Frédéric Lacroix est l’auteur « Pourquoi la loi 101 est un échec » (Boréal 2020)
L’année qui vient de s’écouler nous a apporté bien des bouleversements, dont celui, tout à fait inattendu, d’une prise de conscience aigüe du déclin du français au Québec. Contre toute attente, une bonne partie de l’opinion publique est redevenue sensible à la question linguistique. Huit québécois sur dix (un record!) estiment que « la langue française a besoin d’être protégée au Québec » (Sondage Léger 29 mars 2021).
Les partisans de cette mesure étaient jadis confinés dans certains cercles restreints du mouvement souverainiste. On se rappellera que Pierre Curzi s’était démené il y a une décennie pour faire greffer l’idée au programme du Parti québécois. Avec un succès mitigé cependant; l’idée avait bien été adoptée, les militants ayant voté en sa faveur en congrès, mais les dirigeants péquistes étaient contre et n’ont eu cesse de manœuvrer pour l’éjecter de la plateforme. Jusqu’à ce que Jean-François Lisée, alors chef du PQ, réussisse à en purger le programme en 2017.
Mais une idée ne meurt jamais. Ainsi, l’idée de la loi 101 au cégep s’est propagée dans la dernière année avec une vigueur surprenante. Elle a d’abord atteint ceux, qui, plus « nationalistes » étaient moins préparés à y résister : Joseph Facal (qui a changé d’idée récemment), Antoine Robitaille, Elsie Lefebvre, Mathieu Bock-Côté (qui, à vrai dire, est en faveur depuis longtemps), Guy Rocher, Étienne-Alexandre Beauregard (très actif chez les jeunes caquistes).
Mais l’idée commence même à se répandre chez ceux que l’on pensait immunisés: Denise Bombardier, Emmanuelle Latraverse, Carl Vallée (conseiller québécois pour Stephen Harper), Christian Dufour, Gilles Duceppe.
L’idée de la loi 101 au cégep coalise maintenant des gens que tout sépare mais qui en sont venus à la conclusion que le temps de cette mesure était venu, qu’on « était rendu là » comme l’a dit Gilles Duceppe en entrevue à QUB radio. Un sondage Léger (novembre 2020) indique que 47% des répondants sont en faveur de la loi 101 au cégep alors que 45% sont contre. Il est tout à fait étonnant que l’appui à cette mesure soit légèrement supérieur à l’opposition à celle-ci alors que la loi 101 au cégep a été démonisée à qui mieux mieux sur toutes les tribunes pendant 20 ans.
Même le gouvernement fédéral a reconnu récemment que le français reculait au Québec. Du jamais vu.
Les astres sont alignés comme jamais pour que la réforme de la loi 101 pilotée par Simon Jolin-Barrette soit majeure, structurante et ait un réel impact sur la vitalité du français au Québec. Cette réforme, pour être effective, doit contenir un signal fort à l’effet que le français revient au centre du jeu. Ce « signal » ne peut être que la loi 101 au cégep.
François Legault affirmait récemment vouloir laisser un « legs nationaliste assumé » (La Presse, 8 mars 2021). Dans la situation actuelle, le legs qui s’impose est d’agir pour empêcher le français de couler. Si M. Legault rate la « fenêtre d’opportunité » actuellement ouverte, il est fort probable qu’elle se referme à jamais; les francophones seront bientôt trop faibles au Québec pour prétendre imposer ce genre de mesure dans l’avenir.
C’est maintenant ou jamais.
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