Marc Laviolette et Pierre Dubuc étaient respectivement président et secrétaire du SPQ Libre.
Des chroniqueurs ont tracé un parallèle inapproprié entre le club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre), actif dans le Parti Québécois de 2005 jusqu’à son expulsion au mois de mars 2010, avec le Collectif antiraciste décolonial (CAD) de Québec solidaire, actuellement sur la sellette.
Il n’y a aucun parallèle possible. Selon les statuts de QS, le CAD n’a besoin que de dix membres en règle pour exister. Dans le cas du SPQ Libre, les statuts du parti exigeaient la présence de 200 membres en règle, dont au moins dix membres dans quatre régions du Québec. Peu avant son expulsion, le SPQ Libre a déposé à la permanence du PQ une liste de 313 membres en règle.
Plus fondamentalement, contrairement au CAD, l’orientation et les combats du SPQ Libre n’avaient pas de visées fractionnelles. Au contraire. Nous défendions la nécessité de mettre l’indépendance à l’ordre du jour et un programme social-démocrate, ce qui était à la base même de la création du Parti Québécois et de sa réussite dans les années 1970.
Indépendance et social-démocratie
Nous luttions contre le report de l’indépendance aux calendes grecques et dénoncions l’approche de la gouvernance provincialiste. Nous avons combattu le virage néolibéral « New Labour » d’André Boisclair et celui de Pauline Marois privilégiant « l’enrichissement individuel » sur l’enrichissement collectif. En 2006, lors d’un Conseil national, nous avons piloté avec succès une proposition en faveur de la nationalisation de l’éolien contre André Boisclair et un certain François Legault.
Le SPQ Libre a aussi mené le combat pour l’abolition des subventions publiques aux écoles privées et, avec Pierre Curzi, pour l’extension des dispositions de la loi 101 au cégep. Au Congrès d’avril 2011, nous avons remporté sur le plancher du congrès un vote en faveur du rétablissement de l’affichage unilingue, jusqu’à ce que Mme Marois et son équipe utilisent une disposition extraordinaire (la « reconsidération » du vote) pour renverser la décision de la majorité.
Tout au long de son existence, le SPQ Libre a lutté farouchement pour l’inscription des droits des travailleurs dans le programme du parti. Surtout après l’abandon par André Boisclair, du « préjugé favorable aux travailleurs », inscrit dans l’ADN du parti depuis sa création. S’inspirant du « New Labour » britannique de Tony Blair, Boisclair et son entourage prônaient une rupture avec le mouvement syndical. Au congrès de 2011, sous la gouverne de Pauline Marois, la présidente d’assemblée Lyne Marcoux (dont l’emploi était d’être porte-parole du milieu patronal de la construction) a manœuvré pour éviter que les propositions relatives aux droits des travailleurs soient débattues. Le PQ dirigé par Mme Marois s’est alors retrouvé, pour la première fois de son histoire, sans programme pour les travailleurs. Ce n’est qu’après de multiples interventions des membres du SPQ Libre (qui continuaient à militer dans le PQ malgré l’expulsion du club politique) et de leurs alliés que des éléments de programmes ont refait leur apparition dans des instances ultérieures.
Le SPQ Libre a mené plusieurs autres batailles sur la question autochtone, le scrutin proportionnel, Télé-Québec, la culture, la santé et des questions internationales. Elles sont décrites, ainsi que les précédentes, dans notre livre Le SPQ Libre, dix ans de lutte au sein du Parti Québécois (Éditions du Renouveau québécois).
L’expulsion du SPQ Libre
Revenons maintenant sur l’expulsion du SPQ Libre pour rétablir certains faits. Dans son autobiographie, Pauline Marois, au-delà du pouvoir (Québec Amérique), Mme Marois justifie l’exclusion du SPQ Libre par le « statut spécial » et les « privilèges » qu’aurait détenus le club politique. Elle écrit que le congrès de 2005 « avait accordé au SPQ Libre une place exclusive pour faire entendre sa voix lors des conseils nationaux et des congrès ».
Rectifions. Le congrès n’avait pas accordé une « place exclusive » au SPQ Libre. Les statuts ouvraient la porte à la création de plusieurs clubs politiques. D’autres clubs politiques étaient en gestation. Monsieur Landry avait commencé à recruter des hommes d’affaires pour la formation d’un club politique. Des écologistes et des membres des communautés culturelles travaillaient dans le même sens. Mais la démission subite de M. Landry et l’hostilité de son successeur, André Boisclair, à l’existence de clubs politiques au sein du PQ, a fait avorter ces projets. Mme Marois aurait pu renouer avec l’initiative de M. Landry, d’autant plus qu’elle avait soutenu l’expérience au départ. Mais dès son élection à la tête du parti, elle nous a demandé de nous dissoudre, ce que nous avons refusé de faire.
Dans son livre, elle invoque, au-delà du « statut spécial » et des « privilèges », un argument idéologique pour justifier l’expulsion du SPQ Libre. Elle écrit :
« Quand je suis arrivée à la direction du parti, j’ai affirmé que je ne m’engagerais certainement pas à tenir un référendum sur la souveraineté sans avoir l’intime conviction que le Oui avait une véritable chance de l’emporter. Le SPQ Libre s’opposait farouchement à cette orientation. »
Était-ce là un motif légitime d’expulsion, alors que les statuts autorisaient l’expression de points de vue minoritaires ? Le plus amusant dans tout cela est le justificatif invoqué par le président du parti, Jonathan Valois, lors d’une session à huis clos, pour exclure le SPQ Libre. Valois a lu le préambule de notre Déclaration de principes, où il n’était question de façon générale que de la formation d’un club politique, avant de conclure : « Vous voyez, ces gens-là ne prônent pas l’indépendance du Québec ! »
Marois écrit aujourd’hui que nous avons été exclus parce que nous prônions l’indépendance, alors que Valois a plaidé pour justifier notre expulsion le fait que nous ne la prônions pas !!! Le plus ironique dans tout cela est que le « très indépendantiste » Jonathan Valois de 2010 n’a pas hésité à renier ses « profondes convictions indépendantistes » pour devenir aujourd’hui directeur de cabinet de François Legault ! Opportunisme un jour, opportuniste toujours !
La véritable raison de notre expulsion
Il n’est pas sans intérêt de rappeler le contexte de l’expulsion du SPQ Libre au Conseil national des 13 et 14 mars 2010 à Lévis, en plein territoire adéquiste. Le lieu a son importance. Mme Marois avait décidé de frapper un grand coup en direction de l’électorat adéquiste avec un colloque sur l’économie dont le thème était « Gouvernement souverainiste et création de la richesse ». Le document soutenait que l’enrichissement des individus de tous les âges serait au centre de la politique économique et que « ce n’est plus l’État qui doit être au cœur de notre enrichissement national, ce sont les Québécoises et les Québécois qui doivent en être le fer de lance ». Le SPQ Libre a pris le contrepied de la position de Mme Marois dans un texte qui est paru dans Le Devoir du 12 mars sous le titre « S’enrichir durablement, c’est s’enrichir collectivement ».
Le samedi matin, paraît dans Le Soleil un article dans lequel le chroniqueur Gilbert Lavoie s’en prend sur deux pages au SPQ Libre en faisant référence au texte du Devoir. Il remet en cause la légitimité même du SPQ Libre, son statut particulier, mais il est bien évident que c’est son discours qui dérange.
À noter que, lors de ce Conseil national, les propositions néolibérales – par exemple, en faveur d’une taxation régressive – ont été fortement contestées. Les délégués ont refusé de réduire la question de l’enrichissement personnel à une dimension individuelle et monétaire et ont proposé des solutions collectives aux problèmes auxquels le Québec était confronté. Encore une fois, le SPQ Libre était au diapason avec les membres du PQ. C’était là le véritable irritant pour Mme Marois.
Précisons, en terminant, que l’expulsion du SPQ Libre s’est effectuée en contradiction flagrante avec les statuts du parti. Au moins, il semblerait que QS va y mettre la forme, si le parti décide d’exclure le CAD, un collectif, comme nous venons de le voir, qui n’a absolument rien à voir avec le SPQ Libre, n’en déplaise à certains chroniqueurs politiques.