Dans son livre Plaidoyer pour un syndicalisme actuel (Somme Toute), Éric Gingras décrit le déroulement de la présentation sur Facebook, aux membres de son syndicat, des grandes lignes des dépôts patronaux au cours de l’actuelle négociation du gouvernement avec les employés des secteurs public et parapublic pour le renouvellement des conventions collectives.
« 150 personnes l’ont regardée en direct pendant environ 40 minutes avec plus de 120 commentaires et questions envoyés en direct. Dès la fin de la vidéo, plus de 1 200 internautes avaient visionné la vidéo. Le nombre est passé à 6 000 avant la fin de la soirée. Trois jours plus tard, nous avions dépassé les 16 000 vues ! », se réjouit-il, y voyant une confirmation de la pertinence de la révolution numérique qu’il propose au mouvement syndical.
« Un an et demi plus tard, ces présentations sur les négociations attirent près de 1 000 personnes en direct, et les visionnements ultérieurs montent à quelques milliers dans les heures et jours qui suivent. Comme quoi il y a un réel appétit des membres pour ce type d’informations rapides concernant les dossiers qui les touchent. D’autant plus qu’ils ont alors la possibilité de poser des questions et d’obtenir des réponses en direct », fait valoir Éric Gingras.
Selon lui, les pratiques actuelles de négociation sont désuètes. Il s’en prend à l’opacité de la sacro-sainte « stratégie de négociation », qui fait en sorte que « plus on avance dans le processus, moins les membres sont informés ».
« Nous ne pouvons plus continuer à mener des négociations collectives de cette façon, affirme le président du Syndicat de Champlain. Nous disposons de tous les moyens, outils, plateformes et stratégies pour impliquer les membres, mais, sous prétexte de garder les tractations confidentielles au nom de la stratégie, nous ne le faisons pas. »
De nouvelles règles de jeu
Éric Gingras ajoute : « Présenter aux membres une entente de principe offrant 2,5 % en hausse salariale par année alors que la demande initiale était de 5 %, sans qu’ils aient eu d’informations sur ce qui s’est passé entre le point de départ et la ligne d’arrivée, ça ne peut plus se faire. »
Cela signifie-t-il qu’il faille retourner en assemblée générale à chaque fois qu’un repli ou un ajustement des demandes syndicales s’avèrent nécessaires ? « Non, répond-il. Les réseaux sociaux ou tout autre outil numérique – dont les plateformes de consultation – nous offrent la possibilité d’ouvrir le débat avec les membres. »
On imagine facilement que le gouvernement, les éditorialistes et les commentateurs ne manqueront pas d’accuser le syndicat de négocier sur la place publique. Éric n’en a cure. « Nous devrons, dès le départ, informer clairement l’employeur des nouvelles règles de jeu. »
Avec cette nouvelle dynamique, n’y a-t-il pas un risque de surenchère de la part des membres en refusant, par exemple, des recommandations de modifier à la baisse la demande syndicale ?
« Si les négos achoppent en dépit de la recommandation des négociateurs, il faudra alors nécessairement que les membres acceptent de monter d’un cran les moyens de pression. »
Est-ce que cela met la table pour un recours plus fréquent à la grève ? Pas nécessairement selon Éric Gingras, qui soutient qu’il faut « utiliser le débrayage avec parcimonie ». « Nous savons que la grève dans le secteur public peut facilement et rapidement se retourner contre nous », rappelle-t-il.
Sa perspective est de faire reculer le gouvernement avec une mobilisation des syndiqués, mais aussi de la société civile, ou de ce qu’il nomme « le cinquième pouvoir, le pouvoir social ».
Le pouvoir social
Encore ici le constat est brutal. Éric Gingras commence par poser la question qui tue : « Comment se fait-il que des groupes, notamment d’enseignants et d’enseignantes, et de membres du personnel de l’éducation (soutien scolaire, professionnels, etc.) se forment pour défendre l’école publique (Je protège mon école publique, Profs en mouvement, Debout pour l’école, Ensemble pour l’école publique) de façon complètement extérieure à nos structures ? »
La réponse est directe : « De plus en plus de groupes ne souhaitent plus être associés au mouvement syndical parce qu’ils le considèrent comme faisant partie de l’establishment », constate-t-il, tout en soulignant que le mouvement syndical n’est pas sans faute : « Pour plusieurs dirigeants et officiers syndicaux, la crédibilité et la pertinence de nos organisations passent par la proximité avec les lieux de pouvoir traditionnels. Je pense que c’est une erreur stratégique ».
Pour rétablir les liens avec les différents groupes de la société civile, les réseaux sociaux peuvent être un outil utile, mais à la condition d’avoir préparé le terrain de longue date. Il cite en exemple la mobilisation étudiante des carrés rouges qui, contrairement à la croyance populaire, n’avait rien de spontané, mais avait été soigneusement préparé des mois auparavant.
Alors, la mobilisation des membres et un large soutien populaire devraient mener à un règlement à la satisfaction des syndiqués. C’est en quelque sorte l’application de la méthode du grand stratège chinois Sun Tzu selon laquelle l’excellence ultime est de vaincre l’ennemi sans jamais avoir eu à se battre.
Mais si cela est nécessaire, Éric n’exclut pas le recours à la grève. « Si elle devient inévitable, après avoir bien joué toutes nos cartes, le gouvernement en portera l’odieux. La paix sociale, oui, mais pas à tout prix. »
La révolution organisationnelle
La mise en pratique de l’approche d’Éric Gingras implique une révolution organisationnelle avec la remise en question de structures syndicales trop lourdes et trop rigides.
Les communications, vues comme un prolongement de l’exécutif, devront se trouver au cœur de l’action. Dans les grandes organisations nationales, il imagine la présence d’une équipe mobile de reporters, bénéficiant d’une grande latitude politique, « qui se déplacerait partout au Québec pour rendre compte de ce qui se passe vraiment sur le terrain, dans la vie des membres, et qui utiliserait un langage qui les rejoint pour parler d’enjeux qui les touchent directement, dans des formes adaptées aux supports qu’ils consultent (réseaux sociaux, magazines, reportages vidéos, balados, chaine YouTube, reportages photos, entrevues, etc.)». Bien entendu, l’organisation nationale viendrait en appui aux sections locales moins bien pourvues en termes de ressources humaines et financières.
Dans son livre, Éric va aussi loin que d’esquisser un nouvel organigramme avec la présence d’un attaché politique pour la coordination des communications et d’un chef de cabinet.
D’autres propositions
Au fil du livre, Éric aborde plusieurs autres thèmes. Mentionnons la révision de la forme et de la pertinence de la présence syndicale à des commissions parlementaires; la nécessité d’un média d’information; le développement d’une machine de guerre juridique pour faire face à la judiciarisation des relations de travail et la tenue d’un grand sommet pancanadien de l’éducation. Dans la dernière section du livre, il y va de propositions aux allures de programme politique sur l’immigration, l’équité pour les femmes, « l’incontournable question autochtone » et la retraite. À lire.
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