Dossier : L’Ouest canadien (5) : Mackenzie King aux commandes

2020/04/03 | Par Pierre Dubuc

Dans son livre, Let the Eastern Bastards Freeze in the Dark. The West versus the Rest Since Confederation (Vintage Canada, 2013), Mary Janigan coiffe la description des grandes manœuvres du premier ministre Mackenzie King pour régler les différends qu’ont les provinces entre elles et ceux qu’elles ont avec le gouvernement central du titre suivant : « This makes a virtual reconstruction of Confederation ». Voyons de quoi il en retourne.

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Après l’échec de la Conférence de 1918, l’Ouest continuera à faire valoir ses revendications. Les trois provinces exprimeront leurs inquiétudes lorsqu’elles auront vent qu’Ottawa songerait à concéder à Shell Transport Company les droits exclusifs d’exploration de pétrole et de gaz sur 328 000 milles carrés dans le nord et le centre de l’Alberta et de larges portions du T.N.-O, soit un territoire de 75 000 milles carrés, plus grand que l’Alberta. La législature de l’Alberta adopte une résolution exprimant son désaccord, mais il semble que ce soit plutôt l’opposition de l’Imperial Oil qui a scellé la mort du projet.

Dans la foulée de la Conférence de 1918, ce sera au tour des provinces maritimes de monter au créneau pour faire valoir leurs propres revendications.  Le premier ministre George Murray de la Nouvelle-Écosse rend public un document intitulé « Les revendications de la Nouvelle-Écosse en lien avec les terres de l’Ouest », dans lequel il chiffrait les revendications de sa province. Selon le document, Ottawa avait dépensé 1,5 million $ pour la Terre de Rupert, 40 millions $ pour l’administration de l’Ouest en plus d’accorder 21 millions $ en subsides. Pendant ce temps, la Nouvelle-Écosse n’aurait reçu aucune compensation pour ces largesses et Ottawa aurait négligé les moyens de transport, l’immigration, l’agriculture et les pêcheries de la province. La Nouvelle-Écosse réclame donc 75 millions $ d’Ottawa en compensation pour les injustices passées.

En 1921, le Parti Libéral, avec à sa tête, William Lyon Mackenzie King, est porté au pouvoir, mais à la tête d’un gouvernement minoritaire. L’Ouest demeure un fief conservateur, ces derniers y détiennent 39 des 43 sièges.

La stratégie de King face aux provinces de l’Ouest est d’obtenir un règlement particulier avec chacune d’entre elles, tout en considérant que les autres provinces n’ont pas voix au chapitre. Il soutient qu’il y a équilibre entre les revenus et les dépenses d’Ottawa concernant l’Ouest. Son approche est facilitée par des fissures dans la Bande des Trois. Les trois provinces de l’Ouest ne font plus front commun. Elles ont accepté qu’un futur règlement diffère selon chacune d’entre elles parce que leur situation historique est différente. Le Manitoba a été créé en 1870, soit 35 ans avant la création des autres provinces, et le calcul de ses subsides était dissemblable.

King propose au premier ministre Norris du Manitoba d’examiner la question des ressources depuis la Rébellion de Riel et, advenant l’absence d’entente entre eux, de confier le tout à l’arbitrage exécutoire. Mais les fermiers du Manitoba sont très remontés contre Ottawa et le projet d’entente échoue.

La volonté de King d’écarter les six autres provinces de la question des ressources de l’Ouest est très mal accueillie dans les Maritimes aux prises avec une crise des tarifs du transport de marchandises.


Vent de révolte dans les Maritimes

Les entreprises manufacturières des Maritimes avaient progressé à l’abri des leurs concurrents de l’Ontario à cause de tarifs du transport ferroviaire de 20 à 30 % inférieurs à ceux de cette province. Entre 1900 et 1920, les investissements avaient quadruplé. Mais, à la fin de la guerre, le gouvernement fédéral a fusionné les différentes compagnies ferroviaires en une seule entité. L’homogénéisation des tarifs et leur augmentation subséquente ont entraîné, entre 1916 et 1920, une hausse de 140 à 216 % des tarifs du transport des marchandises dans les Maritimes.

Les industriels, les marchands ont fait front commun avec les mouvements des ouvriers, des fermiers et des pêcheurs contre le reste du pays. Un député conservateur de la Nouvelle-Écosse a même proposé un référendum sur la sécession de sa province et la création d’un Dominion britannique indépendant en invoquant le fait que les tarifs des transports de marchandises violaient l’esprit de la Confédération.

En juin 1925, 60 % des électeurs accordent leur appui au Parti Conservateur et à leur chef Edgar Rhodes, dont la plate-forme fait la promotion d’une Charte des Droits des Maritimes. Même scénario au Nouveau-Brunswick, où les Conservateurs de John Baxter remplacent les Libéraux sur la base d’une plate-forme électorale défendant les droits des Maritimes.

À son tour, le premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard John Bell informe solennellement King qu’il ne peut transférer unilatéralement les ressources à l’Ouest sans régler en même temps les revendications des Maritimes.


Pas de règlement au cas par cas possible

King reçoit le message cinq sur cinq. Il convoque des élections. Mais les Libéraux ne détiendront que 101 sièges sur 245, contre 116 pour les Conservateurs. King réussit, malgré tout, à se maintenir au pouvoir avec l’appui des 24 sièges du Parti progressiste.

Il invite le premier ministre de la Saskatchewan Dunning à se joindre à son cabinet, en lui octroyant le ministère chargé des trains et des canaux. Il y rejoint l’ancien premier ministre Lomer Gouin du Québec.

King parvient à une entente avec l’Alberta, mais les autres provinces réagissent très négativement. Il en va de même de membres de son propre cabinet. Son ministre de la Justice, Ernest Lapointe, inscrit sa dissidence, car il craint que l’entente mette en péril le financement des écoles catholiques de l’Alberta, parce que la province contrôlera dorénavant le fonds prévu pour leur financement. Il demande un addendum à l’entente qui stipulerait que l’Alberta doit administrer les écoles séparées conformément à l’Alberta Act de 1905, qui garantit, là où le nombre le justifie, l’absence de discrimination dans le financement public des minorités catholiques.

En fait, l’entente ne fait pas mention de cette question des écoles séparées, mais Lapointe craint qu’Henri Bourassa, qui siège comme député indépendant à la Chambre des communes, dénonce l’accord s’il ne renforce pas explicitement les obligations de l’Alberta. King convainc le premier ministre Browlnee de l’Alberta d’accepter l’addendum. Mais la Grand Orange Lodge du Canada accuse Ottawa d’avoir forcé l’Alberta à soutenir les écoles catholiques. Browlnee recule et demande le retrait de l’amendement. Pour s’en sortir, King réfère le tout à la Cour suprême. Elle statuera que les garanties contenues dans l’Alberta Act de 1905 sont suffisantes.

À leur tour, les provinces maritimes font entendre leur voix. King ne peut les ignorer. Au cours des trois dernières années, trois gouvernements libéraux ont mordu la poussière. Il crée une commission d’enquête sur la situation dans les Maritimes présidée par l’industriel sir Andrew Duncan avec comme mandat d’examiner la question des tarifs du transport de marchandises et les politiques fédérales de taxation douanière.

De son côté, la Colombie-Britannique n’est pas en reste. Elle réitère sa demande de rétrocession des terres inutilisées concédées au CPR. King réalise qu’il ne peut régler les questions à la pièce.  Il ne peut y avoir d’entente que globale avec l’ensemble des provinces.


Les grandes manœuvres de Mackenzie King

En 1926, King est réélu encore une fois sans obtenir de majorité, mais il peut se maintenir au pouvoir grâce à l’appui de députés progressistes. Il profite d’une situation avantageuse pour mettre en œuvre son plan pour refonder la Confédération.

King augmente substantiellement les subsides annuels aux Maritimes, mais il présente le tout comme une mesure temporaire, dont le renouvellement est conditionnel « au bon comportement » des provinces en cause, et il réduit de 20 % les tarifs du transport ferroviaire.

Puis, il crée une commission royale d’enquête pour examiner les demandes de la Colombie-Britannique.

Enfin, il convoque, pour novembre 1927, une conférence fédérale-provinciale. Ce sera un moment décisif. King amène tous les premiers ministres à mettre de côté leur opposition aux demandes des autres provinces en échange de gains pour leur province.

Le Manitoba et la Nouvelle-Écosse annoncent leur appui aux revendications de la Colombie-Britannique. Les Maritimes ne s’opposent plus à la rétrocession des terres et du contrôle des ressources naturelles aux provinces des Prairies. La Saskatchewan affirme qu’elle accepterait que de 100 000 à 200 000 $ soient alloués à l’Île-du-Prince-Édouard, qui traverse une mauvaise passe, à même les subsides fédéraux versés aux autres provinces. L’ensemble des premiers ministres des provinces donnent leur appui à la principale recommandation du rapport de la Commission Duncan, qui propose de transformer en subsides permanents les subventions temporaires aux Maritimes.

L’Ontario et le Québec appuient toutes ces recommandations. C’est qu’elles ont aussi leurs propres demandes. Elles veulent acquérir le droit de pouvoir vendre l’électricité produite par leurs installations sur la rivière Outaouais et le fleuve Saint-Laurent. La juridiction sur ces installations n’est pas claire, car, en vertu de la Constitution, Ottawa détient les pouvoirs sur les cours d’eau et la navigation, alors que les provinces ont juridiction sur les rives. Le premier ministre Taschereau propose de renvoyer la question à la Cour suprême.

Seule la Colombie-Britannique n’obtient pas satisfaction à cette conférence. Les autres premiers ministres lui demandent d’attendre le rapport de la Commission royale d’enquête sur sa situation. Plus tard, à la publication du rapport, elle sera amèrement déçue. La Commission statuera que le transfert des terres à Ottawa était légal et juste. Cependant, elle demandera à Ottawa de revoir la question dans un esprit de justice et d’égalité. Une entente interviendra ultérieurement entre Ottawa et Victoria.

Enfin, en mai 1919, le Rapport de la Commission royale d’enquête sur le transfert des ressources naturelles au Manitoba confirmera, en plus du transfert, le maintien des subsides et établira, après de savants calculs, qu’Ottawa doit rembourser 3 584 212,49 $ au Manitoba. Un chèque à ce montant fut émis par Ottawa.

Le premier ministre Mackenzie King venait de régler la crise en contentant les provinces. Pour un temps…

À suivre.