Le budget Freeland est à surveiller

2021/02/24 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois

La pandémie a réussi à créer un certain consensus chez les économistes. Même les adversaires coutumiers de l’intervention de l’État ont cette fois-ci appuyé l’intervention des banques centrales et des gouvernements pour soutenir l’économie. Accepter que l’État s’endette pour soutenir le revenu des personnes qui ont perdu leur emploi est assez inhabituel de leur part.

Le débat s’est donc déplacé sur le rôle de l’État lors de la sortie de la pandémie. Le journaliste économique Gérald Fillion a publié récemment une chronique sur ce sujet. De nombreux économistes s’opposent au plan proposé de 1 900 milliards $US du président Biden et de sa secrétaire au Trésor Janet Yellen. Parmi eux, on peut nommer Lawrence Summers, qui a été le secrétaire au Trésor de Bill Clinton et conseiller économique de Barack Obama, ou encore Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international. S’oppose à eux le courant représenté par Paul Krugman et Kenneth Rogoff qui soutiennent l’intervention de l’État pour relancer l’économie.

Le débat se transpose à Ottawa avec le plan de relance de 100 milliards $ annoncé par la ministre des Finances Chrytia Freeland, dont les détails devraient figurer dans son budget prévu pour la fin mars.

 

Deux camps

L’un des enjeux de ce débat a trait à la hausse spectaculaire de l’endettement public durant la pandémie. Le premier camp demande son arrêt et un plan de retour rapide à l’équilibre budgétaire, alors que le second camp mise sur le maintien d’une stimulation budgétaire pour éviter de sombrer dans une morosité économique.

L’économiste Miville Tremblay, ancien directeur principal et représentant régional à la Banque du Canada, a aussi fait paraître une lettre d’opinion sur cet enjeu dans La Presse+. Il rappelle que les partisans du plan de relance s’appuient notamment sur la thèse de Ben Bernanke, ancien président de la Réserve fédérale américaine, qui pose le problème d’un excès d’épargne et d’un trop faible niveau d’investissements à l’échelle mondiale. Ce déséquilibre s’observe par de faibles taux d’intérêt qui empêchent l’économie de réaliser son plein potentiel.

Les partisans de l’intervention étatique proposent donc un investissement public massif, permettant un rattrapage dans l’entretien des infrastructures publiques, et un soutien au développement de l’économie de demain, notamment l’économie verte.

Ils remettent en question l’utilisation du critère du ratio dette-PIB pour limiter l’endettement public et proposent plutôt le calcul du coût des intérêts à payer en proportion des dépenses budgétaires. Rappelons que les faibles taux d’intérêt font en sorte que, malgré un endettement public massif, les intérêts sur la dette publique n’ont pas augmenté.

Pour ces économistes interventionnistes, il est donc préférable de vivre avec des dettes publiques élevées puisqu’elles permettent une stimulation de la croissance et, ultimement, un meilleur contrôle de l’endettement public. Ils ne s’attendent pas non plus à une augmentation des taux d’intérêts sur la dette. Miville Tremblay rappelle que rien ne laisse croire que le surplus d’épargne à l’échelle mondiale va se résorber, laissant entendre par là que l’inflation et les taux d’intérêt devraient rester faibles. Évidemment, les partisans du retour à l’équilibre budgétaire craignent justement une hausse de ces taux, qui mettrait les finances publiques dans une situation intenable.

 

La place du Québec

Quelles sont les implications de ce débat pour l’économie du Québec ? Tout d’abord, il ne faut pas oublier que notre premier partenaire commercial demeure les États-Unis. Leur santé économique est un déterminant majeur pour la nôtre et si leur relance est importante pour eux, elle le sera aussi pour nous. Même si le président Biden veut renforcer les mesures protectionnistes, son plan devrait quand même stimuler notre économie.

Quant au plan Freeland de 100 milliards $, il faudra voir s’il accorde une juste part aux secteurs économiques importants du Québec. Par exemple, si Ottawa choisit d’aider les grands constructeurs automobiles de l’Ontario pour soutenir leur conversion à la voiture électrique – il a déjà annoncé un montant de 300 millions $ alloué à Ford – nous sommes en droit de demander l’équivalent pour le secteur de l’aérospatiale, le transport lourd électrifié ou l’économie de nos régions. Malheureusement, ceci n’a rien d’automatique, le Québec se trouvant de plus en plus marginalisé au sein de la fédération. Il sera aussi intéressant de constater dans quelle mesure Ottawa compte soutenir la filière de l’hydrogène généré à partir des sables bitumineux de l’Alberta, un secteur polluant présenté comme bon pour l’environnement. Enfin, il faudra redoubler de vigilance pour s’assurer que l’argent ne serve pas les intérêts particuliers des amis du parti.

Comme le rappelle le Directeur parlementaire du budget, la marge de manœuvre financière est à Ottawa. Pas à Québec et dans les autres provinces. En général, Ottawa s’intéresse très peu au développement de l’économie du Québec et nous payons le prix de cette indifférence. Autrement dit, le voisin s’apprête à accroître notre endettement pour stimuler l’économie selon ses priorités. Reste à voir dans quelle mesure cela correspond à nos priorités.

 

La dette fédérale

L’élément de ce débat qui suscite beaucoup d’inquiétude est la gestion de la dette fédérale. En situation minoritaire, le gouvernement de Justin Trudeau n’a pas hésité à multiplier les programmes de soutien aux revenus. Si une troisième vague peut être évitée, tout porte à croire que le Premier ministre déclenchera des élections, pariant que son plan de relance de 100 milliards $ lui permettra d’obtenir une majorité à la Chambre des communes.

Tout cela mène à un endettement record. Que fera un gouvernement majoritaire, libéral ou conservateur, une fois la pandémie sous contrôle et l’argent du plan de relance dépensé ? Rien ne nous assure qu’il poursuivra l’approche des pro-interventions. Nous savons à quel point Ottawa est à l’écoute de Bay Street. En situation majoritaire, le gouvernement aurait beau jeu de rééquilibrer son budget en coupant là où c’est le plus facile, c’est-à-dire dans les transferts aux provinces.

On connaît ce scénario. Cela fait 25 ans qu’on joue dans ce film. Au lendemain du référendum de 1995, Ottawa a choisi d’équilibrer ses finances en coupant dans les transferts aux provinces. Il s’en est suivi des programmes de compressions et d’austérité dans toutes les provinces durant un quart de siècle. On peine à s’en remettre et cela pourrait recommencer.

La meilleure assurance pour se prémunir de ce risque est de renvoyer un gouvernement minoritaire à Ottawa. Le Québec étant de plus en plus marginalisé dans la fédération, il n’a plus le poids politique nécessaire pour choisir la couleur du gouvernement. Cependant, il a toutefois toujours le poids requis pour déterminer s’il sera majoritaire ou minoritaire.