Bombardier : autopsie d’un démantèlement programmé

2020/02/28 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois

La direction de Bombardier a réussi à se faire détester de la population du Québec avec des primes de dizaines de millions de dollars à ses dirigeants, le licenciement cavalier de milliers de travailleurs et la vente de jets privés à des clients douteux. Il n’en reste pas moins que les récentes mésaventures de la multinationale québécoise ont porté un sérieux coup à notre économie et fragilisent nos filières de l’aérospatiale et du transport ferroviaire.

Avec sa Série C, Bombardier s’était engagée avec témérité dans une course pour accéder à la cour des Grands… et elle y est presque parvenue. L’entreprise a développé d’excellents modèles d’avions : 40 % plus silencieux et consommant 35 % moins de carburants. Des produits meilleurs que ceux de Boeing et Airbus. Un franc succès technique. Mais elle n’a pas réussi à atteindre le fil d’arrivée.
 

La porte fermée d’Ottawa

Le secteur des avions commerciaux nécessite de méga investissements, qui mènent à de mégaprofits… à long terme. Voilà pourquoi les pays qui développent une importante industrie de l’aérospatiale – les États-Unis, l’Europe – ont tous une politique de soutien à l’aéronautique. À une exception près ! Le Canada.

Vers la fin du parcours, Bombardier a manqué d’argent. Malgré sa super grosse dette. Un retard de deux ans pour la certification par les autorités américaines a fait exploser les coûts – de près de 50 % – et a retardé de quatre ans l’entrée des premiers revenus.
Ces retards ont fait capoter le projet. À la grande satisfaction de Boeing. Bombardier s’est alors tournée vers Ottawa pour une prise de participation du gouvernement dans l’entreprise. Une fois officialisée, elle aurait envoyé, à la communauté d’affaires et réglementaire internationale, le message que l’État canadien soutenait Bombardier et que l’entreprise réussirait à passer à travers cette dernière et difficile étape.

Ottawa a tergiversé pendant une longue année. Avant de finalement refuser de soutenir Bombardier. Nous savons maintenant que les banques de Bay Street à Toronto exigeaient de Bombardier le retrait des actions multivotantes et que ce refus pourrait bien expliquer la décision du gouvernement libéral.

J’ai pu constater que Bombardier est mal-aimé à la Chambre des communes. Les Conservateurs attaquent systématiquement l’entreprise et les députés hors Québec aiment casser du sucre sur son dos. Pourtant, par le passé, Ottawa a effectué des prises de participations dans des projets de Bombardier. Elles ont toutes été couronnées de succès et ont été payantes pour l’État canadien.

Constatant que Bombardier n’avait pas le soutien d’Ottawa, la communauté d’affaires savait que le projet était fichu. Bombardier manquerait de souffle avant la fin de l’épreuve.

Québec a pris la relève d’Ottawa avec une participation de 1,3 milliard $. Auparavant, Québec épaulait Ottawa avec un prêt garanti. Mais il ne tenait pas le premier rôle. Sa participation, bien que généreuse, était insuffisante pour assurer la réussite du projet. Mais elle a permis de sauver les meubles : les nouveaux modèles, les emplois, l’expertise et notre grappe aéronautique… au moins jusqu’à maintenant.

Airbus est venu récupérer la mise. Ses avoirs, sa crédibilité et son expertise garantissent la commercialisation des Séries C. Les profits futurs seront encaissés en Europe, mais on  conservera les emplois et l’expertise. Pour l’instant. C’est du moins ce qu’on peut décoder des signaux d’investissements du géant européen. Évidemment, il y aura des pressions pour que ces nouveaux modèles soient produits en Europe. L’expertise locale est notre atout pour contrecarrer ce risque.

La valeur de la participation du gouvernement du Québec a fondu presque de moitié. Elle ne vaut plus que 700 millions de dollars. La nouvelle entente prévoit la vente des parts détenues par le Québec à Airbus en 2026. Si la commercialisation de ces nouveaux avions est une réussite, le Québec devrait être pleinement remboursé et même en tirer des profits.

Afin de réduire son endettement, Bombardier s’est retirée du projet de la Série C. L’entreprise semble vouloir concentrer ses activités sur la production d’avions d’affaires, la branche la plus payante puisque l’entreprise y est bien nichée, les appareils sont éprouvés et les nouveaux modèles semblent être appréciés.

Mais l’avenir demeure incertain. Comme le rappelait le Globe and Mail, il s’agit d’un secteur hautement cyclique et, sans politique de l’aérospatiale, l’entreprise devrait continuer à connaître des hauts et des bas. Malheureusement, à Ottawa, on est bien loin de comprendre la nécessité d’une telle politique. Est-ce parce que l’essentiel de l’économie hors Québec est principalement constitué de filiales américaines ? Il n’en demeure pas moins que l’État central a réussi à bousiller le plus important projet technologique de son histoire récente, un projet québécois.

 

Bombardier Transport

Pour rembourser sa dette, Bombardier a vendu son secteur ferroviaire à Alstom. Cette branche d’activités de Bombardier est surtout présente en Europe. Contrairement à Bombardier Aéronautique, où les usines québécoises livrent des avions à des clients partout dans le monde, l’usine de Bombardier Transport de La Pocatière (et celle de Thunder Bay en Ontario) n’approvisionnent que le marché local. Les mesures protectionnistes Buy American obligent Bombardier à fabriquer, aux États-Unis, les trains, tramways et métros vendus sur le marché américain.

L’avenir de l’usine de La Pocatière et la taille du centre d’ingénierie de Saint-Bruno sont donc incertains. Encore une fois, Ottawa ne joue pas son rôle. Par exemple, Ottawa n’a pas exigé de contenu local pour le renouvellement de la flotte de VIA Rail. Les trains seront fabriqués en Californie par l’allemande Siemens. La Caisse de dépôt aurait pu aussi faire fabriquer les voitures du REM au Québec plutôt qu’en Inde. Ces contrats auraient procuré du travail aux ouvriers de La Pocatière pendant plusieurs années.

Peu de pays témoignent de si peu d’égard pour l’intérêt national. Que la  nation voisine – la nation canadienne-anglaise – décide de ne pas défendre les intérêts du Québec ne constitue pas une grande surprise, mais milite certainement pour que notre nation se gouverne elle-même.