Bruno Detuncq est professeur à la retraite de l’École Polytechnique de Montréal, et Bernard Saulnier, ingénieur, tous deux membres du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)
Envoyer un courriel, se rendre à Paris en avion, faire ses courses en voiture, cuire une tourtière, chauffer sa maison, réfrigérer ses aliments, construire une école ou une automobile: toutes ces activités nécessitent un approvisionnement externe en énergie. Quelles sources d’énergie devraient alimenter nos activités?
L’énergie que nous consommons provient de gisements de combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) ou de gisements de source renouvelable tributaires du rayonnement solaire (eau, solaire, éolien, biomasse). La fusion nucléaire étant loin d’être maîtrisée, elle ne sera pas traitée dans ce texte. Il est utile de classer les sources d’énergie en deux catégories pour refléter leurs temps de régénération radicalement différents: les énergies de stock constituées sur une très longue durée, parfois des millions d’années; et les énergies de flux dont le cycle naturel est relativement court, c’est-à-dire quotidien, saisonnier ou annuel. Cette classification permet d’intégrer dans l’équation des approvisionnements énergétiques les enjeux structurels liés à l’épuisement graduel et irréversibles des gisements fossiles, par opposition au caractère renouvelable et pérenne des énergies de flux.
L’augmentation de la population mondiale et la raréfaction des sources non renouvelables nous obligent à penser l’énergie sur le long terme : dans quelles filières énergétiques est-il pertinent d’investir aujourd’hui en fonction du contexte démographique, géographique, climatique et environnemental?
Par sa flexibilité, l’électricité joue un rôle majeur dans toutes nos activités. L’électricité est le vecteur énergétique essentiel de la décroissance rapide de l’utilisation des énergies fossiles, et elle deviendra le vecteur prépondérant de nos approvisionnements en énergie dans l’avenir. Dans ce qui suit, afin de comparer équitablement des pommes avec des pommes, nous prendrons pour hypothèse que la forme finale des différentes filières énergétiques est l’électricité.
Plusieurs critères doivent être utilisés pour analyser les choix énergétiques qui s’offrent à nous, afin d’en déterminer tous les avantages et inconvénients à long terme, sachant qu’aucun projet énergétique n’est neutre par rapport à la nature. Le critère économique est important, mais la dégradation de l’environnement et la crise climatique nous obligent à intégrer d’autres critères au cadre décisionnel des investissements énergétiques tant publics que privés.
Parmi les instruments de mesure utiles, mentionnons l’analyse par le taux de retour énergétique (TRE), aussi connu par son acronyme anglais EROI (Energy Returned On energy Invested). Le TRE est la quantité d'énergie finale utilisable divisée par la quantité d'énergie dépensée pour l’obtenir. Plus la valeur du TRE est élevée, plus le projet est rentable au plan énergétique.
Il est aujourd’hui essentiel de tenir compte du TRE d’un projet lorsqu’on mesure la quantité de gaz à effet de serre (GES) qui lui est associée. À noter que les GES ne se limitent pas au dioxyde de carbone (CO2), mais qu’ils comprennent aussi d’autres gaz, en particulier le méthane (CH4), souvent négligé dans les analyses, mais qui a un potentiel de réchauffement global 86 fois plus important que le CO2 sur un horizon de 20 ans. La dimension temporelle est importante puisqu’il faudrait incorporer dans l’analyse les émissions fugitives qui peuvent se poursuivent très longtemps après la fermeture des puits. Il est donc nécessaire, pour l’évaluation des projets impliquant des combustibles fossiles, de bien en définir la portée dans le temps.
Il est impossible de donner une valeur unique au TRE pour chaque filière, car beaucoup de facteurs influencent la valeur finale; il s’agit donc de présenter un ordre de grandeur plutôt que des résultats précis. Les centrales hydroélectriques avec réservoir possèdent la fourchette de TRE la plus élevée[i], entre 80 et 112, une valeur qui tient compte de la quantité d’énergie requise pour la construction de la centrale, du barrage et des infrastructures requises. Ces projets sont très rentables au plan énergétique parce que les besoins internes des centrales sont minimes et que les barrages ont une espérance de vie très longue.
Comme pour l’hydroélectricité, la phase de construction est incluse dans les calculs du TRE associé aux autres formes d’énergie renouvelable. L’énergie solaire présente des valeurs de TRE entre 5 et 34. Les écarts dépendent principalement du type de capteur solaire et de l’ensoleillement annuel du lieu d’installation. L’amélioration de la technologie avec les années porte ces valeurs à la hausse[ii].
Du côté de l’énergie éolienne, les valeurs du TRE dépendent également de plusieurs facteurs, dont notamment la vitesse annuelle moyenne du vent. Des éoliennes toujours plus hautes, équipées de rotors toujours plus grands, fournissent aujourd’hui de l’électricité à un coût toujours plus bas. Les grandes éoliennes commerciales se situent dans une fourchette de TRE comprise entre 35 et 70[iii]. Par exemple, aux Îles de la Madeleine, une éolienne construite suivant les normes actuelles compenserait en quelques mois tous les besoins énergétiques requis par sa fabrication et son installation, générant sur 20 années de production plus de 70 fois ce même volume d’énergie sous forme d’électricité propre.
Les filières solaire et éolienne se démarquent, par ailleurs, par leur faible production de GES. Ces émissions se produisent durant la phase de construction des installations, car les émissions sont nulles dans la phase d’exploitation qui s’ensuit. Finalement, puisque le carburant éolien et solaire est gratuit, ces filières contribuent directement à la stabilité des prix de l’électricité sur toute leur durée de vie.
Du côté des énergies fossiles, il faudrait tenir compte des étapes qui vont de l’extraction du combustible jusqu’à la production d’électricité dans des centrales thermoélectriques, sachant que leur rendement moyen actuel est d’environ 40%. Malheureusement trop peu de données existent pour que les phases de construction des infrastructures de production soient considérées. Les résultats de recherche présentés par Luciano Celie[iv] en 2019 et portant sur les 30 compagnies pétrolières les plus importantes au monde montrent que le TRE se situe entre 3 et 30 avant la combustion. Une fois la conversion en courant électrique intégrée au calcul (avec un rendement de ~40%), ces valeurs baissent à 1,2 et 12. Même ordre de grandeur pour le gaz naturel. Dans le cas des énergies fossiles, le TRE diminue avec le temps, car elles deviennent plus difficiles à extraire, ce qui requiert davantage d’énergie. Par conséquent, les émissions de GES associées à l’exploitation de ces sources d’énergie sont en augmentation pour chaque unité d’énergie produite.
L’ère de l’énergie peu dispendieuse, dont les conséquences ne sont pas seulement externalisées, mais aussi ignorées lors des décisions d’investissement, tire à sa fin. On ne peut plus faire comme avant; le temps de l’énergie considérée comme une denrée précieuse est arrivé.
Questions ou commentaires? info@desuniversitaires.org
[i]Références
[ii] Trends in Scientific Literature on Energy Return Ratio; Roberto Leonardo Rana and al ; 2020 https://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwj4xMSTnsHsAhVkmuAKHbFnBHEQFjASegQIBRAC&url=https%3A%2F%2Fwww.mdpi.com%2F2076-3387%2F10%2F2%2F21%2Fpdf&usg=AOvVaw1HhRiMmgLIs8WBhIViYSJ3
[iii] Scientific proof of sustainability; Enercon receives certificate for life-cycle assessment, Windblatt, #02/12, p.14 https://www.enercon.de/fileadmin/Redakteur/Medien-Portal/windblatt/pdf/WB_2-2012_de_web.pdf,
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