Mamadou Konaté est un «ange gardien». Il a travaillé comme agent d’entretien ménager dans un CHSLD. Il a été en première ligne dès le début de la crise sanitaire. Parce qu’il n'a aucun statut au Canada, il est aujourd’hui menacé d’expulsion.
Mamadou est malheureusement un exemple parmi tant d’autres de travailleur de première ligne vivant dans l’insécurité en raison de son manque de statut. Sa demande de résidence permanente pour motifs humanitaires ayant été refusée, il ne peut plus qu’attendre une révision ou espérer une régularisation.
Cette situation a été dénoncée par les organisateurs de la vigile d’urgence organisée le mercredi 23 septembre devant les locaux de Passeport Canada, sur le boulevard René-Lévesque. Mamadou Konaté ayant été placé au Centre de prévention de l’immigration (CPI) de Laval, une audience avait lieu ce même jour pour statuer sur sa libération. Des proches et des citoyens que l’histoire de Mamadou a émus ont organisé cette vigile afin de réclamer sa sortie du centre. Or, il n’a pas été libéré. « Il ne s’est pas présenté une fois en février 2019, et donc ils ont jugé qu’il n’était pas fiable, raconte son avocat, Stewart Istvanffy. L’une des personnes [de l’audition] a prétendu qu’elle ne le connaissait pas assez. »
Solidarité avec les sans-papiers
« Statut pour tous et toutes. Personne n’est illégal ! » et « Solidarité avec les sans-papiers » ont scandé les militants et sympathisants lors de la vigile. Les participants ont non seulement défendu Mamadou, mais aussi dénoncé la situation des travailleurs étrangers qui ont travaillé dans les secteurs essentiels pendant la crise sanitaire. Ces anges gardiens n’ont pour l’instant reçu que des remerciements. Et parmi eux, nombreux sont ceux qui n’ont aucun statut légal sur le territoire, comme Mamadou, qui est réfugié. Il avait un visa de travail fermé lié au CHSLD qui l’employait ; il était donc travailleur temporaire. « Il a travaillé jusqu’au bout, jusqu’à sa détention. Il m’a dit qu’il voulait retourner travailler demain, s’il le pouvait », a déclaré Me Istvanffy lors d’une conférence de presse, le 25 septembre.
Pour répondre à cet enjeu et aux revendications de la société civile, les gouvernements du Québec et du Canada ont conclu, le 13 août dernier, une entente prévoyant la création d’un programme de régularisation des personnes sans statut ayant travaillé dans le secteur de la santé. Mais cette porte ouverte à la résidence permanente ne sera pas accessible à tous les travailleurs étrangers dits essentiels durant la COVID-19. Les critères énoncés ne permettront qu’à moins d’un millier de personnes d’obtenir leurs papiers. Pour être admissible, il est nécessaire d’être un demandeur d’asile et d’avoir travaillé un certain nombre d’heures directement auprès des malades. Les préposés à l’entretien, comme Mamadou, et les agents de sécurité n’ont donc pas droit de profiter du programme de régularisation des anges gardiens de la santé, qui est uniquement destiné pour l’instant, répétons-le, au personnel soignant.
Nous avons écrit à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) afin d’en savoir davantage sur la possibilité d’un élargissement des critères. Béatrice Fénelon, la porte-parole du ministère, nous a rappelé les termes de la mesure, laquelle est une « initiative ponctuelle [qui] est assortie de critères très précis qui reconnaissent le service des travailleurs du secteur des soins de santé, où il existe un besoin urgent d’aide et où ils mettent leur propre vie en péril pour s’occuper d’autrui ».
L’histoire de Mamadou Konaté
Mamadou Konaté est arrivé au Québec en 2016. Il voulait vivre, étudier et travailler loin de la guerre, lui qui avait été fait prisonnier durant l’un des conflits armés qui déchirent son pays, la Côte d’Ivoire, depuis 2002. Ici, il a appris le français et s’est engagé auprès d’organismes communautaires. Il a travaillé dans un centre de recyclage, dans les forêts du Nord-du-Québec et, plus récemment, dans un CHSLD. C’est à cette occasion qu’il a été agent d’entretien ménager dans des locaux contaminés, en première ligne aux côtés des malades. Il a d’ailleurs contracté la COVID-19 en avril et a été obligé de se débrouiller seul, faute de soutien du gouvernement. Une fois rétabli, il est retourné travailler.
« Des amis m’ont dit que Mamadou avait des difficultés ; alors, je l’ai aidé pendant sa quarantaine. C’est comme ça que je l’ai rencontré. Il a mis sa vie en danger pour des gens comme moi, et là, le gouvernement veut le déporter », s’est indigné Mathieu lors de la vigile d’urgence. Ses proches se sont mobilisés pour le soutenir dans ses épreuves, notamment ce mercredi 23 septembre, jour de l’audience de révision où on devait se prononcer sur sa libération du CPI. Ils réclament la libération de Mamadou, l’annulation de l’avis de déportation et la révision de la décision touchant la résidence permanente.
Reconnu comme réfugié par les Nations unies et la Croix-Rouge, Mamadou avait demandé la résidence permanente pour motifs humanitaires, présentant notamment un dossier complet de lettres de soutien et de preuves confirmant son passé difficile. Mais sa demande a été rejetée. « On attend toujours les motifs, mais on soupçonne qu’il a été déclaré inadmissible parce qu’il a été membre d’un groupe qui a voulu renverser un gouvernement par la force [celui de la Côte d’Ivoire, NDLR]. Je ne suis pas d’accord avec ce genre d’accusation. Si on refuse la résidence à quelqu’un qui a voulu renverser un gouvernement répressif, cela veut dire qu’on appuie les pires gouvernements du monde. Notre loi est mal foutue », déclare Stewart Istvanffy.
Le 19 septembre, après avoir reçu son avis de déportation, il s’est rendu volontairement avec son avocat au CPI pour faire suspendre sa déportation et demander une révision de sa demande de résidence. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé au centre.
« S’ils n’étaient pas là, on ne mangerait pas »
Parmi les travailleurs étrangers qui se sont révélés essentiels durant la crise sanitaire, il faut citer les travailleurs temporaires. « Ils font des jobs qu’on ne ferait pas, comme en agriculture. S’ils n’étaient pas là, on ne mangerait pas. J’ai déjà travaillé dans le secteur agricole avec des travailleurs temporaires étrangers et j’étais vraiment minoritaire. Les neuf dixièmes des employés là-bas sont étrangers, latino-américains. J’ai eu du mal à les suivre, honnêtement. Ils ont l’habitude de travailler 16 heures par jour, et moi, je faisais difficilement mes 8 heures », a raconté Mathieu.
« Mamadou est un bon ami à moi. On s’est rencontrés grâce à des amis, et on a eu des projets d’affaires ensemble. De manière plus large, je ne suis pas d’accord avec ce que le gouvernement fait. On a fait de fausses promesses à des travailleurs comme Mamadou. Cela fait quatre ans qu’il attend un statut. Je suis extrêmement déçue, car on sait aussi que son travail est essentiel. Comme lui, beaucoup de travailleurs ont entretenu de grands espoirs à la suite de ces promesses de régularisation », a déclaré avec indignation Arielle lors de la vigile pour Mamadou Konaté. Pour elle, sa détention est absurde dès qu’on considère son parcours professionnel ou son dossier de résidence. Elle souhaiterait qu’il soit au moins libéré du centre de Laval pour pouvoir se protéger de la seconde vague de COVID-19 qui arrive au Québec.
Conditions sanitaires
Les conditions sanitaires au CPI font en effet craindre pour sa sécurité. Abdul, lui aussi sans-papiers, a été placé au centre de Laval plus tôt lors de la crise sanitaire. « Le gouvernement parlait de mesures de distanciation sociale, mais on ne les voyait pas appliquées au centre. Avec d’autres détenus, on a commencé une grève de la faim pour demander des modalités de détention respectueuses. On a beaucoup souffert. Mais au bout de 10 jours, on nous a libérés, moi et presque tous les autres, sous conditions. Aujourd’hui, je suis toujours en liberté conditionnelle », a-t-il raconté au cours de la vigile. Abdul est originaire du Sénégal, et sa demande d’asile a été refusée plus tôt cette année. Il a été convoqué pour recevoir un avis d’expulsion. Perdu et sans avocat, il a décidé de ne pas y aller et a fini par être arrêté et placé au CPI. « Je suis ici pour Mamadou, mais aussi parce que cela pourrait être moi dans quelque temps. J’attends la révision de ma demande », a-t-il poursuivi.
Lors de l’audience où l’on devait statuer sur la libération de Mamadou Konaté, aucune mention de la COVID-19 ne pouvait être faite. « C’était délirant comme audience, on ne pouvait rien dire sur la pandémie », s’est souvenu son avocat, Me Stewart Istvanffy. Il raconte toutefois que Mamadou est en quarantaine depuis son arrivée au centre et que ses conditions de détention sont pour l’instant correctes. Avec la recommandation de Béatrice Fénelon, d’IRCC, nous avons écrit à l’Agence des services frontaliers du Canada, responsable du centre de Laval, pour savoir quelles mesures sanitaires y sont appliquées, mais nous n’avons eu aucune réponse.
« La suite des choses dépend en grande partie de la politique », affirmait Me Istvanffy le 24 septembre, alors que Québec solidaire s’emparait du dossier pour le présenter à la ministre québécoise de l’Immigration, Nadine Girault. Le lendemain, les députés Andrés Fontecilla et Gabriel Nadeau-Dubois organisaient une conférence de presse devant le Complexe Guy-Favreau et les locaux de Passeport Canada en compagnie de Me Istvanffy. Ils en ont appelé à la responsabilité et à l’humanité du gouvernement. « Le Québec a besoin de lui. On traite un ange gardien comme un criminel, et cela est inacceptable. Au lieu de le déporter, on devrait le remercier en lui octroyant un statut permanent. Il faut que le gouvernement du Québec s’implique pour régler cette grave injustice », a dénoncé Andrés Fontecilla, député de Laurier-Dorion. Quant à Gabriel Nadeau-Dubois, député de Gouin, il a réclamé une intervention de la ministre de l’Immigration « dès les prochaines heures pour interrompre cette déportation insensée ». « Le Québec doit donner un CSQ [Certificat de sélection du Québec] à M. Konaté », a-t-il ensuite martelé.