L’hydrogène : cheval de Troie des énergies fossiles et du nucléaire

2021/01/25 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois.

Il existe des synergies entre la production d’hydrogène, l’énergie nucléaire, les énergies fossiles et les énergies renouvelables. Dans l’édition du mois de novembre 2020 de L’aut’journal, Bruno Detuncq a signé un texte intitulé « L’hydrogène et les sables bitumineux », dont je ne peux que souligner l’importance. J’ai beaucoup appris en le lisant. Il résume bien les enjeux liés à l’hydrogène en rappelant d’abord que l’hydrogène n’existe à peu près pas à l’état libre dans la nature. C’est un élément chimique presque toujours combiné. M. Detuncq met le doigt sur le fait que la stratégie fédérale de l’hydrogène n’a pour unique but que de valoriser d’une façon ou d’une autre l’exploitation les sables bitumineux. Il faut sauver l’industrie pétrolière de l’Ouest même si les projets sont dangereux pour l’environnement.

 Depuis le confinement du printemps dernier, j’ai assisté à plusieurs webinaires sur le sujet et, dans la plupart des cas, les intervenants canadiens ou européens – principalement ceux provenant du Royaume-Uni – évoquaient la possibilité que l’hydrogène soit une solution à l’élimination des gaz à effet de serre (GES).

Puis, en décembre 2020, le gouvernement faisait paraître un document intitulé : STRATÉGIE CANADIENNE POUR L’HYDROGÈNE - Saisir les possibilités pour l’hydrogène -  Appel à l’action.  Bruno Detuncq fait mention de la version préliminaire de ce texte parue durant l’été… Cette fois, au-delà de la stratégie, c’est un plan d’action en bonne et due forme que le gouvernement, via son ministère des Ressources naturelles, met de l’avant. On y chiffre le nombre d’emplois, les revenus potentiels, la réduction des émissions, etc. Tout y est.

Sauf la transparence et… la vérité !  

Ce qui suit se veut un complément de l’article de Brunon Detunck. Une contribution préparée « avec une autre paire de lunettes » qui présente des informations qui, je l’espère, donneront envie de suivre l’évolution de la filière hydrogène.

Il faut s’y intéresser, car cette industrie table sur les impératifs internationaux d’une relance verte post-pandémie avec l’utilisation de tous les « codes » nécessaires pour faire progresser son programme politique et économique. Nous sommes devant un engouement et des ambitions affirmées au niveau mondial pour cette ressource. C’est le moins que l’on puisse dire.

Je souhaite préciser que la production d’hydrogène n’est pas à proscrire en soi dans un plan de réduction de GES, mais que la filière est complexe, comporte plusieurs angles à analyser, allant de l’essentielle priorisation d’une production carboneutre, des enjeux de son utilisation, de possibles marchés à développer, de son transport, et bien plus.

 

Les grandes lignes de la Stratégie

D’entrée de jeu, précisons que les auteurs du document gouvernemental ont focalisé leur travail sur « une modélisation de la demande en hydrogène agrégé pour 2050 ». Oui, oui. Pas dans 10, 15 ou même 20 ans…  Non, 30 ans ! Du ton et de la teneur du document de 173 pages émane un sentiment d’urgence. On veut « ouvrir la machine » rapidement, promouvoir les investissements dans des installations de production d’hydrogène en insistant beaucoup sur le potentiel de la situation géographique de l’Alberta et, curieusement, en gardant une distance remarquable avec la production la plus propre possible, celle par procédé électrolytique. Le sommaire nous indique que le Canada est un  leader mondial  avec une production annuelle d’hydrogène de 3M tonnes par reformage du méthane à vapeur du gaz naturel.  Saviez-vous qu’il résulte de chaque kilogramme d’hydrogène ainsi produit de 8 à 12 kilos de CO2?

Ensuite, au fil des sections et chapitres du document, on nous vante le processus de captation du carbone et de son stockage (CCS) en l’associant toujours à de l’hydrogène propre, avec en toile de fond l’industrie pétrolière et gazière, sans oublier le mensonge du marché potentiel : celui de l’exportation d’hydrogène… Une lubie, rien de moins. Car le gouvernement fédéral considère que le CCS est une pratique qui rend propre l’exploitation de la ressource fossile la plus polluante qui soit : celle des sables bitumineux.

Actuellement, il existe 51 installations de CCS dans le monde : 21 sont opérationnelles, 2 sont en construction et 28 sont à différents stades de développement. Combinées, elles auront une capacité de stockage de 100Mt de CO2 par année. L’agence internationale de l’énergie (IEA) estime que 2000 installations seront requises pour atteindre les objectifs de réduction de 2050 de l’Accord de Paris !

Au Canada, aucun doute sur les motifs derrière les installations de CCS , soit la  réutilisation  du CO2 pour la récupération assistée des hydrocarbures (RAH), en l’injectant dans des gisements en déclin pour en tirer davantage de pétrole. Comme le souligne M. Detuncq, les travaux récents ont démontré que l’enfouissement du CO2 sous pression peut provoquer des tremblements de terre. Rien de moins.

Dans le cadre de cette stratégie, qui vante le potentiel d’un marché mondial pouvant mener à des exportations canadiennes de l’ordre de 50G$ d’ici 2050, il aurait certainement été conséquent de commencer en proposant d’exclure l’industrie des énergies fossiles. Propulser la production d’hydrogène pour contribuer à la réduction des émissions de GES passe nécessairement par une production par processus d’électrolyse.

L’hydrogène est actuellement produit à plus de 95 % à partir d’énergies fossiles, utilisant 6 % de la production mondiale de gaz naturel et 2 % de la production mondiale de charbon. Sa production par électrolyse de l’eau se chiffre à moins de 2 %. La stratégie canadienne insiste pourtant sur l’abondance de nos ressources naturelles. Pourquoi ne pas choisir la meilleure méthode de production, c’est-à-dire celle carboneutre, renouvelable et issue d’une ressource abondante ?

On comprend rapidement que le gouvernement n’a qu’un seul but. Qui n’est pas celui de la carboneutralité – ce mantra galvaudé dans la plus grande hypocrisie – mais bien de donner un second souffle aux énergies fossiles. Nous sommes devant une commande politique plutôt qu’écologique.

La « codification par couleur » de l’hydrogène ? On peut lire qu’il y a l’hydrogène gris, ou traditionnel, à partir d’hydrocarbures et donc avec un impact certain sur les émissions de CO2.  Il y a l’hydrogène bleu fait à partir du gaz naturel et enfin l’hydrogène vert, fait à partir de l’électrolyse de l’eau en utilisant de l’électricité à partir d’énergies renouvelables.  En fait, ce code de couleur est une façon de valoriser certains modes de production de l’hydrogène plutôt que d’autres.

Il est là le cheval de Troie. Paré d’un revêtement coloré pour séduire et surtout cacher une pratique d’écoblanchiment éhontée. Quand le cheval sera bien en vue, il s’ouvrira pour révéler son vrai contenu : les énergies fossiles et même le nucléaire.

Le nucléaire ? En effet.

Je terminerai en vous disant qu’il y a encore beaucoup de choses à analyser, notamment à propos des PRM (petits réacteurs modulaires nucléaires) et la place que leur réserve la stratégie fédérale dans le dossier de l’hydrogène, mais aussi les enjeux concernant le transport de l’hydrogène et la situation particulière du Québec.  Le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) prévoit publier, quelque part en mars ou avril, un rapport sur les enjeux reliés à l’hydrogène. Je resterai à l’affût de cette filière. J’espère que vous ferez de même.