Le 6 août dernier, le ministre de l’Emploi, du Travail et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, et la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault, ont annoncé unilatéralement une « entente » avec le gouvernement fédéral concernant l’immigration temporaire et permanente au Québec. Les intentions exprimées signifient un abandon total du système d’immigration québécois tel qu'on le connaît depuis plus de 30 ans. Sans le moindre débat public.
L’entente inclurait trois mesures : l’assouplissement pendant trois ans des conditions du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET); l’émission de permis de travail ouverts de transition (PTOT) aux personnes installées sur le territoire et sélectionnées par le Québec (détenant donc un Certificat de sélection du Québec - CSQ): et, l’émission annuelle de PTOT à 7 000 personnes détenant un CSQ résidant toujours à l’étranger.
Les assouplissements au PTET permettront aux employeurs de doubler le nombre d’effectifs temporaires qu’ils peuvent embaucher, soit de 10 % à 20 % de leur main-d’œuvre, et ce dans le volet des postes à bas salaire, et simplifierait la vie pour les employeurs voulant embaucher pour certaines occupations qui n’exigent même pas une formation secondaire. On parle ici donc d’une main-d’œuvre peu instruite et sous-payée.
Inquiétudes syndicales
Le PTET offre des permis fermés aux personnes recrutées. Un permis fermé lie le travailleur (93 % des personnes au Québec avec un permis du PTET en 2019 étaient des hommes) à son employeur pour la durée du permis.
La mise en œuvre de ces assouplissements se fera, selon le communiqué, en collaboration avec la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT) où siègent les représentants syndicaux. Pourtant, la FTQ a pris position l’année dernière précisément pour le maintien à 10 % du pourcentage d’embauche dans le cadre du PTET et contre les permis fermés.
« La centrale s’inquiète de voir, dans la popularité du PTET, l’émergence d’une voie rapide qui permet d’accéder à une main-d’œuvre à la demande, apte à combler à court terme des besoins économiques souvent sans égard pour la qualité de son accueil, de son encadrement et de ses conditions de travail ou de vie. En effet, le risque reste élevé de constituer ainsi des contingents de main-d’oeuvre sujets à la précarité ou à des conditions de travail et de vie abusives. » (Mémoire, mai 2020, p. 15)
En particulier la centrale met l’accent sur l’importance d’améliorer les conditions salariales, ce que le premier ministre Legault devrait apprécier. En mai dernier, il déclarait au patronat : « À chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne moins de 56 000 [dollars], j’empire mon problème. À chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne plus de 56 000, j’améliore ma situation. »
Pourtant, selon une étude de Statistique Canada (p. 4), parmi les travailleurs étrangers temporaires ayant déclaré des revenus annuels en 2016, les titulaires de permis ouverts ont enregistré un médian de 16 200 $ et les titulaires de permis fermés à faible niveau de compétences de 19 000 $.
Une autre étude fédérale a comparé les personnes qui avaient un travail au Canada avant d’obtenir leur résidence permanente avec celles qui n’en avaient pas. Les résidents temporaires qui détenaient des permis de travail pour des emplois non spécialisés ont enregistré des gains initiaux beaucoup moins élevés et une croissance plus lente en comparaison des gains des immigrants qui n’avaient aucune expérience de travail antérieure acquise au Canada.
L’annonce de l’entente n’augure donc rien de positif pour le souhait de Legault d’augmenter les postes à haut salaire au Québec.
Il est également à noter que ce type de postes n’offre pas un chemin vers la résidence permanente par le Programme d’expérience québécoise qui exige une expérience de travail dans les occupations de gestion ou qui requiert des compétences liées à un niveau collégial ou universitaire.
Imbroglio bureaucratique
Il est également important de noter que les reportages et les anecdotes abondent depuis des mois concernant le ralentissement du traitement des dossiers par Immigration Réfugiés Citoyenneté Canada (IRCC), incluant les demandes de permis temporaire. Si le fédéral ne réussit pas à fournir à la demande actuelle, pourquoi penser qu’en doublant la demande, l’efficacité va tout d’un coup s’améliorer ? Il n’est aucunement fait mention dans l’annonce ministérielle d’un engagement du fédéral d’accélérer le traitement des demandes de permis.
Quant aux deux autres mesures, qui touchent les personnes sélectionnées par le Québec, il est bien triste de constater que les personnes avec un CSQ déjà au Québec sont prêtes à se contenter d’un PTOT, qui représente l’étirement de la précarité jusqu’à trois ans, plutôt que tout simplement recevoir le visa de résidence permanente qui leur est dû.
Selon l’Accord Canada-Québec sur l’immigration, le fédéral s’engage à accorder la résidence permanente aux personnes sélectionnées par le Québec. Il n’a donc pas à analyser la demande. Il n’a qu’à effectuer les vérifications de santé et de sécurité. Pourquoi donc serait-il plus rapide de délivrer un permis temporaire qu’un visa de résidence permanente? Oui, un permis ouvert est préférable à un permis fermé, mais ces gens ont droit à la permanence, pas à un autre trois ans de précarité.
Quant aux 7 000 personnes détenant un CSQ résidant encore à l’étranger qui se verront accorder annuellement un PTOT, l’annonce n’explique aucunement les critères de priorisation. Soyons clairs. Il y a plusieurs dizaines de milliers de personnes sélectionnées par le Québec qui attendent leur résidence permanente. Comme celles déjà présentes au Québec, pourquoi devraient-elles se contenter d’un permis temporaire quand elles ont droit à un visa permanent ? Quelle est désormais leur place dans la queue des personnes qui attendent la permanence ?
Tous ces permis temporaires ouverts représentent un bien petit cadeau pour les personnes concernées qui ont choisi le Québec et que le Québec a choisies. Elles méritent mieux. Où est l’avantage pour le gouvernement ? Il ne s’agit certainement pas d’une solution à la pénurie de main-d’œuvre. Celle-ci existe malgré la présence sur le territoire de ces milliers de personnes sélectionnées. Quant aux personnes sélectionnées par la grille dont la majorité serait à l’étranger, elles détiennent des diplômes, une expérience de travail et une formation de niveau plus élevé. Ce n’est pas le genre de candidatures que les employeurs réclament.
Le tour de passe-passe politique
L’avantage de cette manne prévue de permis temporaires est politique. Ces personnes, déjà ici ou à venir, avec permis fermés ou ouverts, n’apparaîtront pas dans les données d’admissions de cette année ou de l’année prochaine. Le gouvernement Legault donnera donc l’impression de contrôler les seuils d’immigration permanente, tout en encourageant l’arrivée des milliers de personnes de l’étranger comme temporaires.
Nous avons déjà souligné plus d’une fois les nombreux pièges associés à l’immigration temporaire.
- Le Québec ne contrôle pas le nombre, ni les critères, ni la date d’arrivée, ni le lieu de destination. Cela signifie qu’on ne peut savoir quelles municipalités ou quels quartiers auront besoin de plus de logements abordables, surtout locatifs, ou éventuellement de places en garderie.
- Il n’y a aucune exigence de connaître le français dans les critères de permis temporaires et ces personnes peuvent envoyer leurs enfants à des écoles anglaises.
- On n’a pas de dossier détaillé sur les personnes détenant un permis temporaire, pas de dossier du tout pour la majorité d’entre elles. On ne connaît donc pas leurs besoins en francisation et on ne peut communiquer directement avec elles pour faire la promotion des services d’accueil et d’intégration.
- La compensation de l’Accord Canada-Québec ne couvre pas les services offerts à des personnes à statut temporaire. On laisse donc aux employeurs le souci de l’intégration. Le fédéral pourrait aussi, puisqu’il ne s’agit pas de résidentes et résidents permanents, financer les services directs dans la langue officielle de son choix avec les belles valeurs canadiennes.
Ce communiqué énonce tout ce que les employeurs voulaient entendre, mais il y a de fortes chances qu’ils soient déçus des résultats. Mais, même là, quels sont les résultats escomptés ? Quelle est la baisse dans le nombre de postes vacants visée par ces mesures et dans quelle période de temps ? Le gouvernement ne se donne aucune cible.
De plus, sans même être obligé d’émettre un communiqué sur le sujet ou une copie de l’entente, le fédéral ne cède pas un iota de son pouvoir sur l’immigration temporaire. Le scoop de La Presse du 4 août soulignait que le Québec serait la toute première province à signer une telle entente, faisant référence sûrement à la mesure touchant le PTET. Il ne serait pas surprenant de voir des promesses d’ententes similaires avec d’autres provinces annoncées par Trudeau pendant la campagne électorale. La pénurie de main-d’œuvre ne touche pas que le Québec.
Une telle annonce, si mal pensée, si mal ficelée, avec tant d’effets pervers, c’est tout simplement se moquer du système d’immigration québécois. Elle démontre un mépris éhonté envers les personnes de l’étranger que le Québec prétend vouloir accueillir.
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