La stratégie canadienne pour le climat vouée à l’échec

2021/03/22 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois

« La gouvernance du Canada en matière climatique ne fonctionne pas », déclare Corinne LeQuéré, climatologue québécoise, directrice du Tyndall Centre for Climate Change Research basé au Royaume-Uni, et présidente du Haut conseil pour le Climat, instance consultative indépendante française. Invitée comme témoin au comité de la Chambre des communes sur l’environnement, elle a rappelé que tant que le Canada n’aura pas réduit ses émissions CO2 à zéro émissions nettes, tous les Canadiens continuent, tous les ans, à réchauffer la planète.

« Dans le cadre de mes recherches, je fais un suivi des émissions de CO2 d’origines fossiles, qui sont la cause première du réchauffement climatique. Le Canada est le seul pays du G7 où les émissions ne sont pas à la baisse. Les émissions du Canada sont 20 % plus élevées qu’en 1990, l’année de référence du Protocole de Kyoto. Depuis 2010, les émissions ont augmenté de 3 %, alors qu’elles ont diminué dans au moins 43 pays dont l’économie est en croissance. Le Royaume Uni, qui a la gouvernance climatique la mieux établie, a vu ses émissions diminuer de 28 % depuis 2010. Les politiques climatiques fonctionnent ailleurs, mais pas au Canada », affirme-t-elle.

Et quelles solutions envisage le Canada pour atteindre la carboneutralité en 2050 ?  L’hydrogène, le nucléaire et le captage de carbone !  En fait, le Canada ne veut surtout pas aborder, comme l’a rappelé Mme LeQuerré , le problème des énergies fossiles.

 

L’hydrogène

Il est important de suivre attentivement l’évolution de la filière hydrogène, qui sera fort probablement  une façon détournée pour l’industrie pétrolière de continuer à exploiter les sables bitumineux en toute impunité en se drapant d’un voile environnemental. Le gouvernement libéral compte ainsi gagner des votes dans l’Ouest.

Petit récapitulatif :  l’hydrogène n’est pas à proscrire, bien au contraire, puisque la combustion d’un kilogramme d'hydrogène libère environ trois fois plus d'énergie qu'un kilogramme d'essence, et ne produit que de l’eau. Cependant cela dépend du type d’hydrogène. Il existe plusieurs types d’hydrogènes répertoriés par couleurs afin de valoriser certains modes de production plutôt que d’autres. L’article L’hydrogène et ses 50 nuances de gris, vert, bleu …  les définies toutes très bien.

En résumé, il y a l’hydrogène gris, ou traditionnel, produit à partir d’hydrocarbures avec un impact certain sur les émissions de gaz carbonique (CO2).  La couleur rose est parfois utilisée pour identifier l’hydrogène produit avec l’énergie nucléaire.  L’hydrogène bleu est produit avec le gaz naturel et l’hydrogène vert à partir de l’électrolyse de l’eau en utilisant de l’électricité  provenant d’énergies renouvelables. 

Si plusieurs pays admettent que l’hydrogène vert coûte beaucoup plus cher à produire que l’hydrogène bleu, ils n’ont pas peur d’admettre que le vert doit absolument être priorisé pour atteindre la carboneutralité. Au cours d’un webinaire organisé sur l’hydrogène, Jeffrey Golmeer de la compagnie General Electric croit que l’octroi de subventions publiques dans ce domaine est nécessaire puisqu’actuellement, la production d’hydrogène grise est cinq fois moins dispendieuse à produire que la bleue et 30 fois moins chère que la verte.

De son côté, Julia King, vice-présidente du Comité britannique sur le changement climatique, a insisté sur le fait que, dans les cas de figure où l’électricité peut être utilisée, il faut l’utiliser. L’hydrogène ne doit être utilisé que dans les secteurs qui ne peuvent être électrifiés. Il sera toujours moins cher d’utiliser directement l’électricité. La logique à l’état pur…  Et le Québec, avec son hydro-électricité, a tout pour tirer son épingle du jeu, mais il devra rester aux aguets puisque certaines personnes tentent de brouiller les cartes avec la mise en place d’un certificat « hydrogène faible en carbone », qui ne permettrait plus de différencier l’hydrogène bleu du vert.

 

Les énergies fossiles et le captage de carbone

La fameuse stratégie canadienne pour l’hydrogène prétend que « l’hydrogène est essentiel à la transformation des industries du pétrole et du gaz naturel en une industrie à zéro émission nette. Il offre la possibilité de tirer parti du bassin de talents diversifié du Canada, ainsi que de ses précieuses réserves énergétiques et infrastructures, d’une manière qui soit sans carbone au point d’utilisation, offrant ainsi une voie d’avenir pour l’utilisation de ces actifs ».

Or, le secteur pétrolier et gazier est le plus important émetteur de gaz à effet de serre (GES) au Canada. Le gouvernement Trudeau nous vante le processus de captation du carbone et de son stockage (CCS) pour dire que l’hydrogène gris propre. En fait, il s’agit d’enfouir le dioxyde de carbone (CO2) dans le sol.  Ainsi, on continue de soutenir de vieilles industries polluantes et on ne change rien à notre façon de vivre et de consommer. C’est mensonger et irresponsable quand on sait que de récents travaux ont démontré que l’enfouissement du CO2 sous pression peut provoquer des tremblements de terre.

Il existe 51 installations de CCS dans le monde : 21 sont opérationnelles, 2 sont en construction et 28 sont à différents stades de développement. Combinées, elles auront une capacité de stockage de 100Mt de CO2 par année. L’agence internationale de l’énergie (IEA) estime que 2000 installations seraient requises pour atteindre les objectifs de réduction de 2050 de l’Accord de Paris !

Au Canada, aucun doute ne subsiste sur les motifs derrière les installations de CCS : la  réutilisation  du CO2, pour la récupération assistée des hydrocarbures (RAH), en l’injectant dans des gisements en déclin pour en tirer davantage de pétrole. Rien de moins.

 

Le nucléaire

L’industrie nucléaire veut aussi sa part du gâteau. Une autre avenue qui peut s’avérer dangereuse et qui se développe au détriment du Québec.  Ottawa mise aussi sur le fait que « l’hydrogène peut être produit par électrolyse en utilisant… des procédés thermiques à haute température ou par couplage avec de petits réacteurs modulaires (PRM) ».

Le 8 mars dernier, lors d’un webinaire, Paul Lefebvre, secrétaire parlementaire du ministre des Ressources naturelles, faisait la promotion des PRM – auxquels le Bloc s’était farouchement opposé – pour soutenir l’industrie minière en vue de la réduction de ses émissions. « Il serait tout naturel que le Canada dirige les efforts visant à démontrer que les PRM peuvent contribuer à une exploitation minière plus propre. Après tout, le Canada est à la fois un grand pays minier et une nation nucléaire de premier plan. Les PRM sont un outil potentiel pour atteindre notre objectif de carboneutralité d’ici 2050 », a déclaré M. Lefebvre.

Mentionnons, au passage, que cette technologie est un véritable pied de nez au Québec. Encore une fois, Ottawa prend l’argent des contribuables québécois pour développer une filière de réacteurs en Ontario, faisant fi d’une solution verte qui existait déjà au Québec.

Le plus grand danger associé à l’utilisation des RPM pour la production de ce type d’hydrogène est la gestion des déchets radioactifs. Actuellement, ils sont entreposés de façon temporaire dans des contenants blindés jusqu’à ce qu’on développe une façon de les isoler de la biosphère pour des centaines de milliers d’années.

Si M. Lefebvre affirme que « le Canada est une nation nucléaire de premier plan », j’aimerais rappeler qu'en 2019, un rapport de l’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA) mettait en lumière de nombreuses lacunes dans la gestion des déchets radioactifs par le gouvernement canadien. Au mois de mars, face à une révision opaque de la politique sur les déchets radioactifs par le fédéral, j’ai joint ma signature à celles d’Action déchets nucléaires et d’une centaine d’organismes pour exiger plus de transparence et la prolongation des consultations.

Il y a de quoi s’inquiéter parce que les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC) souhaitent construire à Chalk River, en bordure de la rivière Outaouais, une installation de gestion des déchets près de la surface (IGDPS). Cette méthode consiste à empiler les déchets en surface, à quelques centaines de mètres de la rivière, avec une membrane imperméable pour les recouvrir. Si ce projet est accepté, ce sera le plus gros site IGDPS au monde. On compte y accumuler un million de mètres cubes de déchets radioactifs dans un site qui ressemblera à un dépotoir municipal.

Les enjeux liés à l’eau potable sont trop importants pour être laissés à un consortium privé. La rivière des Outaouais est un affluent important du fleuve Saint-Laurent. Tous deux approvisionnent en eau potable des millions de Québécoises et Québécois.

Vivement l’indépendance pour ne plus être à la merci de ces stratégies qui n’ont rien à voir avec une vraie relance verte. Pour nous, au Bloc Québécois, il est temps d’éliminer notre dépendance au pétrole, d’utiliser notre électricité dans nos transports, de transformer davantage les ressources renouvelables de nos forêts; nous pourrions même, avec notre expertise, tenter de développer un avion carboneutre. La conciliation entre économie et écologie n’est pas une contrainte : elle est une opportunité de création de richesse.