L’histoire du Premier Mai

2021/04/30 | Par EL HADJ NDIAYE DIODIO

L’histoire du Premier Mai est intimement liée à l’histoire de la lutte des travailleurs pour la réduction des heures de travail par jour. La limitation à huit heures par jour est l’aboutissement de ce combat.

 

Origine des « trois-huit »

Le principe des TROIS-HUIT est la répartition des vingt-quatre heures de la  Journée en trois : huit heures de travail, huit heures de loisirs, huit heures de sommeil.

Le monarque britannique, ALFRED qui régna de 871 à 900 est le premier à définir son agenda journalier personnel à huit heures d’exercice de piété, huit heures aux études, à la recréation et au sommeil, et huit heures aux affaires publiques. C’est aussi en Angleterre qu’on a trouvé pour la première fois la journée de huit heures comme durée de la journée de travail. C’était la règle chez les artisans des 14éme et 15éme siècles  selon l’historien Thorold Rogers. Le dix janvier 1579, Philippe II, roi d’Espagne et des Pays-Bas, fixait la durée du travail des mineurs à huit. Le 20 septembre 1593, Philippe II instruisait le vice-roi des Indes de fixer à huit la journée de travail.

Le véritable père de la formule sociale des trois huit est Denis Veiras, né à Ales entre 1635 et 1638, un protestant. Dans son ouvrage intitulé l’Histoire des Sevarambes, la journée est divisée en trois parties égales : la première destinée au travail, la deuxième au plaisir, la troisième au repos selon Maurice Domanget.

En 1786, les relieurs de Londres faisaient grève pour réclamer la journée de onze heures; dorénavant, grâce au mouvement des chartistes et à la poussée trade-unioniste, les huit heures deviennent la grande revendication de la classe ouvrière. En aout 1817, l’industriel socialiste anglais, Robert Owen, avait fixé à huit heures la journée de travail dans son catéchisme à l’usage des travailleurs. En 1825, les fileurs de coton de Nottingham frayèrent la voie aux grèves pour obtenir les huit heures.

 

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En Amérique et en Australie, les migrants britanniques portèrent le combat de la réduction des heures de travail à dix puis à huit. En 1827, grève dans les chantiers de Philadelphie; suivirent celles des imprimeurs, des verriers et des maçons ;  quinze syndicats adhérèrent dans les Mecanics Union of Trade Association de Philadelphie. Cet exemple sera suivi dans douze villes. Des journaux ouvriers furent créés ; des meetings et des congrès se tinrent en vue d’obtenir l’élection de candidats représentant les intérêts de la classe ouvrière. C’est la naissance du syndicalisme aux Etats Unis.

Le 25 novembre 1833, les délégués des trade-unions réunis à Manchester décident de travailler que huit heures et d’exiger au moins pour ces huit heures, le salaire entier de la journée. En décembre 1833, les vingt mille ouvriers tailleurs de Londres entèrent en grève pour la réduction des heures de travail. À cette époque, les ouvriers et les patrons de bonne volonté s’assignaient la date du premier Mars 1834 pour arracher les huit heures. Une répression du patronat soutenu par le gouvernement s’abattit sur le mouvement. C’était la première étape importante de l’histoire vers le Premier Mai.

En France où l’on travaillait entre 12 et 17 heures, il semble que les résolutions des trade-unions anglais ont influencé les initiatives françaises. Les charpentiers de Pecq et les menuisiers de Caen obtinrent par la grève la réduction des heures de travail en 1832. En 1833, les ouvriers bijoutiers de Paris réclamèrent une diminution d’une heure. En 1834, le journaliste Emile de Girardin s’affirma partisan de la journée des huit heures; 

En 1836, les mécaniciens de Londres firent une grève de huit mois pour la réduction des heures de travail à 60 par semaine et un tarif plus élevé pour les heures supplémentaires. Entre 1839 et 1840, les charrions et les serruriers en voiture français réclamaient la journée de 12 heures. En 1840, le mouvement des cent mille ouvriers français avait comme principaux objectifs la lutte pour la réduction du temps de travail à dix heures.

En 1840, le président Van Buren ordonna les dix heures pour les employés fédéraux et les travailleurs arsenaux. En 1842, les Etats du Massachussetts et du Connecticut adoptèrent des lois prohibant le travail des enfants de plus de 10 heures par jour remplacées par 8 en 1875.

En 1844, les cent mille ouvriers français reprirent la grève pour une plus grande réduction des heures de travail.

En octobre 1845, au premier congrès industriel de New York, la question des dix heures fut posée et des grèves la portèrent; le New Hampshire accorda la loi des dix heures.

En Angleterre, la lutte pour la réduction du temps de travail atteignit son paroxysme dans les années 1846-1847 et fut couronnée le 8 juin 1847 par le vote du bill des 10 heures par le parlement. Cette loi entra curieusement en vigueur le Premier Mai 1848 malgré les manœuvres incroyables et inutiles du patronat.

En 1848, les ouvriers d’une société néo-zélandaise obtinrent la journée de huit heures.

La Première Internationale

En 1864, à la création de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) à Londres, la première Internationale, l’adresse inaugurale de Karl Marx s’était longuement étendue sur  la question de la limitation des heures de travail. Au premier congrès de l’Internationale du 3 au 8 septembre 1866 à Genève, l’AIT fit un grand pas en renouant avec la tradition anglaise des huit heures comme objectif immédiat. Au deuxième congrès de l’AIT, du 2 au 8 septembre 1867 à Lausanne, la réduction du temps de travail fut discutée de façon animée.

Après la guerre de sécession et au début de 1866, la lutte pour les dix heures reprit. L’Ohio offrit la journée de travail de dix heures aux femmes. Des ouvriers de la colonie de Victoria  en Australie obtinrent la journée de huit heures. Le congrès des Etats Unis fut saisi de huit projets de loi pour la légalisation des huit heures; en 1867. Le congrès ouvrier des Etats de l’Est à Chicago s’occupa des huit heures. L’homme qui l’incarna fut Ira Steward surnommé le Mano-maniaque de la journée des huit heures. Ira avait compris que, selon R. Marjolin, combien les réformes en apparence les plus modérées peuvent contenir de puissance révolutionnaire. Le 25 juin 1868, la loi fédérale Ingersoll institua la journée de huit heures dans les établissements publics et les marchés publics alors qu’en Australie, la journée de huit heures l’était déjà dans le privé. Aux Etats Unis, dans le privé, la journée était encore de onze et douze heures.

Au troisième congrès de l’Internationale, du 6 au 13 septembre 1868 à Bruxelles, l’AIT se prononça unanimement pour la diminution légale des heures de travail comme condition préliminaire et indispensable pour toutes les améliorations sociales ultérieures et notamment le développement de l’instruction dans la classe ouvrière. Elle demanda aux sections affiliées de donner un effet pratique à la résolution de Genève qui provoqua des grèves en 1869 durement réprimées.

En 1871, vingt mille ouvriers participèrent à une manifestation de R. Majorlin pour la journée de huit heures qui aboutit à des grèves aux fortunes diverses.

L’éphémère Commune de Paris de 1871 avait d’autres priorités d’une ville assiégée.Les manifestations du conseil fédéral et de L’AIT ne mentionnèrent pas la question.

En 1872 et 1873, c’est la crise financière aux conséquences néfastes sur les travailleurs. En 1874, les Chevaliers du travail refusèrent de travailler plus de huit heures par jour. En 1877, les cheminots de Pittsburg firent grève et furent vaincus suite à une lutte armée. En novembre 1881, constitution à Pittsburg de la fédération des Trade-unions qui deviendra la Fédération Américaine du Travail (AFL) en 1886, qui demanda le renforcement de la loi du travail. Cette demande fut renouvelée au deuxième congrès le 21 novembre 1882. En 1883, le comité législatif du congrès invita le président des Etats Unis à soutenir la loi sur les huit qui sera appliquée et une lettre s’en suivit qui pria les comités nationaux des partis démocratique et républicain à se déterminer par rapport au renforcement de la loi des huit heures.

En octobre-novembre 1884, se tint à Chicago le quatrième congres de l’AFL qui constata l’inefficacité des lois votées et affirma sa préférence à l’action propre du trade-union, car les seules avancées réelles étaient  le fait des pressions sociales sur le patronat ; voici la résolution adoptée par le congrès sur proposition de Gabriel Edmonson  entre autres : « Il a été résolu par la fédération  of Organized Trades and Labor Union of the United states and Canada, que huit heures constitueront la durée légale de la journée de travail à dater du 1 Mai 1886, de faire promulguer des lois conformes à cette résolution, à partir de la date convenue ». C’est la première fois qu’apparut l’idée de faire du Premier Mai une journée revendicative ouvrière axée sur les huit heures. Après la résolution, l’agitation et la propagande à travers les journaux, les brochures, les meetings prirent le relais. En 1885, des ouvriers d’un atelier d’ébénisterie étaient passés du régime des dix heures à celui de huit heures. Des établissements d’industriels divers ne travaillaient plus que huit heures comme dans le Massachusetts.

En décembre 1885, le cinquième congrès de l’AFL à Washington renouvela la résolution de Chicago. Malgré les appels à la prudence des militants, des grèves parfois violentes éclatèrent durant tout le mois d’avril 1886. La situation était si grave que le président Cleveland saisit le congrès en ces termes : « Les conditions présentes des rapports du capital et du travail sont fort peu satisfaisantes, et cela dans une grande mesure, grâce aux exactions avides et inconsidérées des employeurs ». Face à ce puissant mouvement, un certain nombre d’entreprises n’attendirent point la date de l’échéance pour accorder les huit heures sans diminution de salaire. On estime à trente-deux milles le nombre de travailleurs ayant bénéficié de cette amélioration durant le mois d’avril.

Le Premier Mai 1886, massacre sur la place du marché (Haymarket)

Le Premier Mai 1886, partout se déroulèrent d’importantes manifestations sur le mot d’ordre unique : « à partir d’aujourd’hui, nul ouvrier ne doit travailler plus de huit heures par jour ! huit heures de travail, huit heures de repos, huit heures d’éducation ». Il y eut au moins cinq mille grèves, 340 000 grévistes; la fusillade à Milwaukee fait neuf morts.

Le 3 mai, sept à huit mille grévistes plantent leurs piquets de grève devant l’usine de Mc Cormick. Ils sont chargés par les forces de l’ordre. Bilan : six morts et une cinquantaine de blessés et des arrestations. Le 4 mai, meeting à la place du marché (Haymarket), quinze mille personnes sont présentes dans le calme. Au moment de la dispersion à la fin du meeting, la police s’en mêla et une bombe tomba au milieu d’eux couchant par terre une soixantaine d’entre eux: deux morts sur le coup et six autres plus tard suite à leur blessure. Ce fut le signal d’une panique folle et d’une bataille plus terrible que celle de la veille. Les survivants aidés par des renforts ouvrirent un feu nourri sur la foule encore présente. Le massacre fut épouvantable, mais il était difficile d’en faire le douloureux bilan sous estimé à cinquante.

Après cette répression, c’était l’état de siège : couvre-feu, occupation de certains quartiers par la troupe, surveillance étroite des enterrements des victimes de la tuerie à la recherche des militants ayant échappé, perquisition en masse. Un grand nombre furent arrêtés dont l’équipe du journal l’Arbeitter Zeitung. S’ensuivit le procès des prévenus. L’instruction retint comme prévenus Spies, Fielden, Neebe, Fisher, Schwab, Lingg,  Engel et Albert Parsons. Un jury laborieusement constitué parmi 979 personnes a fait une parodie de justice : une caricature de jury, de témoignages, d’instruction, de procès : un jugement de classe. Le procureur requit la peine de mort.

L’attitude des prévenus fut admirable. Parsons, réfugié chez des amis sans risque à Wauklaha (Wisconsin), se constitua prisonnier le jour des débats pour partager le sort de ses camarades et dit prêt à « mourir si c’est nécessaire sur l’échafaud pour les droits du travail, la cause de la liberté et l’amélioration du sort des opprimés ».  Spies parla au juge comme « le représentant d’une classe au représentant d’une classe ». Après avoir évoqué ces mots de Mirabeau « ce n’est pas à l’eau de rose qu’on arrose le champ social », il s’écria : « si la mort est la peine qui doit frapper la proclamation de la liberté, alors je serais fier d’en payer le prix ». « Pendez moi », dit Neebe ; « Pendez moi », répéta Lingg. « Si ma vie doit servir à la défense des principes du socialisme et de l’anarchie, tels que je les ai compris, et dont je crois qu’ils sont dans l’intérêt de l’humanité, je suis heureux de la donner ; et c’est un très bas prix pour un si grand résultat », dit Fiedlen. « Du fait de la grande et noble cause pour laquelle je m’apprête à mourir, ma route vers l’échafaud sera facile », écrivit Fisher à ses camarades syndicaux typographes.

La sentence du 20 aout 1886 condamna les huit à la pendaison. Une mesure de grâce commua la peine de Schwab et Fiedlen en prison perpétuelle et celle de Neebe à 15 ans de prison. Dénouement : le 9 novembre 1887, Lingg se suicida dans sa cellule en fumant une cigare  de fulminate, dans l’espoir de sauver ses camarades. Le 11 novembre 1887, Lucy Parsons demanda à embrasser son mari pour une dernière fois en vain et s’évanouit. Un des jurés avouera cyniquement : « In les pendra quand même, ce sont des hommes trop dévoués, trop intelligents, trop dangereux pour nos privilèges ». Le 11 novembre 1887, le supplice eut lieu avant midi dans la cour de la prison : leurs pieds entravés par une corde, leurs mains ligotées derrière le dos, une corde nouée autour du cou, leur corps balançant, les yeux  hors de l’orbite et la langue pendante. À l’heure ultime, voici leurs derniers mots : « Me laisserez-vous parler gens d’Amérique, laissez-moi parler shérif Matsons ; oh gens d’Amérique, écoutez la voix du peuple ! o… ».  Parsons : « Salut, temps ou notre silence sera plus puissant que nos voix qu’on étrangle dans la mort ». Spies : « Hourra pour l’anarchie » crièrent Engel et Fisher ; « Voici le plus heureux moment de ma vie ».

Mille personnes suivirent aux cimetières les cercueils drapés de rouge. Les larmes coulaient à flot, mais les réactions nationales et internationales furent minimes pour ces précurseurs de Sacco-Vanzetti dont l’affaire bouleversera le monde en 1927. En 1893, John Altgeld, gouverneur de l’Illinois, appartenant à la bourgeoisie américaine, après une longue enquête, dénonça tous les passe-droits, toutes les infamies du procès et démontra que le verdict avait été rendu par ordre : « Une telle atrocité n’a pas de précédent dans l’histoire ». La conséquence de ce jugement fut la libération sans condition de Fielden, Neebe et Michel Schwab après sept ans de bagne.

Persistance de l’agitation et du choix du Premier Mai

En décembre 1886, au congrès de Colombus, la Fédération des Trade-unions et les dissidents des Chevaliers du Travail constituèrent l’American Fédération of Labor (AFL) qui reprit la lutte pour les huit heures. En 1887, l’AFL comptait 200 000 membres. EN 1888, le congrès de Saint Louis préconisa des discussions à l’amiable avec les employeurs afin d’inaugurer les huit heures dans tout le pays le Premier Mai 1890. En1889, des meetings furent tenus le 22 février dans 210 villes, le 4 Juillet dans 311 villes, le 2 Septembre dans 420 villes, le 22 février 1890 dans 526 villes. De quatre-vingt, le nombre des organisations spécifiques passa à 300. À son congrès de Boston en 1889, les résolutions du congrès de Saint Louis furent confirmées. Ainsi, s’ancrait dans les masses américaines la date du Premier Mai comme journée revendicative en faveur de la réduction des heures de travail.

Le Congrès Socialiste International du 14 au 20 juillet 1889 à Paris adopta le Premier Mai comme Journée internationale de revendication des huit heures de travail en référence au Premier Mai américain. Le congrès vit aussi la naissance de la Deuxième Internationale.

Le Premier Mai 1890 fut un succès total à travers l’Europe industrialisée. L’empereur d’Allemagne convoqua à Berlin une conférence internationale ayant pour but d’améliorer le sort des travailleurs, initiative appuyée par le pape Léon XIII. Comme le congrès international de Paris n’avait pas retenu le renouvellement des manifestations du Premier Mai, ce sont les congrès nationaux qui prirent des initiatives. En aout 1890, le congrès scandinave se tint à Christiania et celui espagnol à Bilbao ; en octobre 1890, le congrès du Parti Ouvrier Français et celui Allemand, en novembre 90 le congrès du Pari Ouvrier Italien, en décembre 1890 le congrès de

 la Social-démocratie hongroise ; en janvier 1891 le congrès des organisations ouvrières du Portugal et celui de la Suisse; ainsi donc, les manifestations du Premier Mai eurent lieu; le congrès socialiste international du 16 au 22 aout 1891 adopta le texte suivant qui conféra au Premier Mai son caractère annuel : « Le congrès, afin de conserver au Premier Mai son véritable caractère économique de revendication de la journée de huit heures et d’affirmation de la lutte de classe, décide qu’il ya lieu d’avoir une démonstration unique de tous les travailleurs de par le monde, que cette démonstration aura lieu le Premier Mai, recommande le chômage partout où cela n’est pas impossible ». 

Ainsi donc naquit la tradition du Premier Mai comme Journée internationale de manifestation pour la journée de huit heures, chômée et payée.

Bonne fête du Premier Mai 2017. DEWENATI.