L’auteur est professionnel de recherche, Université Laval, et membre Des Universitaires (desuniversitaires.org)
Les sociétés sont confrontées actuellement à deux crises : l’une sanitaire et l’autre écologique. L’ampleur de la réponse qu’on apporte à ces crises n’a aucune commune mesure l’une avec l’autre, une disparité qui s’explique surtout par le sentiment d’urgence différent qu’elles suscitent. Mais, bien qu’il évolue plus lentement, le dérèglement du climat a et aura des conséquences désastreuses si on ne s’y attelle pas bientôt. La pandémie peut-elle nous aider à mieux appréhender la crise écologique ?
Ces deux crises partagent des similitudes. Elles représentent toutes deux une menace pour le bien-être humain, notamment la santé physiques et psychologique, mais aussi pour l’économie : la crise sanitaire, à cause du virus et des mesures de confinement pour s’en protéger ; la crise climatique à cause des événements météorologiques extrêmes, des bouleversements écologiques et leurs conséquences socioéconomiques [1].
Voici quelques principes à suivre, inspirés de l’actuelle pandémie.
Anticiper
La pandémie a montré l’importance d’anticiper afin de mieux « maîtriser » les crises. On a vu dans quelle situation critique se sont retrouvés les systèmes de santé par manque d’équipements et de préparation pour protéger les plus vulnérables. Pour le climat, on ne peut parler d’anticipation tellement les politiques publiques ont été cosmétiques jusqu’à présent, malgré les avertissements répétés des scientifiques. Il est plus que temps que les États amorcent l’instauration de mesures qui protègeront le climat et les écosystèmes.
Il serait prudent d’agir en amont en instaurant des lois, taxes, incitatifs et réglementations appropriés. Il serait avisé notamment de penser aux angles morts pour éviter qu’une tragédie similaire à celle qui s’est déroulée dans les CHSLD lors de la première vague de la pandémie se répète avec les changements climatiques. On sait par exemple que les communautés autochtones sont particulièrement vulnérables [2]. Saurons-nous apprendre de nos erreurs?
Constituer une société résiliente
Comme le souligne Joseph Stiglitz [3], une crise est d’autant mieux gérée par une société que les conditions sont bonnes au départ : filet social universel, économie diversifiée, prospère et résiliente, système de santé de qualité et efficace, et conscience citoyenne. Nous avons besoin d’innovations sociales pour assurer la résilience de la population.
Se baser sur la science
La pandémie a souligné l’importance du recours à la science et des données de la recherche pour orienter adéquatement les décisions gouvernementales. La science est incontournable pour comprendre les répercussions des changements climatiques, comment les atténuer et s’y adapter. La pandémie nous a appris aussi l’importance d’énoncer clairement les conclusions auxquelles la science nous amène. Espérerons que les climatologues s’exprimeront à l’avenir aussi régulièrement que les infectiologues durant la pandémie. Surtout, espérons voir le « Horacio Arruda » d’un futur Institut national de l’environnement du Québec [4] à des points de presse réguliers à côté du premier ministre.
Que l’État agisse rapidement et avec envergure
Comme la pandémie, le climat nécessite des mesures et des investissements rapides et d’envergure pour assurer la vigueur économique des PME et protéger les plus vulnérables. La COVID-19 a illustré la grande capacité d’action et d’initiative que pouvait déployer les États. Il serait sage que la même volonté gouvernementale se manifeste pour la crise climatique. Rappelons qu’à trop tarder à agir, le climat pourrait se dérégler de manière irréversible et entrer dans un état inhospitalier nommé « Terre-étuve » [5].
Préserver l’adhésion de la population
Si la détermination de l’État s’avère primordiale, la pandémie a aussi montré à quel point il était crucial d’avoir l’adhésion de la population. Comme pour la pandémie, la crise écologique requiert des changements de comportements individuels. Pour la pandémie, il s’agit surtout de mesures de distanciation et du port du masque; pour la crise écologique, il s’agit surtout de comportements plus écoresponsables. La difficulté est que les gestes que l’on pose bénéficient souvent aux autres, ce qui ne motive pas forcément tout le monde.
Le respect des règles sanitaires a été relativement bien suivi lors de la pandémie, même si des contestataires se sont fait entendre. Bon an mal an, environ 15-20 % de la population se range dans cette catégorie (complotistes, dénialistes, libertarien.ne.s). On peut donc s’attendre à une opposition au moins aussi forte pour les changements climatiques, d’autant qu’une résistance est déjà répandue. Il sera important d’en tenir compte.
Être équitable
Dans ce contexte, l’équité est essentielle pour obtenir l’adhésion de l’ensemble de la population. Ceci passe notamment par une écofiscalité juste et des incitatifs pour aligner les comportements collectifs sur le bien commun : favoriser la prise en compte du long terme et les actions vertueuses.
Si la réponse à la crise climatique ne se compare pas à celle de la COVID-19, c’est que le sentiment d’urgence, voire de peur, n’est pas au même niveau. La dangerosité des changements climatiques semblent moins tangible et moins pressante. Et pourtant... Ainsi que l’a rappelé l’ex-premier ministre français Laurent Fabius [6], il n’y a pas de vaccin contre les changements climatiques: la solution sera moins technologique que sociale ou sociétale. Elle passe par une redéfinition du fonctionnement de nos sociétés, notamment des activités économiques et des politiques publiques. Avec l’arrivée annoncée des campagnes de vaccination, le redémarrage de la société approche. C’est le moment idéal pour relancer les activités différemment et faire face à la crise la plus importante que l’Humanité n’ait jamais connu.
Références
[1] Institut canadien pour les choix climatiques, La pointe de l’iceberg - Composer avec les coûts connus et inconnus des changements climatiques au Canada (2020) https://choixclimatiques.ca/reports/la-pointe-de-iceberg/
[2] Ouranos, Synthèse 2015. Partie 2. Vulnérabilités, impacts et adaptation aux changements climatiques https://www.ouranos.ca/synthese-2015/
[3] Joseph Stiglitz, Conquering the Great Divide - The pandemic has laid bare deep divisions, but it’s not too late to change course, Finance and Development (septembre 2020) https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2020/09/COVID19-and-global-inequality-joseph-stiglitz.htm
[4] Thierry Lefèvre, Est-il trop tard pour le Climat ?, Le Climatoscope (2020) https://climatoscope.ca/article/que-signifie-trop-tard-pour-le-climat/
[5] Thierry Lefèvre, Pour la création d’un institut national de l’environnement du Québec, Le Journal de Montréal (2020) https://www.journaldemontreal.com/2020/04/29/pour-la-creation-dun-institut-national-de-lenvironnement-du-quebec
[6] Laurent Fabius : "Il n'y a pas de vaccin" contre le changement climatique, Sud Radio (2020) https://www.sudradio.fr/politique/laurent-fabius-il-ny-a-pas-de-vaccin-contre-le-changement-climatique/
Du même auteur
Dans la même catégorie
2024/11/29 | Bouleversante Ahou Daryaei et toutes les autres aussi! |
2024/11/29 | Problématique des vestiaires et toilettes mixtes |
2024/11/29 | Désespérances d’idéaux déchus |
2024/11/29 | Histoire du SEPB-Québec |
2024/11/22 | Où nous mène l’OTAN? |