Milieu culturel : le mépris n’aura qu’un temps...

2021/01/27 | Par Orian Dorais

Auteur, critique de cinéma et étudiant au Baccalauréat spécialisé en cinéma de l’Université de Montréal.

Malgré les changements titanesques apportés par l’année 2020, un fait de société demeure toujours pareil : la culture demeure toujours au bas de la liste de nos priorités collectives. Au printemps 2020, alors que les gouvernements volaient au secours de l’immense majorité des autres secteurs économiques, alors que le fédéral allongeait des milliards pour sauver l’industrie pétrolière et que le provincial prévoyait investir massivement « dans le béton » grâce au projet de loi 61, à peine démocratique, la ministre québécoise de la Culture, Nathalie Roy, encourageait les artistes à « se réinventer » pour survivre à la crise.

Patrimoine Canada et le ministère de la Culture du Québec ont tout de même consenti à des subventions faméliques - compte tenu des pertes liées au virus - permettant au secteur culturel, déjà affaibli par des années d’austérité, de continuer sur ses béquilles pour quelques mois. Au début de la deuxième vague, le gouvernement caquiste a également donné au secteur culturel nombre d’occasions de se réinventer, en fermant les musées, les salles de spectacle et les cinémas, alors que ces lieux respectaient à la lettre les consignes sanitaires et qu’il n’était aucunement démontré qu’ils représentaient des foyers d’éclosions.

À vrai dire, l’attitude indolente des gouvernements face à la crise dans le milieu de la culture témoigne au mieux d’un mépris pour la culture - auquel les créateurs étaient habitués bien avant la crise - et au pire d’une volonté bassement électoraliste de montrer que les artistes n’auront droit à aucun privilège, pour satisfaire les sentiments anti-intellectuels encouragés par certains médias bien connus.

Évidemment, personne n’affirme que le secteur culturel soit le seul à avoir à se plaindre de la gestion gouvernementale médiocre. Toutefois, tandis que nous apprenons qu’un quart des travailleurs de la culture ont perdu leur emploi en 2020, il est temps pour le Québec de réaliser que la précarité dans laquelle vivent ses artistes - rendue presque insoutenable par le virus - doit prendre fin, car, nous le réalisons, la culture est un service essentiel doublé d’un secteur économique majeur.

Les arts et la culture sont une part essentielle de l’identité québécoise, au même titre que la langue française. À d’innombrables reprises, ce sont les œuvres de nos artistes qui ont permis d’attirer l’attention sur notre nation et sur notre condition en Amérique du Nord. L’art québécois permet à notre peuple de rayonner à l’international, d’inscrire sa singularité dans l’éventail des cultures mondiales et de résister à l’américanisation rampante des sociétés occidentales.

Plus pragmatiquement, des dizaines d’entreprises et des milliers de bons emplois du secteur culturel reposent en grande partie sur la créativité des artistes et artisans. Le succès des créateurs - notamment dans le domaine du cirque, du cinéma et de l’art numérique - des musées et des festivals québécois amène chaque année des centaines de millions de revenus en tourisme et en investissements étrangers.

Le confinement est, par ailleurs, venu nous rappeler à quel point nous avons besoin de divertissements de qualité. Il est impossible de croire qu’il n’est pas question ici d’un secteur essentiel. Pourtant, année après année, les subventions en culture augmentent peu et les créateurs ont de la difficulté à s’en sortir financièrement.

Le temps est venu d’adopter une loi forçant tout gouvernement provincial à consacrer un certain pourcentage du PIB au financement la culture et, surtout, de créer un revenu universel de base pour les artistes et artisans. De telles mesures sont nécessaires pour que chaque créateur, au sens de la loi, ne pouvant vivre de son art ou de l’enseignement puisse consacrer ses efforts à créer, plutôt qu’à survivre.

Ce programme pourrait être financé au moyen d’une taxe sur les géants du web, qui font des milliards grâce au travail des artistes, sans redonner beaucoup plus que des miettes. Le gouvernement a le devoir éthique de corriger cette injustice et d’adopter ces réformes.

Il va sans dire que, si elles devaient être mises en place, le milieu culturel aurait la responsabilité de rendre les œuvres accessibles au public (par exemple, par des festivals gratuits) et devrait garantir une diversité thématique et intellectuelle pour s’adresser à toutes les couches de la société.

La CAQ, qui affirme avoir à cœur la préservation de notre identité, devrait être la première à proposer une loi allant dans le sens de cette proposition. Cela lui donnerait l’occasion d’encourager l’économie, de faire un geste fort pour garantir la pérennité de notre culture et de mettre fin à l’ingérence du fédéral dans la compétence exclusive québécoise qu’est la culture.