Dans l’histoire des relations des provinces de l’Ouest avec le gouvernement central et les autres provinces, relatée dans son livre Let the Eastern Bastards Freeze in the Dark. The West versus the Rest Since Confederation (Vintage Canada, 2013), Mary Janigan identifie l’échec de la Conférence interprovinciale de 1918 comme un moment décisif.
+++
L’Ouest continue à se peupler à un rythme effréné. Il arrive 143 000 immigrants en 1908; 174 000 en 1909; 286 000 en 1910 et 331 000 en 1911, alors que la population du Canada est d’à peine 7,2 millions d’habitants.
Le déficit fiscal entre les provinces de l’Ouest et le fédéral est de plus en plus criant. Le nouveau premier ministre de l’Alberta Arthur Sifton souligne qu’Ottawa a accordé gratuitement aux immigrants 100 millions d’acres. Il calcule que le gouvernement central a perçu, pour l’année 1909-1910, 2,86 millions $ en revenus de la propriété des ressources naturelles des provinces de l’Ouest, alors que les coûts administratifs ne s’élevaient qu’à 600 000 $.
Dans une lettre envoyée en mars 1911 à Laurier, qui est considéré comme un document fondamental dans l’histoire de l’Ouest, Sifton reprend le combat de Haultain. Il exige le contrôle sur les terres, les mines, le minerai, le bois et les revenus des redevances encaissés par Ottawa depuis une date à déterminer, de même que le plein contrôle sur les cours d’eau administrés par Ottawa en vertu de l’Irrigation Act.
Laurier repousse sa réponse après l’élection de septembre 1911. Une élection qui a pour thème le libre-échange avec les États-Unis. Laurier a l’appui des provinces maritimes et de l’Ouest, mais pas de l’Ontario et du Québec. Il perd aux mains des Conservateurs de sir Robert Borden.
Pour obtenir l’appui des provinces de l’Ouest, Borden leur avait promis de pouvoir gérer leurs ressources naturelles. Les premiers ministres Roblin du Manitoba et McBride de la Colombie-Britannique lui avaient apporté leur soutien. Il s’était traduit par l’obtention de 8 sièges sur 10 au Manitoba et 7 sur 7 en Colombie-Britannique. Cependant, les libéraux Sifton et Scott avaient soutenu Laurier et limité Borden à un siège sur 7 en Alberta et un sur 10 en Saskatchewan. Les fermiers de ces provinces voyaient d’un bon œil le libre-échange, qui leur aurait permis d’acheter à meilleur prix leur machinerie agricole aux États-Unis.
Pour récompenser les provinces dont les électeurs l’avaient appuyé, Borden étend au nord les territoires du Québec, de l’Ontario et du Manitoba, à même le T.N.-O. Le Québec double sa superficie, l’Ontario fait des gains importants et la frontière du Manitoba est repoussée jusqu’au 60e parallèle comme celle de l’Alberta et de la Saskatchewan. Cependant, cette dernière province s’oppose à l’agrandissement du Manitoba parce qu’elle reluquait le territoire ajouté comme débouché sur la baie d’Hudson pour ses producteurs de grains, comme c’était le cas à l’époque du T.N.-O.
En 1913, l’Ouest accueille le nombre record de 400 000 immigrants. Les premiers ministres Sifton et Scott de l’Alberta et de la Saskatchewan profitent d’une conférence interprovinciale pour demander une rencontre avec Borden afin de discuter de leurs revendications et, plus particulièrement, du contrôle des ressources naturelles. Borden invite le premier ministre Roblin du Manitoba à la réunion, croyant y voir un allié contre les deux autres.
Déjà, Borden pouvait compter sur l’appui des provinces maritimes. Elles maintenaient leur opposition au transfert du contrôle des ressources naturelles aux provinces de l’Ouest, en invoquant le fait que leurs contribuables avaient payé les 300 000 livres pour l’acquisition de ce territoire. De plus, elles étaient mécontentes devant les gains territoriaux du Québec, de l’Ontario et du Manitoba à même le T.N.-O, alors qu’elles n’avaient elles-mêmes aucune possibilité d’agrandir leurs territoires. Enfin, la croissance démographique de l’Ouest venait chambouler le système de représentation au Parlement. Il y avait, selon elles, « quelque chose de mauvais » dans un système de représentation qui les pénalise « pour les sacrifices qu’elles ont faits ».
Borden a proposé aux premiers ministres de l’Alberta et de la Saskatchewan le troc suivant : en échange du contrôle des ressources naturelles, elles devaient renoncer aux subsides fédéraux, maintenir les provisions en vigueur pour l’octroi de fermes gratuites aux immigrants-colons et ne pas adopter de mesures qui freineraient le flux continu de l’immigration.
La rencontre tourne à la catastrophe. Le premier ministre Roblin, en qui Borden voyait un allié, bascule dans le camp de Sifton et Scott pour créer ce qui deviendra connu comme la Bande des Trois.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale allait repousser au second plan les hostilités entre la Bande des Trois et le gouvernement fédéral. Mais d’autres sujets de mécontentement allaient surgir. Les fermiers s’opposaient à la conscription qui les privait de leurs garçons, une main-d’œuvre essentielle. De plus, le gouvernement avait enlevé le droit de vote aux citoyens, fort nombreux, originaires des pays ennemis d’Europe centrale et de l’Est. Enfin, les prospecteurs, les spéculateurs et les foreurs de pétrole, présents en grand nombre, avaient ravivé les revendications des gouvernements pour le contrôle des ressources naturelles et des fermiers pour des compensations pour les dommages subis à leur propriété.
La conférence de novembre 1918
Les premiers ministres originaires de la Bande des Trois ont été remplacés au cours de la guerre, mais leurs successeurs se sont présentés à l’importante conférence de novembre 1918 animés de la même flamme revendicatrice.
Le contexte social est à l’origine de cette conférence. Des grèves se multiplient, entre autres dans les mines des Prairies, et l’agitation sociale culminera avec la grève générale à Winnipeg en 1919. À cela s’ajoute la grippe espagnole qui, avec ses 50 000 morts, sera presque aussi dévastatrice que les champs de bataille européens où 60 000 Canadiens perdront la vie. Le gouvernement Borden craint que les soldats démobilisés se joignent dans les villes au mouvement de contestation sociale. Sa solution est de les diriger vers les terres de l’Ouest. Cependant, moins de terres sont disponibles et Ottawa a besoin de la collaboration des gouvernements des Prairies pour exproprier les propriétaires des terres restées en friche et y installer les soldats et les nouveaux immigrants.
Quand Tobias Crawford Norris du Manitoba, Charles Stewart de l’Alberta et William M. Martin de la Saskatchewan s’amènent à Ottawa pour la conférence, ils s’attendent à une certaine reconnaissance par les autorités fédérales de leur immense contribution à l’effort de guerre, qui pourrait se traduire par la cession de la juridiction sur les ressources naturelles.
Les autres provinces ont aussi leurs récriminations et leurs revendications. La Colombie-Britannique demande davantage de subsides et le retour des terres inutilisées cédées au CPR. Les Maritimes veulent sécuriser leurs subsides et il en va de même pour l’Ontario et le Québec.
Mais le ministre de l’Intérieur Arthur Meighen tend un piège à la Bande des Trois. Il accepterait le transfert des ressources en échange de la fin des subsides. Mais il met une condition : l’accord des autres provinces, tout en sachant pertinemment que les provinces maritimes s’y opposeront.
Le premier ministre du Québec, Lomer Gouin, propose une solution de compromis. Il est d’accord avec le transfert des ressources à la condition que les subsides qui étaient alloués aux provinces de l’Ouest soient plutôt remis aux autres provinces en s’assurant qu’aucune d’entre elles ne touche moins de 325 000 $ annuellement.
La discussion tourne en foire d’empoigne. Comme avenue de solution, les trois premiers ministres de l’Ouest acceptent la tenue d’une conférence extraordinaire des représentants des provinces avec pour mandat d’élaborer une résolution exprimant le point de vue de la Conférence sur les demandes de l’Ouest. La résolution serait soumise à Ottawa à la prochaine session. Le piège vient de se refermer. La Bande des Trois venait à Ottawa pour discuter de leurs revendications avec le gouvernement central; elles se retrouvent à débattre avec le Reste du Canada en l’absence du cabinet fédéral. C’est la catastrophe. La Conférence se termine sur un échec.
Du même auteur
2024/10/09 | Le journal papier est vintage |
2024/10/04 | Pour comprendre Trump, Poilièvre et les populistes |
2024/09/13 | Bock-Côté et les sandwiches au jambon |
2024/07/29 | Les bottines suivaient les babines |
2024/06/29 | Marc tenait le micro… |