Le gouvernement albertain de Jason Kenney est en guerre contre les syndicats du secteur public. Il a annoncé le licenciement de 11 000 travailleuses et travailleurs de la santé. L’objectif : sauver 600 millions $. Bien entendu, ils seront réembauchés par le secteur privé et la facture sera envoyée au gouvernement. Mais Kenney se sera débarrassé des syndicats.
L’économie de l’Alberta périclite. Les pétrolières étrangères quittent la province. Les grosses pétrolières canadiennes fusionnent et bouffent les petites. La situation est désespérée au point où le gouvernement Kenney déroule le tapis rouge pour que l’Arabie saoudite investisse dans un projet pharaonique de 5 à 10 milliards $ pour la production d’hydrogène à partir d’hydrocarbures (voir article page 7). Dire qu’il y a moins d’un an, Kenney pointait d’un doigt accusateur les provinces qui achetaient du pétrole de cette « dictature » plutôt que de s’approvisionner en pétrole « démocratique » de sa province !
La faiblesse du prix du pétrole ne serait pas que conjoncturelle, selon le magazine The Economist (19-25 septembre 2020). Elle est structurelle. L’abondance des hydrocarbures fait chuter les prix, l’urgence climatique amène les pays à délaisser le pétrole et les progrès des énergies renouvelables annoncent le passage graduel des États-pétroliers aux États-électriques.
Il va en découler un énorme bouleversement géopolitique. « 21st century power. How clean energy will remake geopolitics », titre The Economist. La part du marché des énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien pourrait passer de 5 % actuellement à 25 % en 2035 et à près de 50 % en 2050 de la consommation mondiale d’énergie. Alors que Trump et les pétrolières américaines (ExxonMobil, Chevron, etc.) s’accrochent au pétrole, les pétrolières européennes (Shell, BP, Total, etc.) ont amorcé leur transition vers les énergies renouvelables. À ce chapitre, la Chine a une longueur d’avance avec 72 % de la production mondiale des modules solaires, 60 % des batteries au lithium et 45 % des turbines d’éoliennes.
Cependant, les États-Unis ont amorcé leur contre-attaque commerciale et stratégique à l’égard de la Chine et de la Russie. Dans le domaine des télécommunications, Washington exerce de formidables pressions sur ses « alliés » pour qu’ils renoncent à recourir à Huawei. Au plan énergétique, Trump menace 120 entreprises européennes de sanctions si le Vieux continent n’abandonne pas la construction (presque terminée) du gazoduc North Stream 2, qui doit acheminer du gaz de la Russie vers l’Europe. Concernant les métaux stratégiques, The Economist donne en exemple un important investissement d’une entreprise parrainée par les milliardaires Bill Gates et Jeff Bezos pour découvrir du cobalt dans le Nord-du-Québec. Le cobalt entre dans la fabrication de batteries avec le lithium, le graphite et les terres rares, des minéraux présents au Québec.
Le « legs » de Legault
Le gouvernement Legault veut tirer profit de cette nouvelle donne géopolitique. Il a inventorié 22 minéraux critiques (pour l’approvisionnement des usines québécoises) et stratégiques (liés aux énergies renouvelables). Il vise à faire du Québec un fournisseur d’envergure de ces minéraux.
Mais le gouvernement voit plus grand que l’extraction. Il a développé une stratégie en trois volets : 1) Exploiter et transformer les minéraux du territoire québécois pour fabriquer des composants de batterie, comme les anodes et des cathodes; 2) Produire des véhicules commerciaux électriques; 3) Développer le recyclage des batteries grâce aux technologies québécoises d’avant-garde.
Au mois de septembre, il s’est dit prêt à investir jusqu’à 1,4 milliard $ pour mettre sur pied une industrie de l’électrification axée sur la batterie au lithium, qui pourrait devenir le « legs » du gouvernement Legault.
Le ministre Pierre Fitzgibbon a parlé d’un « projet de société », qui marque une rupture avec la recette classique des ressources naturelles au Québec, soit l’extraction, puis l’exportation. Certes, le projet est noble, mais les obstacles sont nombreux. Il ne faudra pas compter sur Ottawa pour la production de voitures électriques. Le gouvernement Trudeau vient de se joindre à celui de l’Ontario pour un investissement de 590 millions $ dans le projet de faire d’une usine Ford « la plus grande » d’Amérique du Nord pour la fabrication de véhicules électriques. Québec devra donc se contenter des véhicules commerciaux.
Quant au recyclage des batteries, la concurrence s’annonce féroce. La compagnie Li-Cycle, la plus importante dans ce domaine en Amérique du Nord, est déjà implantée à Kingston en Ontario. Elle prévoit investir plusieurs centaines de millions de dollars au cours des cinq prochaines années pour la construction de deux douzaines d’usines. Espérons que le Québec ne soit pas contraint par les « forces du marché » à se limiter à l’exploitation de minerais dont l’extraction produit des montagnes de résidus.
Le Grand Jeu
Dans le Grand Jeu du redéploiement géostratégique mondial, de puissants intérêts assigneront au Québec des « obligations » qui débordent le cadre d’un État-électrique. En témoigne le projet de Gazoduc, qui doit acheminer le gaz de schiste de l’Ouest canadien vers une usine de liquéfaction au Saguenay. La destination tenue secrète des méthaniers est fort probablement l’Europe où le gaz sera appelé à remplacer celui du gazoduc russe North Stream 2. À plusieurs reprises, Legault a donné son approbation à ce projet.
Un autre projet particulièrement intriguant est la construction d’un chemin de fer de 370 km de Dolbeau-Mistassini jusqu’au port en eaux profondes de Baie-Comeau au coût de 1,6 milliard $. Il sera raccordé au réseau de chemins de fer nord-américain et permettra, entre autres, l’acheminement du blé de l’Ouest vers les marchés internationaux, court-circuitant la Voie maritime du Saint-Laurent et le port de Montréal. Il aurait l’avantage d’éviter les régions peuplées du sud et rien n’empêcherait qu’il serve également à l’exportation du pétrole. Le projet est appuyé par le géant canadien de l’agriculture Cargill, Alcoa et Produits forestiers Résolu. Le gouvernement Legault s’est associé au gouvernement Trudeau pour allouer 15 millions $ à une étude de faisabilité.
Qu’ils soient État-pétrolier, comme l’Alberta, ou État-électrique en devenir, comme le Québec, les deux provinces se trouvent en état d’extrême faiblesse face au gouvernement fédéral. Jason Kenney l’a bien compris. Fragilisé par une chute de popularité de 19 points dans les sondages, il a rappelé à l’ordre, lors du récent congrès de son parti, les excités indépendantistes du Wexit et du Wildrose Party. Il les a invités à « étudier » les conséquences de l’élection d’un parti « séparatiste » au Québec en 1976. « Il y a eu, a-t-il déclaré, exode de personnes, d’entreprises et de capitaux ». Il les a incités à considérer qu’Ottawa faisait parfois de « bonnes choses », comme l’achat du pipeline Trans Mountain. Enfin, tout penaud, il a annoncé qu’il reportait à l’an prochain le référendum sur la péréquation, qui devait ébranler les fondements mêmes du Canada.
François Legault est en meilleure position. L’économie du Québec est plus diversifiée et sa cote de popularité atteint des sommets. Cependant, avec des emprunts totaux des provinces et d’Ottawa qui totaliseront plus de 600 milliards $ cette année, une crise de la dette n’est pas à écarter avec le pelletage des déficits fédéraux dans la cour des provinces qui s’ensuit inévitablement.
Enfin, même si à Québec et à Ottawa, on se gargarise avec de beaux discours sur une relance verte, les faits sont têtus. Comme le rappelait David Doge, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, le Canada ne s’est jamais remis de la chute de ses exportations de produits non énergétiques – principalement les voitures ontariennes – depuis la crise de 2008. Dans ce secteur, le déficit était de 22 milliards en 2019. Par contre, les exportations d’énergie ont entraîné des rentrées de 77 milliards $, dont 80 % proviennent du pétrole. Le Canada demeure un État-pétrolier.
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