Pas pour demain le vaccin Trudeau

2020/12/02 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois

Les trois pharmaceutiques qui ont annoncé avoir développé chacune un vaccin contre la Covid-19 laissent entrevoir un horizon de début de sortie de pandémie. Pour nous, en revanche, il semble qu’il va falloir s’armer de patience. Le gouvernement de Justin Trudeau a signé une panoplie d’ententes avec les pharmaceutiques mais, bien que ces ententes soient confidentielles, on comprend que les premières doses ne seront pas pour le Canada. Le Canada ne produira pas non plus ses propres vaccins. Bref, au cours des prochains mois, on risque de devoir se contenter de regarder passer le train en poursuivant notre confinement.

Au début de la pandémie, le gouvernement Trudeau semble s’être traîné les pieds. Un peu comme il a tardé à imposer des contrôles aux aéroports et aux frontières, il a été lent à développer un plan pour la vaccination, même si une signature plus hâtive des ententes n’était pas une garantie d’une réception plus rapide des doses. Rien n’a été fait non plus pour accroître la capacité de fabrication de vaccins au Canada. À l’heure actuelle, celle-ci est nulle, comme le rappelait la Dre Caroline Quach à La Presse le 25 novembre dernier.

C’est assez choquant, surtout lorsqu’on sait que l’industrie pharmaceutique était assez développée au Québec et au Canada et qu’il s’y fabriquait beaucoup de vaccins encore récemment. De toute évidence, l’intérêt national ne fait pas partie des priorités d’Ottawa. Et Québec en fait les frais.

Pendant deux décennies, le Québec a été un chef de file de ce secteur. Son émergence résultait de l’importance de son pouvoir politique. À l’époque des négociations de l’Accord du lac Meech, en 1987, Ottawa a mis les intérêts du Québec au premier plan pour combattre l’idée de l’indépendance. Grâce à une action concertée des deux paliers de gouvernement, nous avions réussi à développer une véritable grappe industrielle, avec nos scientifiques, nos formations universitaires, de grandes pharmaceutiques, de nombreuses startups et du capital de risque.

Québec et Ottawa travaillaient alors, main dans la main, pour élaborer une politique mieux adaptée à l’innovation. Le fédéral offrait une meilleure protection des brevets, des investissements à risques partagés dans la recherche industrielle et des incitatifs fiscaux en recherche et développement. Pour sa part, Québec mettait sur la table du capital de risque, des incitatifs fiscaux et une politique d’achat pour son système de santé, ce qui favorisait les médicaments innovants fabriqués localement.

En quelques années, Québec attire alors cinq multinationales pharmaceutiques, qui ouvrent sur son territoire leurs grands laboratoires, employant près de 2 000 scientifiques. Des emplois principalement concentrés dans le Grand Montréal, mais aussi présents à Québec et Sherbrooke. Le Québec devient un leader mondial en innovation pharmaceutique avec des acteurs majeurs et des centaines de startups, qui gravitent autour d’eux. Une nouvelle grappe industrielle est née, avec une importante capacité de production de vaccins! Son essor s’expliquait par la collaboration entre Québec et Ottawa; son démembrement… par l’abandon d’Ottawa !

Même si notre industrie demeure importante jusque dans les années 2000, son déclin s’amorce en 1995. Au lendemain de l’échec du référendum, Québec perd à nouveau de son influence au sein du Canada. Le premier ministre Jean Chrétien réduit significativement la protection accordée aux brevets. Ottawa abolit le droit d'interjeter appel des décisions judiciaires relatives à la propriété intellectuelle en ce qui concerne les produits pharmaceutiques. Il est à noter que ce droit a récemment été rétabli avec l’accord Canada-Europe.

Par la suite, Paul Martin suspend le programme d'investissement Partenariat technologique Canada sur le partage de risques avant que Stephen Harper ne l'abolisse. À la suite de ce changement de cap de la part d’Ottawa, tous les grands laboratoires pharmaceutiques remettent en question leur présence au Québec. Le seul soutien de Québec n’est pas suffisant pour maintenir la grappe industrielle. S’ensuit donc une vague de fermetures entre 2007 et 2012 : AstraZeneca, Bristol Myers, les centres de recherche de Johnson & Johnson et de Merck, Teva, sans oublier les mises à pied chez GSK et Sanofi.

Aujourd’hui, le Québec peut toujours compter sur l’industrie des biotechs. Mais des vaccins, il ne s’en fabrique pratiquement plus au Canada. Seules la pharmaceutique française Sanofi-Pasteur, située dans le Grand Toronto, et la britannique GlaxoSmithKline (GSK), qui effectue sa recherche à Laval et sa production à Sainte-Foy, fabriquent toujours des vaccins. Or, afin de limiter leurs coûts d’opération, leur capacité de production couvre les besoins ordinaires : grippes saisonnières, vaccins pour les enfants et pour les voyageurs. D’où la déclaration de la Dre Quach.

Ainsi, même si ces deux firmes arrivent à développer un vaccin efficace – en vertu de l’entente de 72 millions $ conclue avec le gouvernement – leur capacité de production demeurera limitée. Il leur serait aussi difficile de produire le vaccin d’AstraZeneca, qui vend ses droits à des laboratoires pharmaceutiques un peu partout dans le monde.

D’autre part, GSK s’est associée à Medicago, une pharmaceutique de Québec, pour produire un vaccin. Cet automne, Ottawa a finalement annoncé une entente avec Medicago pour avoir une capacité de production de vaccins à grande échelle qui pourrait être fonctionnelle… en 2023 ! C’est un peu tard.

Toute cette improvisation montre le manque de vision d’Ottawa. Pourtant, année après année, les infectiologues rappellent les risques liés aux diverses pandémies. Le SRAS et le H1N1 ont servi de répétition générale. Cela n’a pas empêché le gouvernement de Justin Trudeau de détruire 2 millions de masques N95 et 440 000 gants médicaux – sans les remplacer – en fermant un entrepôt de la Réserve nationale stratégique d’urgence (RNSU) l’an dernier, conséquence de la réduction de ce poste budgétaire à chaque année.

Si le démantèlement de la filière pharmaceutique québécoise des dernières décennies est une tragédie, à cause des choix politiques d’Ottawa, le démantèlement de l’expertise torontoise depuis les années 1970 est une véritable farce.

C’est ce que rappelle la columnist Linda McQuaig dans son essai The Sport and Prey of Capitalists (Dundum) et dans une lettre d’opinion au Toronto Star publiée au début de la pandémie, en faisant référence aux Laboratoires Connaught. Fondé en 1913, l’organisme public avait pour mission de produire des vaccins et des traitements à faibles coûts pour les maladies de l’époque, à commencer par la diphtérie. Le centre de recherche deviendra un acteur majeur à l’échelle mondiale, s’autofinançant, écoulant à faible coût sa production et partageant son savoir avec toutes les pharmaceutiques. Connaught Labs a connu une forte expansion lors de la Grande Guerre et ses chercheurs ont été par la suite au centre du développement de l’insuline et du traitement contre la polio, développé par le docteur Salk, sans oublier les vaccins contre le tétanos et la petite vérole.

Dans les années 1970, de fortes pressions ont été exercées pour privatiser ce centre. Les laboratoires seront vendus à la Corporation de Développement du Canada en 1972 et totalement privatisés en 1989. La pharmaceutique Sanofi-Pasteur occupe aujourd’hui ce site en banlieue de Toronto. McQuaig rappelle l’importance d’une pharmaceutique publique pour produire à faibles coûts des médicaments que le privé refuse de faire pour des raisons financières.

Au cours des prochains mois, nous allons devoir ronger notre frein en regardant les autres pays vacciner leurs populations, conséquence du retard du gouvernement Trudeau à mettre en place un plan pour la vaccination. Une situation d’autant plus choquante lorsqu’on sait qu’il n’y a même pas quinze ans, de nombreuses pharmaceutiques étaient équipées pour produire des vaccins en grande quantité, ici, chez nous, au Québec. Le laxisme d’Ottawa nous en a dépouillés.

C’est sans compter l’utilité de posséder une pharmaceutique publique comme le souligne Linda McQuaig et le rappelait au début de la pandémie, dans une entrevue à La Presse+, Gary Kobinger, chercheur et professeur de l’Université Laval mondialement reconnu pour avoir développé le vaccin contre l’Ebola. « C’est important d’investir maintenant pour bâtir notre capacité de défense future. Il ne faut pas dépendre d’entreprises à but lucratif, il faut être indépendants, et c’est logique économiquement aussi. »