Les libéraux et le sauvetage du secteur pétrolier

2020/10/02 | Par Monique Pauzé

Si la société d’État Exportation et développement Canada (EDC) doit rendre compte de ses activités au Parlement par l’intermédiaire du ministre du Commerce international, ses pouvoirs accrus, son rôle dans le sauvetage du secteur pétrolier et son manque de transparence inquiètent.

Par le passé, le mandat d’EDC consistait à soutenir les activités commerciales des entreprises canadiennes à l’étranger. Or, depuis la crise économique de 2008, le Parlement a élargi le mandat d’EDC pour permettre le soutien d’activités commerciales intérieures. Ces pouvoirs devaient être temporaires, mais ils sont toujours effectifs de nos jours. Si EDC est liée par les mêmes engagements que l’État, notamment ceux à l’égard du climat, la Loi sur le développement des exportations lui accorde un pouvoir discrétionnaire de gérer les risques environnementaux à sa guise.

Il est déplorable que la révision de cette loi, prévue tous les dix ans, soit demeurée au point mort en 2018 et que rien ne semble vouloir bouger au Comité sur le commerce international.

 

Problème de transparence

Les problèmes de transparence  d’EDC ont été décriés par plusieurs observateurs. Le Globe and Mail est même jusqu’à définir l’organisme de société d’État ayant « des tendances au secret ». Un rapport du gouvernement a été préparé dans le cadre de l’examen parlementaire de sa Loi constitutive et il confirme les pratiques de divulgation déficientes d’EDC. Étrangement, ce rapport a été tabletté.

En ce moment, il est impossible de savoir comment EDC évalue sa clientèle sur les risques environnementaux et sociaux, y compris les répercussions climatiques négatives et les violations des droits de la personne. EDC divulgue rarement les raisons qui la poussent à choisir une société plutôt qu’une autre, de même que les conditions d’appui qu’elle exige. En 2019, EDC a publié sa première politique sur les changements climatiques, mais celle-ci n’engage aucunement EDC à éliminer progressivement son soutien au secteur pétrolier et gazier. Cette politique lui laisse la liberté de maintenir ou d’accroître son soutien pour des projets d’exploitation en cours ou en aval, c’est aberrant.

 

Une aide soutenue pour le secteur pétrolier et gazier

Dans un premier temps, il faut savoir que EDC gère le Compte du Canada qui existe depuis 1982. Ce compte attire particulièrement l’attention depuis qu’il est devenu l’outil d’achat du controversé oléoduc Trans Mountain.

Avec le Compte du Canada, ce sont les ministres qui facilitent les prêts et/ou garanties qu’ils estiment « être dans l’intérêt national », mais qu’EDC n’appuierait pas en raison des risques financiers qu’ils présentent. Cette façon de faire est répréhensible puisque si EDC n’arrive pas à respecter ses obligations, c’est le gouvernement du Canada qui paye la note avec l’argent des contribuables.

L’évaluation des risques environnementaux et sociaux d’EDC est douteuse. En utilisant le Compte du Canada, le gouvernement fédéral et EDC peuvent ignorer à la fois les risques environnementaux et financiers d’un projet qu’ils veulent voir se concrétiser. Ces prêts consentis peuvent facilement devenir des subventions comme ce fut le cas avec Chrysler dont la dette de 2,6 milliards de dollars a été radiée en 2018, et ce, en toute catimini.

Avant la pandémie, EDC versait annuellement 13,8 milliards de dollars en moyenne à l’industrie pétrolière et gazière. En cinq ans, l’organisme a accordé 12 fois plus d’aide à ce secteur qu’à celui des technologies propres même si le déclin des énergies fossiles était déjà amorcé. Comme les activités du Compte du Canada sont financées à même les recettes du gouvernement, elles sont directement assumées par les contribuables.

 

L’EDC à l’ère de la COVID-19

En plus du soutien habituellement offert au secteur du pétrole et du gaz, EDC est désormais sollicité pour verser des milliards de dollars dans le cadre du Plan d’intervention économique du gouvernement en réponse à la COVID-19.

La loi qui régit EDC a donc été modifiée pour élargir son mandat  dont le budget passif total est passé de 45 à 90 milliards $ alors que celui du Compte du Canada a bondi de 20 à 75 milliards $ pour la période allant jusqu’à octobre 2020.

Cela s’articule par des garanties sur les prêts consentis par différentes institutions bancaires canadiennes auprès de PME. L’aide au secteur pétrolier et gazier était prioritaire au début de la pandémie, mais le gouvernement a finalement élargi cette aide à d’autres secteurs. La première annonce faite par le gouvernement Trudeau offrait une garantie de 80 % des prêts allant jusqu’à 6,25 millions $ alors que la deuxième offrait une garantie de 75 % des prêts allant jusqu’à 80 millions $.

On parle ici de sommes colossales. Certes, la pandémie exige que les travailleurs soient soutenus. Par contre, cela ne doit pas s’effectuer au détriment de la transition énergétique et des engagements internationaux du Canada à l’égard de la crise climatique. Il est important de souligner l’incompatibilité des actions d’EDC avec les engagements du Canada en vertu des Accords de Paris, et de dénoncer les modifications législatives qui n’encadrent pas l’activité d’EDC en ce sens.

Déjà, la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement et la Société suédoise de crédit à l’exportation ont pris des mesures pour se départir des investissements qu’ils avaient dans les énergies fossiles albertaines. L’OCDE et l’Agence internationale de l’énergie pressent les États à coordonner leurs efforts de rétablissement liés à la COVID-19 avec l’élimination progressive du soutien à ce type d’énergie. Le Canada doit arrêter de regarder la parade et agir. 

Compte tenu de la place qu’occupe EDC dans un contexte économique de relance post-COVID, il est urgent que le Parlement soit saisi des lacunes importantes présentées par cette société d’État, particulièrement en ce qui concerne la transparence de ses politiques, ses bilans et son action déficiente à l’égard du climat.