Auteur, militant souverainiste et étudiant au Baccalauréat spécialisé en cinéma de l’Université de Montréal.
Voilà maintenant plusieurs semaines que le Québec est frappé par la deuxième vague de la pandémie. Pour tenter de casser ladite vague, le gouvernement provincial n’a négligé aucune avenue. Il a établi un système de zones strict pour enrayer la transmission interrégionale, a ordonné la fermeture des entreprises non essentielles, a sévi contre les contrevenants aux mesures sanitaires, a annulé les rassemblements du temps des Fêtes, a déclaré un couvre-feu et a exhorté Ottawa à mieux encadrer les voyageurs rentrant au pays. Si toutes ces mesures sont pertinentes dans la lutte contre le virus, il demeure un point d’achoppement majeur minant l’efficacité des mesures sanitaires. Il s’agit du manque de considération affligeant du gouvernement Legault face aux conditions de travail des employés du secteur public.
La gestion néolibérale de l’État pratiquée par les Libéraux de 2003 à 2018, aujourd’hui reprise par les caquistes semble avoir conditionné nos dirigeants, et une partie de la société québécoise avec eux, à percevoir les travailleurs de la fonction publique comme une main-d’œuvre malléable, n’ayant que des obligations et bien peu de droits. L’employé de l’État doit ainsi accomplir sa tâche dans la machine étatique coute que coute, qu’importe les conditions, sans quoi il sera blâmé pour le manque de services touchant la population. Cette vision clientéliste du secteur public fait porter tout le poids du système aux employés et finit par faire oublier qu’ils ont eux aussi des besoins. Le manque d’efforts de la part du gouvernement pour améliorer le sort des travailleurs de l’État était déjà problématique avant la pandémie, mais il est devenu carrément dangereux depuis mars 2020.
En effet, c’est l’insouciance gouvernementale par rapport aux conditions dans le monde de la santé qui a donné lieu, début avril, à cette décision absurde de solliciter le retour au travail - en CHSLD ! - de préposés atteints du virus avant la fin de leur quarantaine. Dans les mêmes semaines, les centres de soins palliatifs vivaient de véritables hécatombes et des milliers de travailleurs contractaient le virus. Le gouvernement caquiste a justifié cette stratégie en plaidant la pénurie de personnel soignant… sans prendre les actions nécessaires pour endiguer cette pénurie.
Certes, en mai dernier, le gouvernement lancé une vaste campagne visant à recruter et former des milliers de nouveaux préposés aux bénéficiaires en peu de temps. À cette occasion, le gouvernement a délié les cordons de la bourse, promettant des cours gratuits et un salaire horaire de 26$, ce qui a fait de l’opération un succès. Toutefois, par cette campagne, Québec n’a fait que déshabiller Pierre pour habiller Paul, car tout en offrant rapidement une rémunération décente aux nouveaux préposés, il a forcé tous les anciens préposés, présents avant la pandémie, à négocier durant des mois, jusqu’à l’automne 2020, pour finalement n’avoir accès qu’au même salaire que les nouveaux préposés, ignorant injustement les années supplémentaires de service.
De même, le gouvernement a refusé tout net aux infirmières l’augmentation de salaire substantielle qu’elles demandaient et se traine les pieds dans les négociations avec Fédération des Infirmières du Québec. Le premier ministre ne tarit pas d’éloges pour les travailleurs essentiels, mais il les force à se battre pour des miettes alors même qu’ils sont occupés à gérer la pire crise sanitaire depuis un siècle !
Compte tenu de ces faits économiques, l’embauche des nouveaux préposés apparait de plus en plus comme un coup de marketing politique et de moins en moins comme une solution durable aux problèmes du milieu de la santé, car elle ne règle pas les difficultés salariales pour la majorité des employés. Le fait est que le gouvernement continue de sous-payer nombre d’infirmières et de préposés, ce qui a pour effet de causer des pénuries de main-d’œuvre - les gens n’en pouvant plus de ces conditions économiques finissent par démissionner - et, donc, de favoriser des catastrophes comme celles survenues au printemps. Notons que le fédéral porte une part importante de responsabilités dans ce dossier, de par son refus d’augmenter les transferts en santé, même dans le contexte de la crise.
Le personnel soignant n’est pas le seul à voir sa sécurité ignorée par le gouvernement. La situation désastreuse dans les écoles est aussi due au fait que le ministère de l’Éducation a rejeté les revendications des travailleurs. Le ministre aurait pu accepter la solution des demi-classes - classes réduites où la moitié des étudiants sont présents, par alternance - que réclamaient 50% des enseignants dès aout 2020. Il aurait pu mettre la sécurité des enseignants au sommet de ses priorités, en imposant le port du masque en classe, ainsi qu'en assurant la ventilation adéquate des locaux. S’il avait agi ainsi, le Québec aurait probablement pu éviter les conditions actuelles, où quatre écoles sur dix ont vu une éclosion du virus.
À titre de comparaison, l’Ontario a mis en place ces mesures et seulement un cinquième de ses écoles ont été touchées. Roberge a persisté à vouloir des groupes complets, même s’il est depuis longtemps établi que les classes sont surpeuplées et qu’il est donc ardu d’y instaurer une distanciation sociale. Pour ne rien arranger, la décision saugrenue d’abolir les commissions scolaires complique encore la coordination des efforts pour freiner la propagation du virus dans le milieu scolaire et la rémunération très insuffisante du personnel enseignant contribue à la pénurie de professeurs, qui elle-même surcharge encore plus les classes, augmentant le risque d’infection.
La CAQ a eu un an et demi et deux budgets, avant la pandémie, pour corriger les bévues libérales en ce qui a trait aux conditions de travail. Au lieu de cela, le gouvernement a laissé pourrir la situation et le système public a dû affronter la crise en état de grande vulnérabilité, de laquelle il n’est pas encore sorti. Les travailleurs en paient le prix. Tant que le gouvernement Legault ne fera pas le nécessaire pour assurer des conditions de travail décentes aux employés de l’État, tant qu’il refusera d’adopter les demi-classes ou de délier les cordons de la bourse pour ramener d’anciens employés de la santé au travail, il aura beau multiplier les interdictions de déplacement, il ne parviendra pas à briser la deuxième vague. Cela ne fera qu’ajouter de l’eau au moulin des conspirationnistes et aggraver encore plus la crise sanitaire. Avant la pandémie, prendre en considération les revendications des travailleurs de l’État était un impératif moral. Aujourd’hui, c’est un impératif vital.