Les Rose, Prix du Public aux Iris

2021/06/09 | Par Pierre Dubuc

« Je me dirigeais vers mon siège dans les estrades, comme spécifié sur mon billet, lorsqu’on est venu me dire qu’une table s’était libérée à la dernière minute près de la scène. C’était bon signe. Mon grand-père maternel, qui a travaillé à Radio-Canada, m’avait raconté plein d’anecdotes sur ce genre de pratiques. À la pause, on est venu me dire de ne pas me rendre aux toilettes pendant la dernière partie du Gala », raconte Félix Rose lors de l’entrevue qu’il nous a accordée. À ce moment-là, Félix savait qu’il pouvait se préparer pour son discours d’acceptation de l’Iris du Prix du public pour son film Les Rose.

Faisant référence à « la vague d’amour qui a transporté Les Rose jusqu’au Gala », Félix n’a pas manqué de souligner que le public venait « d’envoyer un message fort à l’industrie ». Et quel message, ce fut !

 

Un succès populaire

Le film est sorti en pleine pandémie au mois d’août 2020. Il a battu le record du film francophone qui a été le plus vu de l’histoire de la plate-forme de l’ONF (90 000 visionnements). Il a bien performé sur Club Illico et à TVA (224 000 spectateurs). Il a aussi été présenté dans une cinquantaine de cégeps.

Félix est particulièrement fier que son film ait réussi à percer dans les salles commerciales dans l’ensemble du Québec. « La plupart du temps, nos documentaires ne sont programmés qu’aux seuls cinémas Beaubien à Montréal, Clap à Québec, La maison du cinéma à Sherbrooke et Le Tapis rouge à Trois-Rivières. Nous avons fait la preuve qu’ils pouvaient aussi être projetés ailleurs. Nous avons fait salle comble (en respectant les critères de la Covid) dans plusieurs salles commerciales. Nous avons terminé 5e au box-office. »

Pas étonnant que ce film acclamé par la critique ait été sélectionné pour le meilleur film québécois au Prix de l’Association québécoise des Critiques de Cinéma (AQCC) et pour le Prix collégial du cinéma québécois (PCCQ).

 

Indignation populaire

Le plus déconcertant a été que le film ait été ignoré par le jury de Québec Cinéma dans les catégories « documentaire » et Prix du public. « Ça été l’élément déclencheur. J’ai été bombardé de courriels. Était-ce une erreur? L’ONF avait-elle oublié d’inscrire le film? Dans le cas du Prix du public, on croyait pourtant que la nomination était automatique, que c’était mathématique. Le film était 5e au box-office. Il devait donc être parmi les 5 nominés. »

Les réseaux sociaux ont crié leur indignation. Les médias traditionnels se sont emparés de l’affaire. La direction de Québec Cinéma s’est vue contrainte de s’expliquer. Félix m’a fait parvenir leur réponse. L’organisme se dégage de toute responsabilité en invoquant « l’indépendance d’un jury formé de 7 professionnels nommés par les associations professionnelles de l’industrie ».

Concernant le Prix du public, Québec Cinéma déclare que « les documentaires sont actuellement exclus de cette catégorie ». Dans un effort pour éteindre l’incendie, l’organisme reconnaît que « la situation actuelle nous amène toutefois à réfléchir aux manières de rendre ce prix plus inclusif de tous les genres cinématographiques dans le futur. Une discussion est actuellement amorcée à l’interne à ce sujet. » Autrement dit, « bye bye, oubliez cela pour cette année, à l’année prochaine, peut-être ».

 

La question qui tue

C’était jeter de l’huile sur le feu. Le cinéaste et producteur Jules Falardeau et l’auteur-compositeur-interprète Émile Bilodeau ont posé dans une lettre ouverte, la question qui tue : « Leur décision a-t-elle pu être motivée par une aversion pour le film politique ou une ‘‘peur de diviser’’ ? » En appui à leur démarche, plus 1300 personnes ont signé une pétition protestant contre la non-sélection du film Les Rose.

Il faut croire que cela a accéléré la « discussion amorcée à l’interne », car Québec Cinéma a revu les critères pour la sélection du Prix du public. L’organisme a décidé d’inscrire, dans un premier temps, tous les 32 films présentés cette année, en faisant abstraction du box-office étant donné les conditions particulières dues à la Covid. Parmi ces films, il y avait 14 documentaires. Un premier tour de vote a eu lieu entre le 14 et le 23 mai sur le site de Québec Cinéma afin de déterminer les cinq finalistes : Le club Vinland, de Benoit Pilon; La déesse des mouches à feu, d’Anaïs Barbeau-Lavalette; Je m’appelle humain, de Kim O'Bomsawin; Jusqu’au déclin, de Patrice Laliberté; Les Rose, de Félix Rose.

La victoire du film Les Rose est d’autant plus méritante que la compétition était forte, comme le reconnaît Félix. « Ce sont tous de bons films. Jusqu’au déclin est une production qui a été diffusée sur Netflix et Anaïs Barbeau-Lavalette a récolté plusieurs Iris. »

 

Une réflexion à faire

Dans son mot de remerciements, Félix Rose a souligné « la nécessité de donner plus d’outils aux créateurs et surtout de rendre notre patrimoine accessible. La réalité, c’est que les archives, ça coûte la peau des fesses ». En entrevue, il met un chiffre : « L’utilisation des archives de Radio-Canada ou d’autres institutions, ça peut coûter jusqu’à 100 $ la seconde. »  Je l’ai fait répéter pour être bien sûr. Oui, c’est bien cent dollars la seconde!

« J’ai été chanceux, ajoute-t-il, j’ai eu des rabais. Mais il est certain qu’on ne peut pas produire un documentaire en un ou deux ans. J’ai mis 8 ans à produire Les Rose », ajoute le cinéaste qui se porte résolument à la défense du documentaire.

« On a inventé une forme de cinéma au Québec : le documentaire direct. Le Québec est reconnu mondialement, depuis toujours, comme une référence pour le documentaire ! Il faut en être fier. Il faut aussi mettre notre patrimoine, notre mémoire collective de l’avant. Lors de toutes les diffusions de mon film, il y avait plusieurs jeunes dans la salle. Ils étaient avides de connaître notre histoire.  Je pense qu’il faut avoir une réflexion collective sur l’histoire, le patrimoine, le documentaire », conclut Félix Rose, heureux d’avoir bouclé la boucle avec ce Prix du public pour ce projet qui lui a permis de parcourir le Québec, mais surtout de rendre à terme un projet élaboré avec son père Paul, qui lui a transmis, « l’amour de la recherche et le goût du pays », comme il l’a rappelé dans son discours de remerciement.

 

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