Je suis écrivain/écrivaine. Je suis un.e. vrai.e. artiste

2021/03/18 | Par Orian Dorais

Ils sont plus d’un millier, artistes et sympathisants, à avoir signé une pétition réclamant de meilleures conditions pour les écrivains, dans le cadre de la révision de la Loi sur le statut de l’artiste, entamée il y a peu par la ministre de la Culture Nathalie Roy. Une mobilisation « jamais vue », selon Suzanne Aubry, auteure, scénariste et présidente de l’Union des écrivaines et écrivains du Québec (UNEQ), avec qui j’ai eu le plaisir de m’entretenir. La formule-choc résumant la campagne de l’UNEQ, « Je suis écrivain/écrivaine.  Je suis un.e. vrai.e. artiste » m’avait interpelée et j’ai voulu en savoir plus sur les revendications du milieu littéraire par rapport à la Loi sur le statut de l’artiste. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une réforme en profondeur des politiques culturelles québécoises s’impose le plus vite possible, pour mettre fin aux inégalités criantes qui affligent nos auteurs.

O. : Suzanne Aubry, le gouvernement caquiste semble enfin ouvert à moderniser la Loi sur le statut de l’artiste, ce que l’UNEQ réclame depuis des années. Quelles sont vos revendications, dans ce contexte ?

S. : Bien, d’abord, il faut comprendre qu’il y a deux lois sur le statut de l’artiste. L’une date de 1987 et l’autre de 1988. La première loi protège les acteurs, les musiciens, les danseurs, les réalisateurs, les artisans audiovisuels, en bref, la plupart des artistes. Elle leur donne le droit, via des syndicats comme l’ARRQ, la SARTEC, l’AQAD, l’UDA et la Guilde des musiciens, de négocier leurs conditions de travail et force les diffuseurs à s’assoir à la table de négociations. La loi de 1987 est imparfaite, mais elle a tout de même donné une protection légale aux créateurs et un support juridique pour leurs unions. Maintenant, il faut parler de la loi de 1988… Moi, quand vient le temps de comparer les deux, je parle de la bonne et de la mauvaise loi (rires). Malheureusement, le statut des écrivains est régi par la « mauvaise » loi de 1988, qui couvre aussi les artistes visuels. Nous ce qu’on demande c’est d’être inclus dans celle de 1987, tout simplement.

O. : Pourquoi donc ?

S. : Parce que celle de 1988 manque de mordant ! Elle ne permet tout simplement pas à l’UNEQ d’exercer son mandat de syndicat ! Saviez-vous que, selon les règles actuelles, il n’y a rien qui force les éditeurs à négocier avec nous ? Oui, l’UNEQ est un syndicat qui représente tous les écrivains, mais les maisons d’édition n’ont pas à prendre en compte nos revendications, si elles ne le souhaitent pas.

Dans toutes les disciplines couvertes par la loi de 1987, les diffuseurs doivent légalement prendre en compte les syndicats. Pas en littérature. C’est pour cela qu’on veut passer sous le régime de cette loi. On veut avoir le droit de faire ce qu’un syndicat normal fait : protéger ses membres. En ce moment, on ne peut que les conseiller. Il est temps, au Québec, d’avoir un vrai encadrement légal pour la pratique du métier d’écrivain, mais ça ne se fera pas tant que nous n’aurons pas les mêmes droits syndicaux que nos collègues de l’UDA, de l’ARRQ et ainsi de suite.

O. : Sentez-vous que vos revendications sont bien reçues ?

S. : Si vous saviez ! La mobilisation est extraordinaire. Des centaines et des centaines d’auteurs et d’autrices ont signé la lettre ouverte pour réclamer un changement de nos conditions. Les signataires sont issus de tous les milieux et de tous les groupes d’âge. On a autant des jeunes qui débutent dans le métier que d’écrivains chevronnés comme Michel Tremblay et Marie-Claire Blais. L’auteur de BD Michel Rabagliati a signé.

On a aussi des appuis internationaux. Samantha Bailly, la présidente de la Ligue des auteurs professionnels de France est signataire. Notre démarche est aussi soutenue par tous les syndicats artistiques que je vous ai nommés. Ils sont tous associés, comme nous, à la Fédération Nationale des Communications et de la Culture (FNCC), qui elle-même est liée à la CSN. Autant au niveau de la FNCC qu’à celui de la CSN, on voit un appui affirmé pour nos revendications.

O. : On dirait qu’il y a une belle solidarité entre les artistes.

S. : En effet. Depuis un an, je vous dirais, il y a des rapprochements qui se font entre les unions artistiques.

O. : À cause de la pandémie ?

S. : Non, ç’a débuté un peu avant, mais disons que la COVID est venue nous rappeler l’importance de se serrer les coudes entre travailleurs culturels, parce que le confinement nous a frappés de plein fouet. Il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’on voie des statistiques effarantes sur le revenu et la santé mentale des artistes.

O. : Donc, si le gouvernement se montre ouvert et que la pression est forte, vos revendications devraient être acceptées, non ?

S. : Je l’espère. Il y a bien l’Association Nationale des Éditeurs de Livres (ANEL), représentante la moitié des maisons d’édition québécoise, qui ne voit pas d’un très bon œil la syndicalisation des écrivains. L’ANEL, qui est notre principal vis-à-vis lors de négociations, prétend qu’un changement à la loi n’est pas nécessaire. En même temps, depuis des décennies, nous n’avons jamais pu négocier une convention collective avec les éditeurs !

Quand l’UNEQ essaie, les responsables de l’ANEL répliquent qu’ils n’ont pas le mandat de leurs membres pour négocier avec nous. On a passé des années à négocier un rapport de « reddition de comptes » (un rapport qui résume combien de livres ont été vendus, combien de droits d’auteurs ont été perçus), pour finalement se faire dire, dans un sondage de l’ANEL parmi ses membres, que moins de dix pour cent des éditeurs remplissent ce rapport !

Imaginez ensuite négocier des redevances, des droits d’auteurs, un droit à l’arbitrage ou une justice réparatrice, quand quelque chose d’aussi élémentaire qu’un rapport de comptes n’est pas respecté. Il ne faut pas que ce soit laissé à la discrétion des éditeurs. C’est un déséquilibre de pouvoirs. Ceci dit, je ne suis pas en guerre contre l’ANEL. Il y a plusieurs excellents éditeurs. Justement, on veut que la loi empêche les éditeurs abusifs de donner une mauvaise réputation au métier. Dans ce sens, la loi serait aussi bonne pour l’ANEL que pour l’UNEQ.

O. : Pensez-vous que l’intégration des artistes à la loi de 1987 suffira à donner à nos écrivains un revenu décent. Ou faudrait-il penser à un revenu universel pour les artistes ?

S. : L’idée d’un revenu universel est intéressante, mais il ne faudrait pas limiter ce revenu aux artistes. Il faudrait que toutes les personnes dont le revenu est précaire y aient accès. Mais, pour l’instant, commençons par obtenir un statut approprié pour les écrivains !