L'économie post-pandémie et les emplois

2021/03/26 | Par Gabriel Ste-Marie

L'auteur est député du Bloc Québécois

La façon qu’ont les sociétés de s’organiser évolue constamment. Cette transformation s’est grandement accélérée au cours de la pandémie. Les importantes contraintes sanitaires mises en place afin de limiter la propagation de la COVID-19, ont bouleversé nos façons de faire et on peut déjà entrevoir que le monde de l’après pandémie sera différent du monde de l’avant pandémie.

Inscription à l'aut'hebdo : https://lautjournal.info/newsletter/subscriptions

Côté organisation économique, tant la façon de produire que de consommer ont changé. Par exemple, les achats en ligne ont explosé en 2020. C’était une tendance déjà présente, mais la crise a précipité son essor et une part importante de ce changement devrait subsister dans l’économie post-pandémie.

Les commerces sont forcés de prendre ce virage plus rapidement. Cela avantage les grands joueurs qui ont la capacité de s’adapter plus rapidement à la tendance que les petits commerces. Évidemment, les géants comme Amazon et Walmart détiennent la part du lion de cette transformation. L’État se traîne les pieds pour mettre en place les règles du commerce en ligne, ce qui avantage encore ces géants. On peut craindre les effets de la concentration de l’activité économique et la fragilisation des commerces indépendants de nos centres-villes.

Leur fragilisation est double. Ils perdent une part du marché au profit des géants du web et leur fermeture partielle durant la pandémie a accru leur endettement. Si rien n’est fait, le visage de nos centres urbains de l’après-crise risque d’être nettement plus triste. Mais des solutions existent. Par exemple, les libraires indépendants demandent un tarif spécial à Postes Canada afin de mieux concurrencer Amazon. Ce projet est réalisable et pourrait par la suite être étendu à l’ensemble des commerces indépendants.

Dans le secteur de la restauration, le pour-emporter a remplacé le service traditionnel. En imaginant que la pandémie n’aura pas fait perdre le goût de socialiser pour toujours, un éventuel retour à la normale est prévisible. Entretemps, de nombreux restaurants auront fermé leurs portes. De plus, le confinement aura avantagé les géants de la livraison aux enseignes anglaises, qui exigent des frais abusifs et ne paient pas leur juste part d’impôts. Heureusement, des alternatives locales aux frais plus modérés ont aussi vu le jour. Il souhaitable que ces alternatives réussissent à s'imposer et inspirent de nouvelles façons de faire pour l’ensemble de la vente en ligne.

 

Automatisation, robotisation et télétravail

Côté production, les tendances présentes avant la pandémie se sont aussi accélérées. Afin de respecter les règles de distanciation sanitaires des travailleurs, les entreprises ont accéléré l’automatisation des chaînes de montage et le virage numérique pour l’ensemble de leurs activités. Qui dit automatisation dit évidemment moins d’emplois pour produire plus.

Ce recours accru à la robotisation et à l’intelligence artificielle a aussi transformé les secteurs de la livraison, du commerce (avec les caisses libre-service) et le secteur bancaire avec les outils en ligne.

Un virage majeur de l’organisation économique pendant la pandémie est le recours au télétravail. Les entreprises, qui affichaient une réticence à ce mode de production, n’ont eu d’autre choix que d’y recourir. Et, comme l’illustre une étude de McKinsey & Company, le patronat a même constaté une hausse de la productivité et de la journée de travail des employés en télétravail.

Un maintien partiel de cette façon de faire après la pandémie est à prévoir. La même étude évalue que plus du quart des travailleurs des économies industrialisées pourraient exercer leur activité à distance de trois à cinq jours par semaine sans réduire leur productivité. Ce changement possible post-pandémie ferait quadrupler ou quintupler le nombre de personnes qui travaillent régulièrement de chez elles, essentiellement dans des emplois bien rémunérés. De quoi changer profondément la géographie du travail.

 

Centres-villes: les gagnants et les perdants

Un maintien durable du télétravail pourrait entraîner une migration d’une part des hauts salariés et des diplômés loin des grandes villes, où le coût de la vie est plus élevé. TVA illustrait récemment ce bouleversement par l’exemple d’un Torontois converti au télétravail qui a choisi de s’installer à Trois-Rivières.

Si ce phénomène perdure, les centres des grandes villes pourraient perdre une part de leur écosystème : immeubles à bureaux, restaurants, hôtels et magasins. Des secteurs qui emploient des travailleurs peu spécialisés.

McKinsey & Company rappelle que dans les grandes villes étatsuniennes un emploi sur quatre est rattaché à ces secteurs. La firme prédit une perte durable de 4,3 millions d’emplois dans ces secteurs auxquels s’ajoutent un autre million d'emplois liés aux services administratifs. On peut imaginer un impact proportionnellement semblable chez nous. Pour les pays industrialisés étudiés, l’étude affirme que ce sera 12 % des travailleurs qui devront changer de secteurs.

Leur accompagnement dans cette transition et le soutien à la formation sont plus nécessaires que jamais. Alors que les opportunités alléchantes pour les diplômés iront en se multipliant, surtout dans certains domaines (santé, science, technologie, ingénierie et mathématiques), le nombre d’emplois des non diplômés devrait continuer à s’amenuiser. Tout ceci n’augure rien de bon pour l’accroissement des inégalités. Elles ont bondi durant la pandémie et devraient continuer à s’accroître dans l’économie de l’après-crise. L’État aura plus que jamais un rôle central à jouer pour réduire ses inégalités.

Les changements annoncés sont d’autant plus inquiétants pour Montréal qui était la première destination des Amériques pour les congrès internationaux, accueillant deux fois plus de congrès que New York, deuxième de la liste. Le retour à la normale sera long et peut-être qu’il y aura tout simplement moins de tels congrès dans l’économie post-COVID-19. Il est à souhaiter que Montréal ne perde pas l’infrastructure nécessaire à la bonne marche de ce secteur.

 

Revitalisation des régions

De l’autre côté, peut-être que cette délocalisation du travail permettra une revitalisation de nos régions en favorisant l’occupation du territoire. Une transformation majeure est à prévoir. Depuis longtemps, le modèle économique axé sur les grandes villes a joué un rôle moteur dans la création d'emplois.

Enfin, l’étude de McKinsey & Company démontre que la tendance actuelle, tant aux États-Unis qu'en Europe, est le déplacement de nombreuses entreprises et de plusieurs employés vers des villes de tailles plus modestes où le coût de la vie est moindre.

Un phénomène, qui rappelle l’émergence de villes industrielles comme Manchester en Angleterre, s’illustre notamment par la délocalisation grandissante des activités de la Silicon Valley vers le Texas. Le phénomène était en marche avant la pandémie qui l’a accéléré. Des pays comme la Grèce, l’Estonie et la Géorgie prennent des mesures pour tenter d’attirer ces nouveaux nomades.

Dans toute crise, il est difficile d’identifier rapidement les transformations qui auront été marquantes. Si ces nouvelles façons de faire pour produire et consommer perdurent, ne serait-ce que partiellement, elles risquent de changer de façon durable notre organisation économique. Le problème est qu’elles affectent particulièrement les petits commerces et les faibles salariés. Si nous rêvons d’une économie de demain qui réduirait les inégalités et ne laisserait pas toute la place aux géants du web, il est important d’agir dès maintenant et les actions de l’État doivent aller en ce sens.