc national de Wood Buffalo, que le gouvernement aimerait voir figurer sur la liste du patrimoine de l’UNESCO. Or, en 2017, l’UNESCO affirmait que « le Canada manquait à ses devoirs de protection de cet important milieu naturel, qui compte de vastes forêts et de nombreux cours d’eau […] l’accumulation de preuves laisse penser que la présence de produits polluants, comme le sulfate et le mercure, est une conséquence directe de l’exploitation de gisements de sables bitumineux ».

Le rapport de 561 pages sur ce parc national signale que l’industrie pétrolière, les barrages hydroélectriques, les changements climatiques et même les cycles naturels contribuent à la perte de sa valeur patrimoniale.

Au printemps 2018, le Canada a été blâmé par la commissaire à l’environnement pour n’en faire pas assez pour la biodiversité. Teck Frontier n’aurait fait qu’aggraver la situation en mettant en danger, les bisons, le dernier troupeau de buffles en liberté, la grue blanche et fera des dommages irréversibles à la forêt boréale.

 

Une compagnie voyou

Comment a-t-on pu donner une approbation à ce projet à une société, qui n’a encore jamais œuvré spécifiquement dans le secteur des sables bitumineux et dont les filiales ont déjà montré de nombreuses lacunes ?

La filiale Teck Metals est responsable de 13 déversements en deux ans et détient la palme du plus important pollueur de l’histoire de la province. La filiale Teck Coal a pour sa part été sanctionnée par le gouvernement américain pour des déversements de sélénium (taux 70 fois plus élevé que dans les rivières éloignées du site), une substance mettant en danger la faune aquatique et la santé humaine.

 

Position du Bloc Québécois

Depuis la rentrée parlementaire, le Bloc québécois s’est levé en Chambre à plus d’une reprise pour dénoncer ce projet.  Nous demandions de ne pas autoriser ce projet, qui est complètement incompatible avec l’urgence climatique, motion que nous avons adoptée à la Chambre des communes en 2019. Nous allons d’ailleurs déposer très bientôt un projet de loi, qui contraindra le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour atteindre et dépasser les objectifs de Paris en matière de réduction des gaz à effet de serre. Pour cela, nous estimons que les objectifs doivent être accompagnés de mesures concrètes et de moyens financiers robustes pour être efficaces.

Le Canada est un État pétrolier, qui subventionne les énergies fossiles. L’achat et l’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain en sont des exemples flagrants.  Ce sont des milliards de dollars publics engloutis pour exporter son pétrole. Au Canada, les mauvais joueurs sont récompensés.