L’auteur est pair-aidant (santé mentale)
Pas une journée ne passe, ces temps-ci, sans que quelqu’un ne réclame du gouvernement Legault une exemption de couvre-feu pour la population itinérante. Un peu comme avec le « racisme systémique », c’est devenu une rengaine médiatique, un mantra, quasiment une demande de reddition.
Que les groupes et regroupements communautaires en fassent la demande, c’est tout à fait normal et légitime ; ces gens-là, qui font un travail admirable et encore peu reconnu, ont toute l’expérience du terrain.
Autrement, c’est l’hallali, et de partout on réclame sa pitance du combo maladie mentale et toxicomanie propre à l’itinérance, qui pour son branding de compagnie (Bell cause pour la cause), qui pour son parti politique, son église, son groupe de pression ou pour additionner des followers sur son compte d’influenceur, d’humoriste ou de chroniqueur.
C’est que la cause est devenue woke à souhait et les sans-abris, ces personnes dont on ne veut pas trop entendre parler d’ordinaire, n’ont jamais été aussi « populaires » que depuis la mort incroyablement triste de Raphaël André, cet Innu nord-côtier décédé par grand froid dans une toilette chimique.
Jusqu’aux libéraux, ceux-là même qui ont si bien plumé et désossé le système de santé québécois, qui sermonnent le gouvernement de la CAQ et qui exigent un couvre-feu ! Non mais ?!
Le mieux étant l’ennemi du bien, d’aucuns-nes devraient se garder une petite gêne, et le pire serait assurément que des milliers de sans-abri « exemptés » deviennent des boucs-émissaires du bon peuple, en raison d’une troisième vague ou pour toute autre raison.
Legault avait-t-il le choix ?
Cela dit, et malgré ses maladresses, le trio Legault-Carmant-Guilbault avait-t-il vraiment le choix de dire non à une exemption du couvre-feu pour les itinérants-es ? En cette période de pandémie galopante et de crispation épidermique générale, j’ose à peine imaginer la grogne populaire si on avait permis aux personnes sans-abris de se promener après l’heure dite …
À voir ces derniers temps s’exciter des groupes comme les Juifs hassidiques, les complotistes et les anti-mesures sanitaires, je n’ose pas non plus imaginer le tollé d’autres groupes sportifs, religieux ou commerciaux si on avait permis l’exemption. Ç’eut été la pagaille, un charivari total ! Alors quoi ?!
À problème multiple, solution multiple
Pour un, sachant maintenant ce qu’on sait et advenant une prolongation de confinement ou autre, je permettrais une exemption pour la population itinérante, mais à condition d’être prêts ! À condition d’avoir les ressources spatiales, matérielles, financières et humaines nécessaires !
Donc, ça voudrait dire plus d’intervenants-es terrain, plus de halte-répits, plus de lieux de dégrisement, plus de lits disponibles, des SIS accessibles en tout temps, un dépistage rapide et une vaccination prioritaire pour les itinérants-es, des bibliothèques (possiblement) réouvertes, des cliniques médicales ambulantes, des ordinateurs et des toilettes publiques accessibles, des policiers-ers encore mieux outillés-es, des juristes disponibles, des soins psychologiques et psychiatriques accessibles, une population québécoise avertie et tolérante, bref, ça deviendrait une question de priorité nationale.
Pas simple, mais pourquoi pas ?! Les personnes sans-abri ne sont-elles pas notre miroir sociétal ?! Des canaris-à-protéger dans les galeries obscures de la bureaucratie, l’impéritie et le manque de vision étatique ?!
Dans la foulée, tout ça nous ramène à la solution globale de l’itinérance qui est multiple. Pour espérer l’éradiquer un jour, il faudra donc plus de logement social, plus de maisons de chambres, un rehaussement majeur de l’aide sociale et du salaire minimum, un système de santé mieux adapté, plus de centres de crise, des programmes de réadaptation (travail, école) en nombre suffisant, une meilleure reconnaissance du milieu communautaire, etc., etc.
Mais surtout, et quel que soit le parti au pouvoir, il faudra du courage et de la volonté politique ! Pour qu’un truc comme la Politique nationale sur l’Itinérance (2014) soit plus qu’une coquille vide, un ramassis de bonnes intentions …
Les personnes sans-abri sont des êtres humains à part entière et elles ont droit à tout notre respect ! Au nom de la dignité qui leur est due, faisons donc en sorte que Raphaël André ne soit pas mort en vain !
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