32 000 baux de villégiature sur les terres publiques

2021/02/01 | Par Pierre Dubuc

En 2019, il s’est tué 17 891 orignaux au Québec. La plupart d’entre eux sur des terres publiques où des chasseurs ont des abris sommaires ou des camps sur des emplacements qu’ils louent au gouvernement. Gilles Levac est l’un d’entre eux. Il fait partie des quelque 32 000 signataires de baux de villégiature sur les terres publiques. Gilles habite St-Gabriel de Brandon et son camp est situé au lac Édouard à quelque 130 kilomètres au nord de La Tuque.

Nous nous sommes entretenus avec lui par zoom, non pas pour parler de chasse – il a tué son orignal cet automne – mais du Regroupement des locataires des terres publiques du Québec (RLTP). Il est membre du conseil d’administration de sa région (Mauricie, Centre-du-Québec, Lanaudière), qu’il a présidé de 2008 à 2014, et il siège à titre d’administrateur à l’instance provinciale depuis 2014.

On parle du RLTP parce que gouvernement Legault vient en 2020 de le reconnaître dans les faits pour représenter les villégiateurs locataires du territoire public du Québec, même si la reconnaissance officielle date de 2005. « Avant, on était admis aux rencontres, mais jamais invité. On s’est battu pour que la reconnaissance soit effective. Elle l’est maintenant », se réjouit Gilles Levac. À ce titre, le RLTP peut siéger à la Table nationale de la faune avec la Fédération québécoise des Gestionnaires des ZECs (FQGZ), la Fédération québécoise des Chasseurs Pêcheurs (FédéCP), la Fédération des Pourvoiries du Québec (FPQ) et la Fédération des Trappeurs gestionnaires du Québec (FTGQ).

Le RLTP entretient aussi des relations directes avec ces organismes dont les membres sont souvent des détenteurs de baux sur les terres publiques. « Nous avons aussi des ententes avec certaines MRC et nous travaillons à généraliser les contacts », ajoute Gilles.

 

La mission

Gilles m’oriente vers le site Internet du RLTP où sont présentés les grands objectifs de la mission qu’il s’est donnée :

  1. De faire respecter le principe d'appartenance de la forêt aux Québécois et Québécoises,
  2. D'assurer l'accessibilité de toutes les classes de la société à la forêt du Québec à des coûts raisonnables,
  3. De veiller à ce que les normes de construction et d'implantation en forêt soient en concordance avec:
  • Le temps d'utilisation de ces constructions;
  • Le respect de l'environnement;
  • Le développement durable.

Gilles m’explique que l’occupation du territoire est réalisée par la location de terrains de 4000 mètres carrés avec, en général, 50 mètres de façade sur un lac par 80 mètres de profondeur. « À l’heure actuelle, il n’y a pas d’arpentage, mais des firmes d’arpenteurs aimeraient bien qu’il y en ait. Nous ne nous y opposons pas, pourvu que ce ne soit pas à nos frais ! On imagine le coût que cela représenterait. Et ce n’est pas nécessaire », précise-t-il.

 

Les baux

Le deuxième volet de la mission du RLTP – l’accessibilité de toutes les classes de la société à coûts raisonnables – touche directement au coût des baux. À discuter avec Gilles, on voit bien que cela représente le cœur de l’action de l’association.

La détermination de la valeur des baux est assez complexe. Le Québec est divisé en 49 secteurs de surfaces polygonales qu’on appelle pôles d’attraction. On peut imaginer des cercles concentriques de moins de 30 km, 30 à 59 km, 60 à 89 km et 90 km et plus. Des évaluateurs du secteur privé nommés par le ministère attribuent une valeur de référence à chacun de ces pôles. Celle-ci est pondérée selon l’éloignement à vol d’oiseau du terrain par rapport au point central du pôle de moins de 30 km.

Le loyer est aussi déterminé par sa situation par rapport à un plan d’eau (riverain, semi-riverain et non-riverain). Le prix plancher annuel est de 302 $ pour 2021. Le loyer moyen annuel est de 459 $. Les montants en jeu sont importants. En 2019, par exemple, les revenus totaux des baux ont représenté 7 581 303 $ pour les MRC et 8 498 667 $ pour le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.

Dans ses négociations avec le gouvernement, le RLTP a obtenu une baisse de 16% du loyer moyen entre 2020 et 2021 (de 545 $ à 459 $) et une augmentation annuelle limitée à l’inflation. Cela s’applique aux détenteurs actuels de baux tant qu’il n’y a pas de changement de propriétaire ou l’émission d’un nouveau décret par le gouvernement.

Les nouveaux acquéreurs paieront un loyer en fonction d’une nouvelle valeur de référence, qui demeurera stable par la suite. Et c’est là que le bât blesse. Gilles nous explique que la valeur de référence est établie en fonction des chalets situés près des villes. « Il y a des consortiums qui y bâtissent des châteaux. Ça fait exploser la valeur de référence et ça se répercute en cascade sur tous les baux. Ça touche tous les nouveaux acquéreurs. Mais ça affectera tout le monde dans cinq ans, quand on procédera à l’établissement d’une nouvelle grille. »

L’association fait des représentations sur cette question, mais aussi sur le transfert du patrimoine familial. « La moyenne d’âge de nos membres est de 60 ans. Plusieurs voudraient léguer leur bail à leurs enfants sans qu’ils soient considérés comme de nouveaux acquéreurs et être obligés de subir une augmentation du loyer », argumente Gilles. Un autre sujet d’inquiétude est la spéculation sur les terrains soumis au tirage au sort.

 

Macro et micro gestion des aires protégées

Le RTLPQ s’intéresse aux aires protégées. Comme plusieurs organismes à travers le Québec, l’annonce par le gouvernement Legault de créer des aires protégées sur 17% du territoire n’a pas impressionné Gilles Levac. « La grande majorité sont situées dans le Grand Nord ! », s’exclame-t-il. On est bien loin de l’objectif de protéger 17 % des treize grands écosystèmes du Québec.

 Dans le cas du RLTP, la préoccupation dépasse le cadre macro. « Nous faisons aussi de la microgestion. On veut éviter que les coupes forestières aient lieu trop près des camps des locataires. On dépose des requêtes, on fait des représentations auprès des MRC. Il y a une carte interactive qui permet d’identifier les coupes à venir. » Des relations ont aussi été établies avec Hydro-Québec concernant le passage de nouvelles lignes électriques.  

Bien entendu, l’association doit aussi développer des relations harmonieuses avec les communautés autochtones qui, souvent, réclament la gestion exclusive de l’ensemble du territoire. Une gestion macro, mais aussi, encore là, micro. Gilles se cite en exemple : « Au cours de l’été, j’ai voulu aller faire mes courses à l’épicerie de la réserve plutôt que de descendre à La Tuque. Mais l’accès était interdit à cause de la COVID. J’ai pu faire valoir que je n’étais pas à risque, en prenant à témoin mon voisin autochtone, étant donné que j’étais là depuis le début de l’année. On m’a donné l’autorisation de passer. »

 

L’environnement

Le respect de l’environnement figure aussi en bonne place dans la mission du RLTP. À ce chapitre, Gilles et sa conjointe Claudine ont produit un livret – Le Fumain (pour furmier/humain) – pour le traitement des restes de table et des déjections humaines. L’installation de fosses septiques étant hors de prix, ils misent plutôt sur le co-compostage de ces manières organiques. Après trois ans d’entreposage, le compost est prêt à être utilisé en toute sécurité pour engraisser le jardin. « Le procédé de compostage avec l’utilisation d’un cocon de paille ne laisse pas échapper d’odeurs nauséabondes. L’ours qui rôde aux alentours de mon camp n’est même pas attiré par les restes de poisson », raconte Gilles, manifestement enchanté de son installation.

Aujourd’hui, fier d’être enfin considéré par le gouvernement comme l’interlocuteur représentant les villégiateurs locataires des terres publiques, le RLTP est en pleine campagne de recrutement. Il vient de refaire complètement son site Internet avec des sections pour chacune de ses six régions et leurs nombreux comités. Plusieurs d’entre elles sont réservées aux membres. « Auparavant, les locataires ne voyaient pas l’intérêt d’adhérer au RLTP, parce que toute l’information était gratuite sur le site », déplore Gilles, qui précise qu’il agit à titre bénévole, comme tous les autres dirigeants de l’organisme. « Nous avons présentement 3 000 membres. Si on veut que le gouvernement nous prenne au sérieux dans les négociations à venir concernant, entre autres, le loyer des baux, il faut être plus nombreux ».

Et se donner les moyens de son action. « Il faut défrayer les coûts de gestion du site Internet et de production de vidéos (ordinateurs, logiciels, etc.), de même que les frais de réunion et de représentation (déplacements, repas, etc.) des administrateurs », ajoute-t-il.

À 30 $ la cotisation annuelle, le calcul devrait être facile à faire pour les locataires. Plus de membres, meilleure représentation, des gains plus importants. « Tu rentres vite dans ton argent », conclut Gilles Levac.

On peut adhérer sur le site Internet à l’adresse suivante :  https://www.rltp.qc.ca/fr