Feu l’ONF

2020/05/08 | Par Hugo Latulippe

Après des décennies de coupes dans la production, la création et l’art, l’ONF n’est plus que l’ombre de lui-même. Il ne s’y produit plus que quelques vrais films par année qui connaissent des sorties souvent confidentielles. Depuis 2017, les cinéastes de partout au Canada travaillent à décrypter son organisation, à coups de demandes d’accès à l’information. Les résultats de cette démarche ont démontré assez clairement combien ce haut lieu de la création cinématographique s’est, avec les années, embarrassée d’une administration lourdaude et coûteuse, composée de directeurs avec des titres longs comme ça et des gestionnaires d’on-ne-sait-pas-trop-quoi.

L’ONF est un musée sans conservateur, une école d’art sans historiens ni artistes. L’extraordinaire machine de cinéma documentaire qu’il pourrait encore être est un mirage ; deux tiers des 60 et quelques millions de dollars de crédits alloués par Ottawa à l’institution disparaissent désormais dans l’appareil bureaucratique, le marketing et le salaire des gestionnaires.

Le legs de l’Office, soit l’édification d’une cinématographie nationale, s’est perdu. On divise et saupoudre les précieuses ressources selon des chartes qui ont plus à voir avec les mesurettes à la mode qu’avec l’idée d’une construction artistique et intellectuelle. L’ONF n’est plus un lieu de pensée (…).

Nous sommes nombreux à revendiquer l’héritage cinématographique des maîtres de l’Office. Notre cinéma national descend directement de la tradition documentaire qu’il a contribué à ériger. Philippe Falardeau, Anaïs Barbeau-Lavalette, Denis Villeneuve, Philippe Lesage, Benoît Pilon sont tous d’abord des cinéastes documentaires. Sans parler de l’influence esthétique de ce genre sur notre style : pensons d’abord à J’ai tué ma mère et à Mommy de Xavier Dolan, ou à Chien de garde de Sophie Dupuis.

L’ONF pourrait redevenir un territoire d’exploration fécond, un espace de pensée incandescent pour inventer le monde qui vient. Pour cela, il faudra l’assiéger, le prendre, le libérer. (…)

Lorsque j’ai commencé dans le métier en 1994, il se trouvait encore des responsables aux plus hautes fonctions pour résister à la stricte logique des chiffres. Plus maintenant. Il semble que tout ce beau monde se soit tu ou ait plié l’échine. […]