De plus en plus d’enfants immigrants dans les écoles anglaises

2021/02/10 | Par Anne Michèle Meggs

Et si je vous disais que ce n’est pas vrai que tous les enfants arrivant au Québec de l’étranger vont à l’école française ? Ou encore, qu’il y en a plusieurs qui s’inscrivent en toute légalité à l’école anglaise publique et que leur nombre augmente chaque année ?

Depuis des années, on lie la pérennité de la langue française à l’immigration. À cet égard, la mesure phare de la Charte de la langue française, qui est reconnue comme étant la plus structurante et qui a donné les résultats les plus probants, est l’obligation pour tous les enfants au Québec, sauf exception, de fréquenter l’école française, incluant évidemment les enfants immigrants, « les enfants de la Loi 101 ».

L’exception la mieux connue est inscrite non seulement dans la Charte, mais également dans la Constitution canadienne depuis 1982. Un enfant peut être inscrit à une école anglaise publique au Québec si au moins un de ses parents, citoyen canadien, a fait la majeure partie de ses études primaires en anglais au Canada ou si l’enfant lui-même, toujours avec au moins un parent citoyen canadien, a fait la majeure partie de ses études primaires ou secondaires au Canada.

En 1977, il était légitime de tenir pour acquis que les parents immigrants n’avaient pas fait leurs études primaires ou secondaires en anglais au Canada et donc que leurs enfants iraient à l’école française. Un indice imparfait que cette mesure a été efficace est le pourcentage d’allophones fréquentant l’école française : il est passé de 14,6 % en 1971 à 89,4% en 2015[1].

Pourtant, au cours de la dernière décennie, le système d’immigration au Québec, comme au Canada, a évolué. De moins en moins de personnes immigrantes sont sélectionnées à partir de l’étranger. De plus en plus, les personnes qui se voient accorder un Certificat de sélection du Québec résident déjà au Québec depuis quelques années grâce à un permis de séjour temporaire. En fait, 47 % des personnes admises au Québec en 2018 dans la sous-catégorie de travailleur qualifié avaient préalablement un statut temporaire.

Le gouvernement fédéral, responsable de l’immigration temporaire, émet de plus en plus de permis temporaires. Au Québec, le nombre de personnes détenant ce type de permis a presque triplé entre 2009 et 2019, passant de 57 305 à 153 040.[2] Une tendance similaire est constatée à travers le Canada.

Partout au Canada, des programmes semblables au Programme d’expérience québécoise (PEQ) ont été mis en place pour faciliter la transition d’un statut de résident non permanent (ou temporaire) à un statut de résident permanent. La résidence permanente est la dernière étape avant la citoyenneté. Et la citoyenneté canadienne est très populaire. Selon Statistique Canada, en 2011, plus de 85 % des personnes admissibles à la citoyenneté l’ont obtenue.

Quel est le lien entre cette nouvelle tendance dans le système d’immigration et l’admission à l’école anglaise au Québec ? Il se trouve dans l’article 85 de la Charte de la langue française. Cet article constitue une autre exception à l’éducation obligatoire en français en permettant aux enfants résidant au Québec avec un permis de séjour temporaire de s’inscrire à l’école anglaise tant qu’ils détiennent un statut temporaire.

Il semblerait que de plus en plus de personnes en profitent. Le nombre d’élèves à statut temporaire inscrits dans les écoles publiques anglaises entre 2010 et 2019 a plus que doublé (de 2 010 à 4 428[3]), surtout en raison des inscriptions sur l’Île de Montréal.

Évidemment les enfants à statut temporaire ailleurs au Canada sont aussi inscrits dans les écoles anglaises. Il y a raison de croire que tous ces jeunes, au Québec et au Canada, auront fait la majeure partie de leur éducation primaire ou secondaire reçue au Canada en anglais. Dès qu’ils obtiendront la citoyenneté, leurs descendants seront admissibles à l’école anglaise au Québec.

Autre fait intéressant, ce ne sont pas que les enfants de parents à statut temporaire au Québec qui s’inscrivent à l’école anglaise. Des familles résidant à l’étranger envoient leurs enfants à l’école primaire ou secondaire au Canada et au Québec et, puisque ces élèves sont titulaires de permis d’études, l’inscription aux écoles anglaises publiques au Québec est permise.

Six commissions scolaires anglophones au Québec sont membres de l’Association canadienne des écoles publiques – International. Cet organisme à but non lucratif a notamment pour mandat de « jouer le rôle de défenseur de l’éducation aux étudiants internationaux, de la maternelle à la 12e année[4] ». Il va sans dire que les droits de scolarité sont faramineux. Au Québec, ils varient entre 12 500 $ et 13 500 $ pour une année complète, ce qui n’inclut pas les autres frais de toutes sortes (hébergement, assurance santé, etc.). Les données concernant l’ampleur ou la nature de ce phénomène ne sont pas publics. Il est à se demander même s’ils sont compilés et suivis.

Même chose pour les données générales sur les temporaires inscrits dans les écoles anglaises. Les données citées ci-haut ont été obtenus grâce à une demande d’accès à l’information.

D’autres données permettent de croire que des Français installés au Québec détenant un permis temporaire ont saisi l’opportunité d’envoyer leurs enfants aux écoles anglaises. Sans qu’on puisse connaître leur statut, on sait que, parmi tous les élèves admissibles à l’école anglaise, la proportion ayant le plus augmentée est celle des élèves de langue maternelle française, passant de 9,9 % en 1986 à 23,4 % en 2015. En fait, 74 % des élèves francophones admissibles aux écoles anglaises en profitent et ils forment 20,3 % de l’effectif des écoles anglaises.[5] Combien ont un statut temporaire ? Combien sont admissibles parce qu’il s’agit d’un couple mixte dont un (probablement Canadien anglais) a fait ses études primaires en anglais au Canada ?

Cette exception à l’obligation de s’inscrire aux écoles de langue française offerte aux temporaires peut avoir plusieurs effets secondaires néfastes :

  • Inciter les commissions scolaires anglophones à recruter les élèves temporaires en vue de maintenir ou d’accroître la clientèle dans leurs écoles ;
  • Pousser les entreprises à invoquer l’accès à l’école anglaise comme avantage lors du recrutement du personnel temporaire de l’étranger ;
  • Créer plusieurs iniquités – entre des enfants immigrants permanents et temporaires, entre francophones de la France et du Québec, entre les sources de revenus des écoles de langue française et anglaise.

Si le ministre Jolin-Barrette est sérieux par rapport à la pérennité de la langue française, il colmatera cette brèche dans le fleuron de l’article 72 de la Charte qui est l’affirmation que l’enseignement se donne en français de la maternelle au secondaire au Québec.

 

[1] Données de l’OQLF. Olivier, Charles-Étienne. Langue et éducation au Québec. 1, Éducation préscolaire et enseignement primaire et secondaire. 2017. L’Office suit les inscriptions dans les établissements d’enseignement à tous les niveaux par langue maternelle, mais pas par statut d’immigration.

[2] Pour mettre l’accent sur les adultes temporaires, les permis d’études émis au niveau secondaire ou moins sont exclus. Les données de 2020 sont exclues puisque toute tendance en immigration est brisée par la pandémie. Les permis de travail sont émis sous le Programme de travailleur étranger temporaire (PTET) et le Programme de mobilité internationale (PMI).

[3] Tiré des données obtenues su ministère de l’Éducation, dossier : 16310/20-260, 2021.01.18.

[5] OQLF, op. cit.