Pour une action gouvernementale à la mesure de la crise climatique

2021/09/01 | Par Louis-Joseph Saucier

L’auteur est conseiller en recherche et planification socioéconomique au Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), et membre du regroupement Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)
 

DES UNIVERSITAIRES (3 de 15) - Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), dans un projet de rapport à paraître en 2022 dont des extraits ont fuité dernièrement dans la presse, a établi que l’humanité est à l’aube de dérèglements climatiques cataclysmiques qui se feront ressentir dans une trentaine d’années, voire plus tôt : extinction massive d’espèces, pénurie d’eau, malnutrition, migration de masse… « La vie sur Terre peut se remettre d'un changement climatique majeur, note le résumé technique. L'humanité ne le peut pas. »

Ces derniers mois aussi, dans la foulée d’un sommet sur le climat initié par l’administration Biden, des gouvernements de nombreux pays, dont les États-Unis et le Canada, ont annoncé des cibles plus ambitieuses de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon de 2030. Le Canada a même finalement adopté, en juin dernier, une loi climat contraignante, bien que loin d’être parfaite. S’il s’agit certes de bonnes nouvelles, il y a toutefois lieu d’être méfiant ou, à tout le moins, sceptique quant à la volonté politique réelle des gouvernements actuels de mettre en œuvre les moyens considérables qui s’imposent pour relever le défi climatique. Le Québec et le Canada ont jusqu’ici systématiquement raté leurs cibles de réduction des gaz à effet de serre, pourtant décriées comme étant dramatiquement insuffisantes.
 

Des forces s’opposent à la transition

La crise sanitaire de la COVID-19 a pourtant démontré la capacité des gouvernements à déployer rapidement des moyens hors du commun pour résorber une crise quand la volonté politique est présente. À n’en pas douter toutefois, des lobbys vont continuer à encourager l’attentisme climatique des gouvernements et à résister aux transformations qui les obligeraient à se remettre fondamentalement en question.

Malgré la crise climatique, ces mêmes lobbys vont aussi peser de tout leur poids pour que soit maintenue une approche néolibérale profitable pour leur capital, mais contraire à l’intérêt général, et faite de déréglementations, de financiarisation, de fiscalité régressive et de diminution des services publics. De même, plutôt que s’attaquer aux racines profondes du dérèglement climatique, où le productivisme effréné se double d’une surconsommation débridée, ils vont tenter de faire passer des réductions marginales de l’empreinte carbone pour des avancées significatives, et promouvoir des mirages technologiques pourtant synonymes de périlleuses fuites en avant, comme des techniques douteuses de stockage de carbone ou de géo-ingénierie. Nos gouvernements devront se libérer de l’influence excessive que ces lobbys semblent exercer sur eux.
 

Il faut se mobiliser

Si l’on souhaite s’engager dans une transition écologique ambitieuse, conséquente et porteuse de justice sociale, il s’avère donc crucial de ne pas sous-estimer les divergences d’intérêts au sein de la société. Il serait vain de s’attendre à ce qu’une prise de conscience généralisée de la crise climatique engendre, dans l’unanimité, une telle transition. Seule une vaste mobilisation de la société civile forte de luttes sociales à toutes les échelles – du local à l’international – pourra forcer les gouvernements à jeter les bases d’une transition écologique résolument dans l’intérêt public, plutôt que de servir les intérêts pécuniaires d’une petite minorité de privilégiés qui s’y oppose.

Cette mobilisation doit prendre son essor dans un esprit de convergence des luttes entre des collectifs citoyens, des groupes de défense du climat, des syndicats et d’autres mouvements en faveur de la justice, dont ceux des communautés autochtones, des jeunes et d’autres populations marginalisées. Il deviendra possible, dès lors, de mettre l’État véritablement au service d’une transition juste.
 

Pour une action gouvernementale responsable et cohérente

Les États ont un rôle central à jouer dans la transition, considérant tous les leviers dont ils disposent (politiques sociales, fiscalité, réglementation, politiques industrielles, etc.) et le leadership qu’ils peuvent exercer. À l’échelle du Québec, par exemple, la transition devrait s’appuyer sur une loi contraignante sur le climat en accord avec la science, de même que sur un plan d’action gouvernemental cohérent, déployé de manière coordonnée dans tous les ministères et organismes publics. La toute première recommandation adressée aux gouvernements du Québec et du Canada dans la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité du Front commun pour la transition énergétique en appelle ainsi à ce que nos gouvernements reconnaissent concrètement l’état d’urgence climatique en faisant immédiatement de la lutte aux changements climatiques le dossier prioritaire de l’État.

La planification de l’action climatique ne doit toutefois pas se faire en vase clos avec les milieux d’affaires, comme c’est trop souvent le cas. Les plans gouvernementaux devraient plutôt être élaborés dans le cadre de processus délibératifs authentiques incluant la participation des scientifiques, des travailleuses et travailleurs des secteurs visés et des populations concernées. Pour assurer une prise en charge démocratique des multiples enjeux de la transition, il faudra aussi mettre en place des instances territoriales de concertation et de planification de la transition juste vers des collectivités carboneutres et résilientes, et s’assurer que ces instances soient dotées de ressources substantielles. Enfin, en vue de lier la responsabilité démocratique et la cohérence des interventions publiques, il faudra s’assurer que ces plans d’action soient coordonnés au niveau politique national.
 

À nous de jouer

À l’heure de l’urgence climatique, la valse des promesses creuses et des cibles lointaines lancées par nos gouvernements, qui ne donnent aucun résultat probant, a assez duré. Au Québec comme ailleurs, une forte mobilisation de la société civile peut pousser les États à lutter de façon responsable et cohérente contre la crise climatique, dans une transition porteuse de justice sociale. Tous les rendez-vous électoraux qui viendront ces prochaines années, qu’importe le palier, seront d’ailleurs autant d’occasions de traiter des moyens à prendre pour réaliser une transition juste le plus rapidement possible. Il faut absolument en finir dès que possible avec le refus actuel des pouvoirs publics de faire face à la crise climatique. À plusieurs égards, ces élections seront donc déterminantes pour l’avenir de notre société.

Réussir collectivement une transition écologique juste pour surmonter ce qui apparaît comme un des plus grands défis de l’histoire de l’humanité est loin d’être gagné d’avance. Il est encore temps de mettre nos pouvoirs politiques face à leur responsabilité de soutenir cette transition avec des moyens conséquents. L’urgence climatique commande plus que jamais de s’engager collectivement dans cette voie du bien commun. Le temps joue contre nous, mais tout n’est pas joué. Jeter les bases d’un avenir viable est encore possible, alors à nous de jouer! 

Questions ou commentaires? (mailto:info@desuniversitaires.org)

Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité Québec ZéN 2.0 (https://www.pourlatransitionenergetique.org/feuille-de-route-quebec-zen/). Ce projet a été élaboré par des membres du Front commun pour la transition énergétique (https://www.pourlatransitionenergetique.org/) et leurs allié.e.s. Créé en 2015, le Front commun regroupe 90 organisations environnementales, citoyennes, syndicales, communautaires et étudiantes représentant 1,8 million de personnes au Québec. 
 

Édition numérique de l'aut'journal  https://campaigns.milibris.com/campaign/608ad26fa81b6a5a00b6d9fb/