À l’occasion du 50e anniversaire des Événements d’Octobre 1970, de nombreux articles, livres et films sont parus. Le grand mérite de plusieurs d’entre eux est d’avoir contextualisé les événements, en rappelant les motivations des felquistes et le contexte mondial dans lequel ils se sont déroulés. Mentionnons à cet égard l’excellent film Les Rose et la série Le dernier felquiste.
Mais que s’est-il passé au sein de la gauche et du mouvement indépendantiste après Octobre 1970? Quelles leçons en ont tiré les leaders reconnus de la mouvance felquiste pour amener une bonne partie de la gauche qui scandait dans les rues de Montréal « SOS FLQ » à se retrouver dans le camp du NON lors du référendum de 1980 ? Les membres des cellules Chénier et Libération étaient hors-jeu, mais d’autres leaders, principalement Pierre Vallières et Charles Gagnon, ont défini par leurs interventions et leurs actions (ou leur inaction) le parcours qu’allait emprunter au cours des décennies suivantes la gauche québécoise.
Nous avons analysé en profondeur leurs écrits, leurs engagements et leurs conséquences dans L’autre histoire de l’indépendance, un ouvrage paru en 2003 aux Éditions Trois-Pistoles. Plusieurs livres ont été publiés depuis sur l’histoire de la gauche et du mouvement indépendantiste, mais nous considérons que l’angle privilégié dans ce livre demeure pertinent et riche en enseignements. Le tirage du livre étant épuisé, nous avons décidé d’en publier de larges extraits dans une série de 13 articles.
Introduction
Le point de départ de ce livre est l’année 1972 où nous retrouvons la genèse des grands courants politiques qui marqueront la vie politique du Québec des trente dernières années. C’est en 1972 que Pierre Vallières publie L’Urgence de choisir, livre dans lequel il tire les leçons de la Crise d'Octobre et de l'expérience felquiste. Prenant la mesure du rapport de force entre le pouvoir et les groupes révolutionnaires, de l'assassinat des leaders des Black Panthers, de Martin Luther King et de Che Guevara, Vallières prône l'abandon de la théorie du « foyer » révolutionnaire, une voie sans issue, devenue l’objet des manipulations policières.
Vallières proclame que la lutte de masse au Québec emprunte la voie électorale et il préconise l'entrée de la gauche dans un Parti québécois en plein développement où est en train de se cristalliser l'alliance entre les souverainistes, le mouvement syndical et les membres des comités de citoyen, ce qui ne manque pas de jeter la frénésie dans le camp fédéraliste. Vallières écrit que « le mouvement indépendantiste québécois a un contenu objectivement progressiste et révolutionnaire » et que « le PQ constitue la principale force politique stratégique de ce mouvement indépendantiste ».
1972 est également l’année de la publication de Pour le parti prolétarien de Charles Gagnon. Conçu à l’origine comme une réponse à Pierre Vallières, le pamphlet de Charles Gagnon deviendra l’acte fondateur du mouvement maoïste québécois dont les principaux protagonistes seront le groupe En Lutte et la Ligue (marxiste-léniniste) du Canada qui prendra par la suite le nom de Parti communiste ouvrier (PCO). Les deux groupes feront du Parti québécois leur principal ennemi et appelleront à l’annulation lors du référendum de 1980.
Enfin, c’est aussi en 1972 que Claude Morin, grand mandarin de la fonction publique québécoise, adhère au Parti québécois pour en devenir le stratège en chef. Il vend d’abord à René Lévesque, puis à l’ensemble du Parti québécois, la stratégie de « l’étapisme » dont l’objectif est de repousser le plus loin possible dans le temps le moment où le peuple québécois pourra se prononcer sur son avenir constitutionnel. Vingt ans plus tard, il sera révélé que Claude Morin était un agent rémunéré des services secrets canadiens.
Nous allons suivre les destins de ces trois hommes et l’impact de leurs idées sur l’évolution de la situation politique du Québec et qui se répercutera bien au-delà de la période où ils ont été actifs. Nous plongerons dans les débats qui ont traversé la gauche québécoise et qui ont déchiré le Pari québécois. Des débats qui prennent tout leur sens dans le contexte de l’intense chassé-croisé entre le Québec, le Canada et les États-Unis, où se glisse également la France. Les intérêts des différents intervenants sont mis en lumière, les alliances et les revirements d’alliances expliquées.
Cet ouvrage est sans doute l’essai d’interprétation historique le plus élaboré sur toute cette période et les leçons qui en sont tirées devraient être au cœur du débat qui s’amorce sur la reprise de la lutte du peuple québécois pour son émancipation.
Ce texte est tiré du livre de Pierre Dubuc, L’autre histoire de l’indépendance, un ouvrage paru en 2003 aux Éditions Trois-Pistoles. Les autres extraits se trouvent dans le Dossier : L’après Octobre, sur le site de l’aut’journal.
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