Réaffecter les surplus de la SAAQ au transport en commun ou à l’environnement : une fausse bonne idée

2021/05/07 | Par Pierre Beaulne

Certains observateurs se demandent pourquoi le gouvernement ne profite pas des excédents de 1,2 milliard $ dégagés au Fonds d’assurance automobile pour mieux financer le transport en commun ou l’environnement, au lieu d’accorder des rabais de contributions aux automobilistes. Bien sûr, dans le contexte d’un déficit pandémique, la mesure peut surprendre. Mais ce serait se tromper de cible de s’en prendre au Régime public d’assurance automobile du Québec qui touche 6,4 millions de Québécois.

Pilotée par Lise Payette à la fin des années 70, cette belle réalisation de la social-démocratie québécoise a permis de mettre en place un régime d’assurances sans égard à la responsabilité (principe du no-fault) pour les accidentés de la route et de les indemniser par une caisse collective. Les assureurs privés ont conservé la tôle, ce qui demeure quand même très payant. Adieu les avocats, les compagnies d’assurance cupides, les délais indus. Bonjour les coûts d’assurance les plus bas en Amérique du nord (1,758 US$ en moyenne aux États-Unis).

Le Québec a mis en place son régime au bon moment. D’autres provinces canadiennes, comme l’Ontario en 1990 ou le Nouveau-Brunswick en 2004, ont tenté sans succès de mettre sur pied un tel système, se heurtant aux dispositions de l’ALENA traitant la question comme une « expropriation commerciale ».

 

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Dans les années 80 et 90, alors que la caisse engrangeait des surplus, les gouvernements ont détourné allègrement 2,2 milliards $ pour financer d’autres opérations, tout en gelant les tarifs. Les pertes de revenus de placements sur les réserves de la caisse ont composé les difficultés. Une recette imparable pour creuser des déficits, tout en faisant cotiser indûment les automobilistes et affectant les victimes d’accidents. Un schéma de la même eau que le détournement des surplus de la caisse de l’assurance chômage par le gouvernement fédéral pour réduire le déficit dans les années 90, et dont on se scandalise à juste titre

Éventuellement, après plusieurs années de déficit de la caisse, le gouvernement est intervenu en 2004 pour rendre étanches les fonds gérés par la SAAQ en constituant le Fonds d’assurance automobile du Québec. Il a également redressé sensiblement les tarifs à compter de 2006, afin de pérenniser le régime.

Aujourd’hui, on se retrouve dans une situation où la réduction d’activité consécutive à la pandémie a gonflé les surplus de la caisse. D’où l’orientation d’alléger les tarifs pour deux ans, ce qui est tout à fait conforme à la réglementation et cohérent avec les principes d’assurance, tout comme les baisses de contributions accordées en 2016, 2017 et 2018 en raison de l’amélioration du bilan routier.

Il est bon de savoir que seulement 43 % des contributions de 318 $ par an pour les permis et immatriculations (38 % de 363 $ à Montréal) sont dirigés vers le Fonds d’assurance automobile. La plus grosse part des contributions va au ministère des Finances sous forme de droits et d’une contribution pour le transport en commun. Il est légitime de questionner l’effort exigé des automobilistes pour l’entretien et le développement du réseau routier, encore que celui-ci constitue une infrastructure économique qui profite à l’ensemble de la société, et pas seulement un joujou pour les automobilistes. S’il y a matière à débat, celui-ci devrait porter sur cette autre portion des contributions, plutôt que sur le régime d’indemnisation et de réhabilitation des automobilistes victimes d’accidents.

Bien entendu, il est tentant de faire des suggestions d’affectation des dépenses quand des marges se dégagent dans les finances du gouvernement, tellement les besoins sont criants dans les domaines du transport collectif, des services sociaux, du logement, de la santé, de l’éducation, des services à la petite enfance, de l’environnement, etc. Et il faut trouver des solutions pour assurer un financement adéquat. Mais ce n’est pas en renouant avec les pratiques douteuses du passé qu’on parviendra à renforcer la confiance dans nos administrations publiques. Un régime d’assurances, fût-il public, doit être administré selon les principes convenus de saine gestion.