Le gouvernement a enfin déposé son projet de loi amendant la Charte de la langue française en vue d’assurer la pérennité de la langue officielle et commune au Québec. Comment propose-t-il de mesurer la réussite de cette initiative ?
Essentiellement en suivant le nombre de personnes au Québec qui parlent français à la maison, plus spécifiquement combien de personnes de langue maternelle autre que le français ou l’anglais (allophones) qui déclarent parler le français à la maison. On appelle ce processus un transfert ou une substitution linguistique. Il s’agit de l’indicateur choisi pour mesurer l’adoption, dès la première génération, de la langue de la société d’accueil.
Objectif : 90 % de transferts linguistiques vers le français
Le ministre Jolin-Barrette et le premier ministre Legault ont répété à plusieurs reprises, lors de la présentation du projet de loi aux médias, que seulement 53 % des allophones au Québec ont effectué leur transfert vers le français. Ils précisent que, pour maintenir le poids des francophones (les personnes qui parlent français à la maison), il faudrait atteindre 90 %. En comparaison, 99 % des allophones ont fait leur transfert vers l’anglais dans le reste du Canada.
Le gouvernement ne mentionne pas que le Québec a atteint ce 53 % très largement en sélectionnant pour la résidence permanente des personnes de l’étranger qui avaient déjà effectué leur transfert vers le français avant leur arrivée au Québec. Triste à dire, mais on ne peut trop compter sur les cours de français pour assurer le choix du français à la maison.
Par ailleurs, ce n’est pas grâce à des cours d’anglais que les allophones choisissent cette langue au Canada anglais. C’est à cause de leur connaissance de l’anglais avant leur arrivée et grâce à l’immersion sociale. La réalité est qu’il est impossible de participer pleinement à la vie commune dans le reste du Canada autrement qu’en anglais.
Une immigration déjà largement francophone est donc la pierre angulaire de la pérennité du français au Québec. Pourtant, non seulement cet élément fondamental ne se trouve pas dans la réforme annoncée, mais le gouvernement de la CAQ est le premier gouvernement, depuis que le Québec a pris en charge la sélection de ses immigrants, à ne pas se donner une cible relative au pourcentage des personnes admises connaissant le français.
Une part grandissante de l’anglais dans l’immigration
Parmi les personnes admises (ayant obtenu leur résidence permanente) au Québec en 2011, 36,6 % ne connaissaient pas le français. En 2019, elles étaient 50,2 %. Non seulement on admet un pourcentage grandissant de personnes qui ne connaissent pas le français, mais la part d’entre ellles qui connaissent l’anglais grimpe aussi. Je ne parle pas ici des personnes de langue maternelle anglaise. En 2019, moins de 3 % des personnes admises étaient de langue maternelle anglaise, tandis que 56 % d’entre elles ont déclaré connaître l’anglais.
Cette poussée vers l’anglais provient surtout de l’augmentation de la proportion de personnes originaires de la Chine et de l’Inde. Avec les plus grandes populations du monde, il est normal que ces deux pays dominent dans les migrations mondiales. À noter que la principale langue étrangère apprise en Chine est l’anglais et que l’anglais est une des langues officielles en Inde.
Mais il faut souligner (encore) que, depuis quelques années, le Québec, comme le reste du Canada, ne sélectionne pas la majorité de son immigration économique directement de l’étranger. On sélectionne principalement des personnes déjà au Québec détentrices d’un permis temporaire. Examinons cela d’un peu plus près.
Le plus petit programme temporaire est celui des travailleurs étrangers temporaires. Il s’agit surtout des travailleurs agricoles hispanophones. Pas surprenant de constater qu’en 2019, 60 % des titulaires de permis de ce programme ne connaissaient ni le français ni l’anglais. Peu d’entre eux accèdent à un statut permanent.
Dans le cas du deuxième programme en importance, le Programme de mobilité internationale, les données linguistiques sont de plus en plus imprécises. En 2014, 14 % des données sur la connaissance linguistique des titulaires n’étaient pas disponibles. C’était près de 40 % en 2019. Examinons donc les tendances en fonction des pays d’origine. La place des titulaires en provenance de la France est passée de 40 % en 2014 à 32 % en 2019. Encore une fois, les personnes originaires de la Chine et de l’Inde ont vu leur part plus que doublé passant de 8,85 % en 2014 à 18,9 % en 2019.
Les titulaires de permis d’étude constituent de loin le plus grand nombre de personnes à statut temporaire au Québec. En 2019, 46 % déclaraient ne pas connaître le français (45 % ne connaissaient que l’anglais parmi les deux langues officielles du Canada). Quand on regarde les pays d’origine des étudiantes et étudiants internationaux, on constate encore une fois la même tendance lourde. En 2014, les jeunes Français constituaient 30 % de cette catégorie, les personnes originaires de l’Inde seulement 3,4 %. En 2019, la tendance s’est inversée. Dix-sept pour cent des permis d’études étaient détenus par les jeunes de la France, dépassés par les 22,4 % en provenance de l’Inde.
Ces bassins de personnes à statut temporaire en forte croissance, composés de plus en plus d’allophones dont la langue officielle canadienne connue est l’anglais, deviendront, si la tendance se maintient, les personnes admises de demain. Même si elles réussissent un test de français pour être sélectionnées, il est fort probable que la grande majorité ne feront pas le transfert vers le français, peu importe les cours de français gratuits disponibles ou la prédominance du français sur les enseignes des magasins de Montréal.
La langue influe sur le taux de présence
Sélectionner les personnes qui connaissent le français augmente les chances qu’elles demeurent au Québec. Le taux de présence des personnes immigrantes ayant déclaré connaître le français au moment de leur admission est plus élevé (78,3 %) que celui des personnes immigrantes ayant déclaré ne pas le connaître (65,5 %).
Même la langue maternelle est un bon indicateur de la durabilité du parcours d’immigration. Le taux de présence le plus élevé se trouve parmi les personnes de langue maternelle créole (88,0 %), suivies par celles de langue maternelle française (80,2 %), d’autres langues latines (78,8 %) et arabes (76,1 %). Par contre, les taux de présence des personnes immigrantes de langues maternelles indo-iraniennes (52,7 %) et chinoises (43,6 %) sont nettement plus bas.
Tous ces allophones qui connaissent déjà l’anglais représentent aujourd’hui une grande proportion, sinon la plus grande, de la minorité d’expression anglaise au Québec. S’il y a tant de municipalités de statut bilingue, avec moins de 10 % de leur population de langue maternelle anglaise, annonçant déjà qu’elles auront recours à une motion du conseil de ville pour garder leur statut bilingue, c’est parce qu’elles savent qu’une bonne part de leur population est constituée d’allophones qui s’expriment en anglais.
Une brèche non colmatée
Le gouvernement du Québec ne s’engage pas à assurer une immigration majoritairement francophone. De plus, il ne colmate pas la brèche dans la Charte qui risque, à long terme, que plus d’allophones aient les mêmes droits que la fameuse communauté historique anglophone du Québec !
Le projet de loi précise, en effet, que les personnes à statut temporaire pourront envoyer leurs enfants à l’école publique anglaise pour un maximum de trois ans. Trois ans suffisent amplement pour qu’une citoyenne ou un citoyen bénéficie du droit d’envoyer ses enfants à l’école anglaise. La Charte donne droit à l’école anglaise aux citoyennes et citoyens qui ont fait la majeure partie de leur enseignement primaire ou secondaire en anglais au Canada. Un enfant inscrit pour la première fois en deuxième année du primaire ou à n’importe quel niveau de secondaire et y demeurant pour trois ans satisfera ce critère.
Si on veut réellement que les allophones au Québec choisissent le français, il faudra (1) revoir sérieusement les pouvoirs du gouvernement en matière d’immigration temporaire dans son ensemble, (2) s’engager à sélectionner des personnes qui ont déjà fait ce choix, et (3) ne pas enchâsser dans la législation un droit qui envoie le message contraire, qui permet d’augmenter le nombre de personnes ayant le droit de vivre en anglais au Québec.
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