Dossier : L’Ouest canadien (1). Égalité ou Indépendance, proclame la Déclaration de Buffalo

2020/03/30 | Par Pierre Dubuc

Avec la chute du prix du pétrole, la construction de pipelines enrayée et les lois fédérales sur le carbone et l’environnement, l’Alberta est en crise. Le premier ministre Jason Kenney veut imiter le Québec avec la création d’une police provinciale, une agence de revenu provinciale, un rapport d’impôt provincial, etc.

Mais sa revendication principale est la réforme du programme de péréquation. La péréquation étant inscrite dans la Constitution de 1982, sa modification implique un amendement constitutionnel. Jason Kenney veut tenir un référendum sur la question afin de pouvoir légitimement recourir à l’obligation formelle de négocier, imposée à Ottawa et aux provinces par le Renvoi relatif à la sécession du Québec édicté par la Cour suprême en 1998.

Si Kenney va de l’avant avec ce projet, la Constitution sera rouverte et une nouvelle ronde de négociations sera enclenchée. Le gouvernement du Québec, les autres provinces et les Autochtones se présenteront à la table de négociations avec leurs propres revendications entraînant une nouvelle tourmente politico-constitutionnelle.

Ce que fera l’Alberta sera donc d’une grande importance pour le Québec. L’Alberta qui est, avec son pétrole « sale », vilipendée au Québec, pourrait devenir une alliée dans le grand jeu constitutionnel.

Pour bien comprendre la démarche albertaine, nous vous présentons un dossier sur l’histoire des relations constitutionnelles de l’Alberta avec le reste du Canada. 

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La Déclaration de Buffalo

Jason Kenney n’est pas seul à mettre de l’avant les revendications de l’Alberta. Un groupe de députés de son parti, le Parti Conservateur uni de l’Alberta, a récemment publié un manifeste dont le thème est « Égalité ou indépendance » pour l’Alberta. Sous le titre « The Buffalo Declaration », les auteurs jugent que les ressorts de la Confédération sont « profondément brisés » et que celle-ci est « injuste ». Le Canada, affirment-ils, doit aller de l’avant dans l’égalité ou le respect, sinon « le peuple de notre région doit envisager l’indépendance de la Confédération comme étant la solution ».

Selon les auteurs, les défis économiques et sociaux auxquels fait face le Canada ne sont pas la cause des tensions actuelles. L’origine de ces tensions est plutôt à rechercher dans les structures coloniales qui ont présidé à la naissance des provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, provinces toujours soumises à la classe dominante du « consensus laurentien », c’est-à-dire le Québec et l’Ontario.

Les deux provinces faisaient partie, avant de se joindre à la Confédération en 1905, des Territoires du Nord-Ouest, acquis par le Canada de la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1868 pour empêcher leur conquête par les États-Unis.

La Déclaration rappelle que les Premières Nations, les Métis, les Inuit et les colons n’ont pas été consultés sur les conditions de l’adhésion au Canada. Leurs représentants, dont le premier ministre des Territoires Sir Frederick William Alpin Gordon Haultain, désiraient leur transformation en une seule province ayant pour nom « Buffalo ». Mais le gouvernement fédéral craignait que cela concentre trop de pouvoirs dans cette seule province et l’érigerait en rivale du Québec et de l’Ontario.

De plus, alors que les autres provinces se sont vues attribuer en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (BNA Act) la juridiction sur les terres publiques et les ressources naturelles, l’Alberta et la Saskatchewan en furent privées. Le gouvernement fédéral a justifié sa rétention de ces pouvoirs par la nécessité de promouvoir l’immigration et la colonisation, arguant à l’époque que le contrôle provincial serait « ruineux et désastreux ». Cette décision aurait, selon les auteurs de la Déclaration de Buffalo, cimenté l’attitude coloniale de la classe politique et d’affaires de l’Est du pays à l’égard des Albertains.

Toujours selon la Déclaration, l’Alberta constitue une « région distincte » au sein du Canada, mais non reconnue comme telle. Elle énumère différents éléments de ce caractère distinctif : les droits et la culture des Premières Nations, des Métis et Inuit; un désir de liberté individuelle et de réussite économique développé dans la lutte contre le gouvernement colonial; un lien profond et un respect de leur région; une économie différente des autres régions du Canada; une immigration historiquement distincte composée de pauvres paysans venus de Hongrie, Roumanie, Ukraine, Hollande, Allemagne, Écosse, Chine et Islande, de même que des minorités opprimées (Afro-Américains, mennonites, Juifs, mormons); toutes ces populations ont développé une culture d’autosuffisance, de respect de la loi et d’égalité des chances.

La Déclaration dénonce les stéréotypes d’attardés, d’ignorants et d’incapables de progrès social associés au terme « redneck » que l’élite de l’Est accole à la population de l’Ouest.

Les auteurs soutiennent que l’Alberta est physiquement et structurellement à l’écart des structures du pouvoir économique et politique du Canada. La province est sous-représentée au Sénat et à la Chambre des communes, dans la fonction publique fédérale, à la Cour suprême et dans les médias. Elle est aussi isolée au plan politique. La base électorale du Parti Libéral est l’Ontario, le Québec et les Maritimes. Quant au Parti Conservateur, dont la base électorale est l’Alberta, il doit faire des gains dans ces provinces pour accéder au pouvoir et ne peut convaincre leurs populations de l’importance de questions comme le secteur de l’énergie et la péréquation.

Avant d’examiner les revendications mises de l’avant dans la Déclaration de Buffalo, nous vous proposons, dans une série d’articles, un résumé de l’histoire de l’Ouest canadien, sous l’angle, principalement, du contrôle des ressources naturelles, qui demeure aujourd’hui le principal objet de discorde entre l’Alberta et la Saskatchewan et ce qui constitue, de leur point de vue, le Reste du Canada. 

À suivre.