Dans l’édition du 13 janvier 2021 du Devoir, Jean-François Nadeau rapporte que l’ancien premier ministre Jean Charest s’est porté à la défense de John A. Macdonald, avec l’ancien chef conservateur Peter Mackay et des historiens du Canada anglais, dans un encart publicitaire publié à Toronto dans le National Post. Dans ce document, le racisme de Macdonald à l’égard des francophones, des Métis et des Autochtones est réduit au rang de simples « erreurs ». L’initiative des signataires survient dans le contexte du déboulonnage de sa statue et « est conçue, écrivent les auteurs, pour relancer le débat ».
On peut se demander ce que fait Charest dans cette galère. Une partie de la réponse tient peut-être à sa présence au sein du « prestigieux » cabinet d’avocats McCarthy Tétrault, dont le fondateur, Dalton McCarthy était un fidèle de John A. Macdonald.
Dalton McCarthy
Dalton McCarthy a été un organisateur conservateur dès la création de la Confédération en 1867. Il est élu député en 1873 et le demeura jusqu’à sa mort en 1898. Il se vit obliger de refuser le poste de ministre de la Justice que lui offrait John A. Macdonald parce qu’il croulait sous les dettes. Il ouvre son bureau juridique à Toronto en 1877. Il sera l’un des principaux conseillers de Macdonald sur les affaires juridiques, les élections et les questions constitutionnelles.
À de multiples reprises, il plaide devant le Comité judiciaire du Conseil privé à Londres pour défendre la vision du fédéralisme de John A. Macdonald contre l’autonomie des provinces défendue à l’époque par le premier ministre Mowat de l’Ontario. Macdonald et McCarthy songent même à abolir les appels au Conseil privé au motif que les juges britanniques ne comprenaient manifestement pas le Canada en rendant des jugements favorables aux provinces.
Dalton McCarthy salue l’expansion rapide du Canada dans l’Ouest comme un triomphe impérial et national. Sa vision de la nation canadienne était unitaire et britannique : il y aurait une seule culture, une seule langue, un seul régime juridique, et un seul gouvernement national unissant tous les Canadiens.
Sans surprise, il travaille en 1885 au sein de l’équipe qui poursuit Louis Riel pour trahison. Il presse Macdonald d’adopter des mesures sévères pour éviter qu’un « second Québec » ne se profile dans l’Ouest. John A. Macdonald a déclaré que Riel « sera pendu même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur ».
Dalton McCarthy devient obsédé par la politique linguistique. Lorsque le gouvernement Mercier adopte une législation pour compenser les organisations catholiques pour leur expropriation par les autorités coloniales (L’affaire des biens des Jésuites), Dalton McCarthy se joint à un groupe de députés conservateurs de l’Ontario pour tenter de faire désavouer la législation du Québec. Treize députés votèrent en faveur du désaveu. Ces « Noble Thirteen » formèrent alors l’Equal Rights Association sous le leadership de Dalton McCarthy pour faire campagne en faveur d’un Canada unilingue.
En 1889, devant ses partisans, il s’écrie : « Le moment est venu pour le peuple de trancher la grande question par scrutin, et si cela ne règle pas la question au cours de cette génération, les baïonnettes fourniront la solution à la suivante ».
Dalton McCarthy devient un précieux allié pour le gouvernement du Manitoba lorsque celui-ci voulut abolir les droits des francophones en matière de langue et d’éducation, qui leur avaient été garantis lorsque la province s’était jointe à la Confédération en 1870. Par ses discours et son lobbying, Dalton McCarthy appuie vigoureusement l’abolition du français au Manitoba et dans les autres provinces. Il représentera le gouvernement du Manitoba devant le Comité judiciaire du Conseil privé.
En 1890, il présente aux Communes un projet de loi visant à étendre la répression des droits linguistiques des francophones du Manitoba aux Territoires du Nord-Ouest. Au cours de ce débat, Dalton McCarthy préconise au nom de l’unité nationale, l’extinction du français dans l’ensemble du Canada. Il faut au Canada, déclare-t-il, « une seule langue, une seule race, une seule vie nationale, et une langue commune à nous tous ». Il affirme aux Communes que le plus important, c’est la langue, et non l’ascendance, l’ethnie, ni même la religion.
La deuxième génération
À la mort de Dalton, son neveu Leighton McCarthy prend la relève au cabinet d’avocats en défendant les mêmes positions anti-francophones. Ainsi, lorsque le ministre de l’Intérieur Clifford Sifton quitte le cabinet de Laurier en 1905 parce qu’il s’oppose aux garanties linguistiques que Laurier préconisait pour les francophones des nouvelles provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, Leighton McCarthy enfourche le vieux cheval de bataille de son oncle et appuie Sifton, qui réussit à bloquer le droit au bilinguisme dans les nouvelles provinces.
Le parti-pris anti-francophone des McCarthy n’empêche évidemment pas le Canadian Pacifique Railway, la Compagnie de la Baie d’Hudson, la General Electric, la North-West Life Assurance, la Dominion Bank, le Grand Trunk Railway, l’Alcoa, l’Alcan, Union Carbide, le Toronto Star, la Ville de Toronto d’avoir recours à leurs services professionnels. Ce qui assure à Dalton McCarthy des revenus annuels variant entre 25 000 et 30 000 $ contre 5 200 $ pour l’ensemble de ses 25 employés.
Dans le livre McCarthy Tétrault. La création d’un grand cabinet 1855-2005 (Boréal, 2005), commandé par le cabinet d’avocats à l’occasion de son 150e anniversaire et dont sont tirées les informations de cet article, l’auteur Christopher Moore se montre étonné que, lors de la fusion de McCarthy avec le bureau d’avocats québécois Tétrault en 1990, « personne ne parut remarquer – du moins, personne ne le mentionna tout haut – l’ironie d’assortir un nom de famille français à celui de D’Alton McCarthy, ce champion de la langue anglaise dont l’hostilité envers le rôle du français dans la vie publique canadienne » était bien connue.
Ne nous étonnons donc pas, à notre tour, que Jean Charest – baptisé John James Charest – se porte aujourd’hui à la défense de John A. Macdonald, le mentor de Dalton McCarthy, le fondateur du cabinet d’avocats qui lui verse aujourd’hui de généreux émoluments.
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