Daniel Boyer, le président de la FTQ, le reconnaît d’emblée : la Loi sur la santé et sécurité au travail (LSST) avait besoin d’être modernisée. « Nous étions des pionniers, il y a 40 ans, lors de l’adoption de la loi. Aujourd’hui, le Québec se trouve bon dernier de classe pour la prévention. Il est classé 63e sur les 63 États et provinces de l’Amérique du Nord. La loi de 1979 ne s’applique pas partout. Seulement 11,6 % des travailleuses et de travailleurs du Québec ont accès à des mécanismes de prévention adéquats », précise-t-il dans l’entrevue qu’il nous accorde sur le projet de loi 59.
Syndicats et patronat s’entendent sur cette nécessité de modernisation. Dans cette perspective, ils travaillent conjointement, depuis déjà quelques années, au sein du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM) à présenter des recommandations communes au gouvernement.
Mais, ô surprise, le projet de loi ne respecte pas 29 des 47 recommandations du CCTM ! « Ça nous a laissés pantois ! », déclare Daniel Boyer. Patronat et syndicats font en parallèle chacun de leur côté du lobbying auprès du gouvernement, reconnaît-il. Mais, de toute évidence, une des parties a été plus écoutée que l’autre.
La FTQ n’est pas la seule organisation à faire état de son opposition. La réforme a provoqué une levée de boucliers en commission parlementaire. Si bien que le ministre Boulet a promis de revenir avec des amendements substantiels à la mi-mars.
Mobilisation exceptionnelle
À la FTQ, on a décidé de ne pas se croiser les bras en attendant ce dépôt. « Nos membres sont remontés. La santé et la sécurité au travail, c’est sacré. Ils nous poussent à agir, à nous battre », admet Daniel Boyer qui avoue n’avoir jamais vu un plan d’action aussi important à la FTQ.
Campagne radiophonique avec Daniel Boucher, interventions publiques, rencontres avec les députés. « Nos membres veulent parler directement à leur député. Il y a déjà eu une cinquantaine de rencontres qui ont eu lieu », souligne le président de la FTQ. Des actions sont aussi prévues lors du 8 mars, le 28 avril et le Premier Mai.
Le 8 mars, parce que les femmes sont particulièrement touchées par le projet de loi. « Les hôpitaux y sont considérés comme étant à faible risque, là où 25 000 personnes ont été contaminées par la COVID et 12 personnes du personnel médical sont décédées. C’est dans ce secteur de la santé que l’on retrouve le plus grand nombre de lésions professionnelles, soit entre 15 000 et 16 000 cas annuellement pour la période de 2011 à 2015 », s’indigne le président de la FTQ en soulignant à grands traits la présence de 73 % de femmes dans les secteurs à risque soi-disant faibles.
Lors de son adoption, la LSST avait prévu une mesure spécifique pour les femmes : le retrait préventif de la femme enceinte ou de la femme qui allaite. Aujourd’hui, le projet de loi limite le retrait préventif. « Inacceptable ! », s’insurge Daniel Boyer.
Médecins de papier
Le 28 avril, Journée internationale de commémoration des travailleuses et des travailleurs morts ou blessés au travail, sera de toute évidence une journée spéciale de mobilisation, si le ministre persiste dans la voie empruntée jusqu’ici lorsqu’il déposera ses amendements.
« Il y a eu au Québec, l’an dernier, plus de 200 décès et 100 000 personnes ont subi une lésion professionnelle », rappelle Daniel Boyer. Et au malheur d’être la victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, s’ajoutent souvent pour la travailleuse ou le travailleur des démêlés avec la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Car plutôt que d’axer leurs efforts sur la prévention, les employeurs préfèrent contester une réclamation. En fait, 18 % d’entre elles sont refusées. La plupart du temps à la suite d’interventions des employeurs, soit dans le cas d’environ 60 % des demandes de révision administratives et 74 % des demandes au Bureau d’évaluation médicale.
Le projet de loi no 59 limite l’accès aux indemnisations et à la réadaptation des lésions professionnelles avec l’ajout de multiples règlements; de délais différents pour les maladies professionnelles, les accidents du travail ou pour un décès; de dédales médico-légaux plus complexes; l’arrivée de nouveaux formulaires et une écriture laborieuse des articles de la loi.
Une des modifications proposées par le ministre inquiète particulièrement Daniel Boyer : la remise en question de la prépondérance du médecin traitant, celui qui a la charge de la victime dans le processus de réparation et de réadaptation des lésions professionnelles. « On veut donner plus de pouvoirs aux médecins de la CNESST et des employeurs. Des médecins qui ne voient pas la victime, des médecins qui n’établissent pas de plan de traitement, des médecins qui ne font que consulter le dossier, des médecins de papier. »
Un autre enjeu est la mise à jour demandée par les syndicats de la liste des maladies professionnelles, afin que les présomptions donnant accès aux indemnités prévues à la loi reflètent l’état de la science et du marché du travail d’aujourd’hui. La liste, qui date de 1985, ne reconnaît que 43 maladies professionnelles reliées au travail, alors que celle de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en reconnaît plus de 130 !
Pour diminuer les coûts : plus de prévention
Le journaliste Francis Vailles de La Presse+ a révélé le contenu d’une étude de la firme Morneau Shephell qui démontrait que le coût de la cotisation des employeurs du Québec excède de 35 % celle des entreprises de l’Ontario et de 60 % celle de l’Alberta. Cela se traduit par une facture pour les entreprises québécoises de 3 milliards, qui dépasse de 640 millions celle de l’Ontario et d’un milliard celle de l’Alberta, toutes proportions gardées.
Daniel Boyer réplique que le taux de cotisation n’a jamais été aussi bas au Québec. « Notre système d’indemnisation est meilleur. Ailleurs au Canada, on l’a scrappé. On bourre les patients de pilules et on s’étonne d’avoir une crise des opioïdes ! Mieux vaut investir en prévention. Des études ont démontré qu’un dollar en prévention se traduit par 10 $ d’économies. »
La réforme est typique du gouvernement Legault : brouillonne et orienté en faveur du patronat. La FTQ a déposé 39 amendements au projet de loi et elle entend mener une des plus importantes batailles des dernières décennies si le gouvernement n’entend pas raison. La santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs sont l’assise du mouvement syndical.
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