Dans le Manifeste de Buffalo, les auteurs se réclament de Frederick Haultain. Dans son livre Let the Eastern Bastards Freeze in the Dark. The West versus the Rest Since Confederation (Vintage Canada, 2013), Mary Janigan accorde une grande importance à ce personnage qui est considéré par les Albertains comme l’une des figures de proue de leur combat pour le contrôle de leurs richesses naturelles.
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En 1876, John A. Macdonald avait fait adopter par le Parlement canadien la « National Policy », une politique protectionniste favorable aux industriels de l’Ontario et du Québec avec l’imposition de tarifs douaniers sur les importations. Entre 1870 et 1881, la population de l’Ouest passe de 10 000 à 60 000 personnes. Le fédéral donne des terres de 160 acres aux immigrants-colons, mais les subsides versés aux provinces sont insuffisants pour répondre aux besoins créés par cet afflux de population. Le premier ministre Norquay du Manitoba envie l’Ontario, qui tire 1,1 million $de revenus de l’exploitation de ses ressources naturelles, alors que sa province doit se contenter d’un nouveau subside de seulement 40 000 $ pour compenser son absence de juridiction sur les ressources naturelles.
Les fermiers de l’Ouest maugréent aussi contre les tarifs de la « National Policy », qui les obligent à acheter du matériel de l’Ontario, alors qu’il serait possible de s’en procurer à meilleur prix au sud de la frontière. Mais la « National Policy » est sacrée. Norquay s’en rendra vite compte. Se croyant dans les bonnes grâces d’Ottawa pour avoir soutenu l’intervention militaire fédérale contre les Métis, il propose la construction d’un chemin de fer de Winnipeg jusqu’à la frontière américaine. John A. Macdonald voit rouge. Son gouvernement désavoue la législation manitobaine et il menace d’accuser Norquay de sédition. Le CPR obtient une injonction contre le projet. Le développement du Canada est d’est en ouest et non du nord au sud.
Dans les T.N.-O, un lieutenant-gouverneur, nommé par Ottawa, détient tous les pouvoirs. Mais il doit faire face au Conseil consultatif de l’Assemblée du T.N.-O, dirigé par Frederick Haultain, qui réclame l’instauration d’un gouvernement responsable. Il faudra attendre l’élection de Sir Wilfrid Laurier pour l’obtention du gouvernement responsable en 1897 mais, comme dans le cas du Manitoba, sans détenir de juridiction sur les ressources naturelles. Le gouvernement Haultain demeurait donc dépendant des subsides fédéraux.
Ceux-ci s’avèrent insuffisants avec l’augmentation vertigineuse de la population. Entre 1896 et 1914, on assiste à l’arrivée de plus de 3 millions de personnes. Il faut construire des routes, des écoles, des ponts, des hôpitaux. Pour l’année 1897-98, le T.N.-O a besoin de 427 100 $. Les quelques taxes qu’il peut percevoir ne lui rapportent que 27 100 $ et il ne reçoit d’Ottawa que 242 879 $. Le CPR, bien confortable avec son monopole de 20 ans, ne paie pas de taxes et vend des terres à prix fort.
En 1904, Ottawa cède des droits sur l’exploitation de 95 millions de pieds de bois des forêts du Manitoba, du T.N.-O et de la ceinture de la voie ferrée en Colombie-Britannique. Il loue 2,3 millions d’acres de pâturages et vend 86 000 acres pour l’exploitation du charbon. Le Calgary Herald rugit : « C’est suffisant pour une autre rébellion. Cette fois conduite, non pas par des Métis peu organisés, mais par de robustes et honnêtes habitants de ce pays ».
Haultain dénonce le statut colonial du T.N.-O et réclame la création d’une seule grande province englobant les territoires actuels de la Saskatchewan et de l’Alberta. De plus, il demande d’Ottawa un dollar pour chaque acre de territoire cédé. Pour contrer l’argument voulant que les contribuables des six autres provinces aient payé pour ces territoires, il soutient que le Canada n’a pas acheté les terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson, mais a payé pour l’extinction de ses droits.
Laurier lui promet une réponse après les élections de novembre 1904. Haultain fait le pari d’appuyer les Conservateurs de Borden contre Laurier. Mal lui en prend. Laurier revient au gouvernement à la tête d’une immense majorité, dont 7 députés sur 10 dans le T.N.-O. Il procédera tout de même, en 1905, à la création de deux provinces : la Saskatchewan et l’Alberta.
Leur délimitation rend jaloux le Manitoba. La frontière nord des nouvelles provinces est fixée au 60e parallèle, alors que celle du Manitoba atteint à peine la moitié de cette distance. Le Manitoba n’a pas alors de débouché sur la baie d’Hudson. Le premier ministre Sir Rodmond Roblin gagne, en 1907, une élection en faisant de la réparation de cette injustice le thème de sa campagne.
À suivre.
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