L’après Octobre 1970 (2/13) : Pierre Vallières et l’urgence de choisir

2020/10/27 | Par Pierre Dubuc

Quand Pierre Valllières fait paraître dans Le Devoir des 13 et 14 décembre 1971 de larges extraits de L’Urgence de choisir, il s’agit d’une véritable bombe politique. L’auteur de Nègres blancs d’Amérique effectue un tournant majeur. Tirant les leçons de la Crise d’Octobre, mais également des revers du mouvement révolutionnaire américain et latino-américain, Vallières condamne le recours à la théorie de la « violence révolutionnaire ». Prenant également acte du développement fulgurant du Parti québécois, créé trois ans auparavant, il propose à la gauche d’y voir une force potentiellement révolutionnaire et d’en joindre les rangs. Tout un revirement pour quelqu’un qui avait jusque-là dénoncé l’électoralisme et voyait dans le développement du nationalisme « petit-bourgeois » québécois poindre l’ombre du fascisme.

Pierre Vallières s’était rendu célèbre avec la publication de Nègres blancs d’Amérique – Autobiographie précoce d’un « terroriste » québécois. Ce livre synthétisait la colère et les idées de toute cette génération de jeunes révoltés de la fin des années 1950 qui allaient, au cours de la décennie suivante, s’identifier au mouvement révolutionnaire de décolonisation – plus particulièrement à la révolution cubaine – et promouvoir une solution révolutionnaire à la question du Québec. On retrouve dans Nègres blancs l’interprétation que se faisait cette génération de l’histoire du Québec, perçue comme une colonie de porteurs d’eau et de scieurs de bois. S’y élabore également le projet d’un Québec socialiste, encore rudimentaire et fragmentaire, dont curieusement les références ne sont pas Marx ou Lénine, mais les économistes Baran, Sweezy et André Gunder Frank de la revue américaine Monthly Review qui avaient, à cette époque, beaucoup d’influence sur la gauche québécoise.

Cependant, les plus belles pages de Nègres blancs sont sans conteste celles dans lesquelles Vallières relate son enfance à Ville Jacques-Cartier, dans ce bidon-ville de Coteau Rouge où les maisons étaient en tôles et les égouts à ciel ouvert.  Tout le génie de Vallières est d’avoir brillamment résumé notre histoire et notre condition de Québécois dans ce si beau titre de Nègres blancs d’Amérique. C’était l’envers, dans un effet miroir, du discours de l’oppresseur anglophone et de son arrogant « Speak White ». Vallières avait saisi l’essence même de notre « américanité », dirions-nous pour employer une expression à la mode. Une américanité bien différente du mythe, que certains essaient de propager, du Québécois, émule du colon américain de la Frontier.

Les conditions de la rédaction de Nègres blancs ne sont pas étrangères à cette perspective. Le manuscrit a été rédigé en prison, au Tombs, la sinistre Manhattan House of Detention for men où la très grande majorité de la population carcérale était composée de Noirs. Pierre Vallières et Charles Gagnon y ont été incarcérés à la fin de 1966 et au début de 1967. Le livre a été écrit après une grève de la faim de 29 jours. 

Vallières et Gagnon y ont été emprisonnés pour avoir manifesté devant les Nations unies les 25 et 26 septembre 1966 pour réclamer le statut de prisonniers politiques pour leurs camarades incarcérés à Montréal et faire connaître au monde entier la lutte de libération nationale du peuple québécois. Vallières et Gagnon s’étaient réfugiés à New York auprès de groupes de militants des Black Panthers après la dislocation par les forces policières du réseau felquiste qu’ils venaient de mettre en place.

Vallières et Gagnon s’étaient connus à l’Université de Montréal au début des années 1960. Ils avaient tous les deux participé à la revue Cité Libre animée par Gérard Pelletier et Pierre Elliott Trudeau. En 1964, les deux rompent avec Cité Libre et créent la revue Révolution québécoise où ils prônent l’indépendance du Québec, mais critiquent le nationalisme et mettent de l’avant les luttes ouvrières.  À l’automne 1965, ils optent pour le FLQ et la clandestinité.

Après une série d’actions violentes dont le dépôt de bombes à l’usine Lagrenade et à la Dominion Textiles lors de conflits de travail, le réseau est démantelé par la police; Vallières et Gagnon se réfugient à New York.

Dans la revue clandestine L’Avant-garde, publiée en 1966, Vallières et Gagnon avaient jeté les fondements idéologiques de cette nouvelle vague du FLQ au contenu plus social que la première nettement plus nationaliste. Dans Le FLQ : un projet révolutionnaire, Lettes et écrits felquistes (1963-1982), sont reproduits les principaux écrits de cette époque. S’inspirant de la Guerre de guérilla de Che Guevara et de Révolution dans la révolution de Régis Debray, Vallières et Gagnon proposent une véritable guerre de libération. Dans un texte intitulé « Le combat du FLQ, son but, ses moyens », Vallières écrit qu’il s’agit de « fournir au peuple l’occasion, les motifs et les moyens matériels a) de se soulever contre l’autorité établie, b) de conquérir le pouvoir de l’État et, finalement, c) de substituer un « ordre nouveau » aux anciennes structures, la conquête du pouvoir ou l’indépendance ne devant être qu’une étape sur la voie de la transformation politique, économique, sociale et culturelle du pays. »

Plus loin, dans le même texte, il résume ainsi les buts tactiques de cette guerre de partisans : « 1) affaiblir l’infrastructure coloniale, son système de communications, son économie, son gouvernement, ses institutions; 2) désorienter les forces de répression, les diviser, les disperser, les démoraliser et les désorganiser complètement; 3) enfin, gagner le soutien de la population, obtenir sa confiance en lui prouvant qu’on est une force sur laquelle elle peut compter pour remplacer l’ordre établi et se libérer efficacement ».

Vallières identifie trois phases à cette lutte de libération : « 1) conquête d’un soutien populaire suffisamment étendu à l’idée d’indépendance; 2) ouverture d’une période d’actions directes dans le but de provoquer une première brèche dans l’ordre établi, d’exalter les passions populaires, d’obliger le régime à se révéler publiquement tel qu’il est et de saper le moral des adversaires; 3) enfin, l’offensive générale ».

Vallières et Gagnon considéraient que la situation au Québec commandait l’ouverture de la deuxième phase.

De plus, « pour intégrer les masses à la lutte de libération nationale », les deux auteurs donnent au FLQ le mandat de susciter la création de « comités populaires de libération » sur l’ensemble du territoire. Vallières donne des exemples possibles de l’activité de ces comités : s’emparer d’une scierie fermée et la faire fonctionner sans l’assentiment de ses propriétaires; regrouper les éléments les plus dégourdis de la population d’un quartier populaire comme Saint-Henri et les amener à aller saisir les équipements scolaires et sportifs de Westmount; voler un camion de Steinberg pour assurer la distribution de vivres à des travailleurs en grève; pour régler le problème du logement, rénover et « exproprier » les logements rénovés. Ces actions devaient se faire sous la protection armée du FLQ. Toutes ces formes d’action étaient inspirées par celles mises de l’avant par les Black Panthers aux États-Unis.

Vallières résumera dans Les Héritiers de Papineau la perspective qui était alors la leur : « Comme les radicaux du mouvement noir américain (SNCC, Black Panthers), nous avions le sentiment de participer par notre action à la construction d’une avant-garde continentale et multiraciale ». 

Ce bref résumé nous aide à comprendre l’orientation générale du FLQ de Vallières et Gagnon. Soulignons, au passage, que les cellules Libération et Chénier en 1970 partageaient les mêmes visées.

Difficile aujourd’hui de relire ces textes sans s’étonner de la naïveté de leurs auteurs. Mais, il faut se replacer dans le contexte de l’époque où régnait une grande agitation sociale et politique, au Québec mais également aux États-Unis, en Amérique latine et dans l’ensemble du monde. « Il était doux, en ce temps-là, écrit Vallières dans Les Héritiers de Papineau, de se raconter des histoires, de croire la révolution socialiste « imminente » un peu partout dans le monde et de penser que l’empire américain, embourbé au Viêt-nam, était sur le point de s’effondrer ».

Difficile également d’imaginer aujourd’hui l’influence considérable de la révolution cubaine et encore plus du mythe de cette révolution. Une douzaine de barbudos menés par Fidel Castro avaient débarqué à Cuba et quelques trois années plus tard ils prenaient le pouvoir. Le mythe passait évidemment sous silence qu’ils avaient eu le soutien du Parti communiste cubain et avaient bénéficié de circonstances exceptionnelles.

 

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Après quatre mois de détention au Tombs, Vallières et Gagnon sont libérés pour être aussitôt kidnappés par les autorités canadiennes et incarcérés à la prison de Bordeaux.  Après une année d’attente, Vallières subit finalement son procès sous l’accusation d’homicide involontaire de Thérèse Morin, secrétaire à l’usine Lagrenade, tuée lors de l’explosion de la bombe placée par le FLQ. Son attitude, ses paroles et ses écrits lui valent une condamnation à perpétuité le 5 avril 1968.

Soulignons que des accusations de sédition furent alors portées contre Vallières pour la publication de Nègres blancs d’Amérique. Sur l’ordre du ministère de la Justice, la police saisit tous les exemplaires du livre en librairie et en stock, y compris l’exemplaire déposé par l’éditeur à la Bibliothèque nationale. Furent également poursuivi pour sédition Gérald Godin, Claire Dupond et les Éditions Parti Pris pour avoir publié le livre et Jacques Larue-Langlois pour avoir contribué à sa diffusion.

Un an plus tard, la Cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès, au terme duquel la sentence est commuée à trente mois de prison. Le 26 mai 1970, Vallières obtient sa remise en liberté provisoire après quarante-quatre mois de prison.

 

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L’itinéraire militant de Vallières nous aide à comprendre le formidable changement de cap prôné dans L’Urgence de choisir. Dans ce texte, il tire les leçons des Événements d’Octobre 1970, évalue le rapport de forces et prend ses distances avec le volontarisme guévariste. « On ne provoque pas, écrit-il, au nom du peuple l’armée du pouvoir en place quand on ne possède pas soi-même une armée dans laquelle un peuple peut se reconnaître, s’intégrer consciemment, et par un combat politique, s’acheminer vers la conquête du pouvoir politique et la réalisation de ses objectifs sociaux ». Et Vallières sait pertinemment que le FLQ ne constitue pas et n’a jamais constitué une telle armée. « Il n’y avait au Québec ni organisation révolutionnaire ni véritable mouvement de libération nationale », écrira-t-il plus tard dans Les Héritiers de Papineau.

On ne provoque pas le pouvoir sans raison d’autant plus si celui-ci, écrit Vallières dans L’Urgence, « recherche un affrontement qui, espère-t-il, lui fournira l’occasion d’écraser par la force le peuple québécois en détruisant les organisations qu’il s’est données pour s’affranchir : le PQ, les centrales syndicales, les comités de citoyens. La crise d’octobre 1970 a fourni au pouvoir l’occasion d’une « répétition générale » de ce scénario classique ».

La conjoncture internationale des dernières années amène Vallières à une réévaluation de la stratégie à déployer. Dès 1967, rappellera-t-il dans Les Héritiers, l’assassinat à Oakland de Bobby Hutton, l’arrestation de Huey P. Newton et l’exil algérien d’Elridge Cleaver, personnalités marquantes des Black Panthers, annonçaient l’effondrement et l’échec du mouvement révolutionnaire américain. Dans le même ouvrage, Vallières ajoute que « la mort du Che en 1967 marquait de façon spectaculaire et tragique l’échec de la lutte armée révolutionnaire coupée des masses et uniquement fondée sur le radicalisme impatient d’une avant-garde en colère ».

L’analyse proposée dans L’Urgence est beaucoup plus fine et complexe que ce simple constat du véritable rapport de forces entre l’impérialisme et les forces révolutionnaires. Vallières y va d’une analyse fort pénétrante de l’impérialisme américain et de ses relations avec le Canada et le Québec sur la question de l’indépendance du Québec. « Il faut se garder, dit-il, de l’illusion d’une indépendance facile. La bourgeoisie canadian, l’impérialisme américain et leurs valets autochtones vont résister avec la dernière énergie à notre volonté d’indépendance ».

Il poursuit : « Trop d’illusions sont encore véhiculées au sujet des avantages que les États-Unis pourraient trouver à l’indépendance du Québec comme si le Canada tel qu’il est constitué présentement ne servait pas au maximum leurs intérêts impérialistes ».

Deux référendums plus tard, cette analyse tient toujours la route. Que les États-Unis aient exprimé à l’occasion un certain soutien aux revendications nationalistes du Québec – comme la fameuse déclaration d’un membre de la famille Rockefeller en faveur du français au cours des années 1970 – pour obliger le gouvernement Trudeau à mettre en sourdine ses velléités nationalistes, cela ne constituait certes pas un soutien à l’indépendance du Québec. Que Washington se soit servi de la déception des nationalistes québécois au lendemain du référendum de 1980 pour faire adopter le libre-échange – l’appui du gouvernement Lévesque au « beau risque » du Parti conservateur de Brian Mulroney – n’est pas non plus synonyme d’un appui à la souveraineté du Québec.

La réflexion de Vallières va beaucoup plus loin que le jeu politique à trois entre le Québec, le Canada et les États-Unis. Il aborde ce qui constitue l’essence même de l’impérialisme, c’est-à-dire la division entre nations oppressives et nations opprimées où le Québec est bien évidemment dans le camp des nations opprimées.

Pour lui, la domination impérialiste s’exerce principalement sur les secteurs-clés de l’économie et suffit « pour influencer directement l’ensemble d’une collectivité, surtout d’une collectivité colonisée ». Il en tire la conclusion capitale que, dans le cadre d’un tel système, « l’édification d’un capitalisme national par une société comme le Québec, même avec l’aide d’un État souverain, est une impossibilité économique et politique ».  Il prend alors le contre-pied des « marxistes » de l’époque qui attribuaient au PQ le noir dessein « de faire accéder la moyenne bourgeoisie à la position de bourgeoisie nationale ».

Cette question soulevée par Vallières est fondamentale à l’établissement de toute stratégie politique. Malheureusement, elle a été complètement escamotée au cours des décennies suivantes. En fait, fort curieusement, fédéralistes et souverainistes partagent aujourd’hui la même conception d’une économie québécoise « moderne et normale », exempte d’oppression économique.

Que les fédéralistes tiennent ce discours n’a rien de surprenant. Ils ont toujours nié l’oppression nationale. Le retard économique du Québec s’explique, selon eux, historiquement par la présence de l’Église et de forces obscurantistes. La Conquête britannique est toujours présentée comme un facteur de progrès, de la même façon que les impérialistes soutiennent aujourd’hui que la voie de l’émancipation des pays du tiers-monde réside dans leur ouverture au marché mondial et l’adoption des mesures prônées par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.

Au cours des années 1960, les souverainistes – et de façon plus large les nationalistes – reconnaissaient l’infériorité économique du Québec et en faisaient reposer la responsabilité sur la domination du Canada anglais et des États-Unis. À défaut de la présence d’une bourgeoisie nationale signifiante, l’État québécois était perçu comme l’instrument privilégié pour redresser la situation. C’est à cette fin que furent créées une multitude de sociétés d’État comme Hydro-Québec, la Caisse de dépôt, la SGF, Rexfor (forêt), Sidbec (sidérurgie), Soquia (agriculture), Soquip (pétrole) et autres.

Plusieurs des initiatives prises en ce domaine par le gouvernement du Québec se sont butées à l’opposition des monopoles et des milieux d’affaires étrangers et n’ont pu être menées à terme. Puis, les dirigeants souverainistes se sont convertis au cours des années 1980 au discours ambiant favorable aux privatisations. Plusieurs sociétés d’État ont été privatisées au profit d’amis du régime ou sont passées carrément en des mains étrangères. Les ténors souverainistes ne jurent plus que par la mondialisation. Jacques Parizeau prononce des conférences dans les départements d’économie des universités québécoises dans lesquelles il célèbre la mort des économies nationales ! En fait, les souverainistes ont adopté le discours des fédéralistes et des impérialistes.

Le problème est qu’aucune étude sérieuse sur l’économie du Québec n’a été produite depuis belle lurette. Les historiens, les économistes et les autres chercheurs potentiels ont tous adopté le discours libre-échangiste et néolibéral dominant selon lequel le Québec est une société « normale » d’où a disparu toute référence à l’oppression nationale. Chaque semaine, nous voyons des entreprises québécoises passer sous contrôle étranger, mais cela ne semble avoir aucune importance aux yeux des nationalistes québécois. Curieusement, au Canada anglais, de nombreux volumes étaient publiés pour dénoncer la vente aux enchères du Canada et la mainmise américaine sur l’économie du pays. Tout cela témoigne de l’état lamentable de nos sciences sociales où sont produites très peu de recherches indépendantes, mais où il y a toujours de généreuses subventions pour d’inoffensives recherches de « modélisation ».

Vallières proposait une toute autre perspective que le continentalisme et la mondialisation. « Il ne fait aucun doute, affirme-t-il, que pour tirer la société québécoise du sous-développement et du marasme, il faut que l’État québécois s’approprie, entre autres, le marché intérieur et l’élargisse par un bouleversement radical des formes d’appropriation, par la substitution de la propriété collective à la propriété privée (dans les secteurs-clés), seul moyen non seulement de libérer le pouvoir d’achat des masses ainsi que leur bien être social et culturel en fonction de leurs besoins et de leurs aspirations, en tenant toujours compte cependant du potentiel réel de production et des débouchés qui lui sont offerts. »

Sur la base de cette analyse économique de la domination impérialistes sur le Québec, Vallières développe ses nouvelles conceptions politiques. Il reproche à la gauche de ne pas apprécier à sa juste valeur la « portée politique stratégique fondamentale » de la question de l’indépendance du Québec et de donner l’impression « de considérer le droit à l’autodétermination seulement comme un droit juridique abstrait et sa revendication, comme un soutien au nationalisme « bourgeois » ». Il invite la gauche à considérer le PQ « comme un instrument de libération, forgé par des Québécois pour les Québécois ».

Mais quelle appréciation portée sur les dirigeants du Parti québécois ? « Ils seront contraints, écrit Vallières, d’adopter un comportement plus révolutionnaire, à cause d’une part, de l’hostilité des milieux d’affaires (anglo-américains et assimilés) au projet indépendantiste et surtout à toute politique québécoise de développement économique autonome (ne fût-ce que sur la base d’une « intervention » mitigée de l’État dans le système économique actuel) et, d’autre part, de l’ampleur des transformations sociales exigées par la population dans son ensemble ».

Mais, encore faudra-t-il que la gauche appelle et apporte son soutien à ces « transformations sociales » profitables à la population. Nous verrons plus loin qu’elle les a plutôt dénoncées !

Vallières appuie son analyse du rôle appréhendé des dirigeants péquistes sur l’exemple de la Révolution tranquille. « À la fois au plan politique, au plan économique, au plan social et au plan culturel, la révolution tranquille provoqua des transformations dont la réalisation, même sous la forme mitigée qu’elles ont parfois revêtue, révéla et exacerba des antagonismes dont même les promoteurs les plus nationalistes ne soupçonnèrent pas, au début, la profondeur et les potentialités. »

Mais Vallières sait que toutes ces considérations politiques stratégiques échappent ou n’intéressent tout simplement pas une bonne partie de ses interlocuteurs, affairés sur le terrain des luttes sociales et économiques, et qui confondent lutte politique et lutte économique. Aussi, dénonce-t-il l’économisme, le trade-unionisme, d’une certaine gauche qui « réduit la lutte politique à une suite de revendications économiques et sociales sans portée politique stratégique ».

Puis, sachant que ces mêmes personnes « opposent au nationalisme québécois, l’unité abstraite des travailleurs québécois et des travailleurs ontariens et/ou américains », il rétorque que « la « pure conscience » que peuvent avoir des socialistes de la nécessité de cette unité ne la fait pas exister pour autant ».

Poursuivant son analyse de l’impérialisme, il rappelle avec raison que « la classe ouvrière de la nation dominante est intégrée au système monopoliste qui l’a associée à ses bénéfices dans une proportion suffisante pour qu’elle ait intérêt à le soutenir et à le défendre ». Comme le « pauvre blanc » du Sud revendique l’asservissement du « Nègre », le pauvre anglophone exige qu’Ottawa mette les « french pea soup » à leur place, écrit-il avant de mettre de l’avant la seule véritable base d’unité entre les travailleurs anglophones et québécois : « La reconnaissance par les travailleurs anglophones du Canada (et du Québec) du droit pour la société québécoise de constituer un État national indépendant est la condition sine qua non de leur unité avec les travailleurs québécois »

Mettant au rancart ses critiques passées sur l’électoralisme, Vallières réalise que la lutte de masse au Québec emprunte la voie électorale et il prône l’entrée de la gauche dans un Parti québécois en plein développement où est en train de se cristalliser l’alliance entre les souverainistes, le mouvement syndical et les membres des comités de citoyen, au grand désespoir des forces fédéralistes. Vallières affirme que « le mouvement indépendantiste québécois a un contenu objectivement progressiste et révolutionnaire » et que « le PQ constitue la principale force politique stratégique de ce mouvement indépendantiste ».

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Ce texte est tiré du livre de Pierre Dubuc, L’autre histoire de l’indépendance, un ouvrage paru en 2003 aux Éditions Trois-Pistoles. Les autres extraits se trouvent dans le Dossier : L’après Octobre, sur le site de l’aut’journal.