La loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits autochtones

2021/09/03 | Par André Binette

 

La Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (souvent appelée C-15) a été adoptée par le Parlement fédéral en juin 2021. Elle a reçu la sanction royale, dernière étape du processus parlementaire, le jour symbolique du 21 juin, la fête nationale autochtone qui est aussi le solstice d’été, un événement astral important dans toutes les cultures autochtones. La sanction royale a été accordée par celui qui était alors le gouverneur général par intérim du Canada, le juge en chef de la Cour suprême d’origine québécoise, Richard Wagner (fils de Claude Wagner, un ancien ministre de la Justice du Québec).

Cette loi aura des effets marquants. Nous découvrirons peu à peu qu’elle sera l’un des principaux héritages du gouvernement Trudeau si elle n’est pas modifiée par un autre gouvernement. Elle aura un effet considérable sur l’évolution du droit canadien, y compris sur le partage des compétences établi en 1867. Elle vise principalement les compétences provinciales de moins en moins exclusives sur l’aménagement du territoire et le développement des ressources naturelles. Elle pourrait avoir l’effet d’une modification unilatérale majeure de la Constitution, si tel est le bon vouloir des juges fédéraux qui auront tout le temps voulu pour l’interpréter à leur discrétion.

Cette loi pourrait être l’équivalent pour les droits autochtones de ce que la Charte canadienne a été pour les droits individuels. Elle annonce une nouvelle révolution juridique qui se déploiera graduellement, le plus souvent loin des projecteurs des débats publics. Trudeau fils est ici le continuateur de l’œuvre de son père, qui ironiquement au départ ne voulait rien entendre des droits autochtones, mais a renversé sa position sous la contrainte de la Cour suprême et a fini par les constitutionnaliser.

La Constitution de 1982 ne va cependant pas aussi loin que la Déclaration des Nations Unies adoptée en 2007, à laquelle le Canada s’est opposé au départ avant que le gouvernement de Trudeau fils ne décide de l’accepter dès son arrivée au pouvoir en 2015. En droit canadien, l’adhésion à un texte international n’a que peu d’effet sans une loi de mise en œuvre sur le plan interne. C’est le but de C-15. Jusqu’ici, les tribunaux ne pouvaient tout au plus que tenir compte de la Déclaration dans leurs jugements tout en conservant le devoir de l’ignorer si une autre règle de droit canadien était à l’effet contraire. L’adoption de C-15 donnera un plus grand poids à la Déclaration et l’imposera davantage aux tribunaux.

La principale lacune, aux yeux des peuples autochtones, de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitutionnalise les droits ancestraux et les droits issus de traités, est de ne pas mentionner le droit à l’autonomie gouvernementale, qui est l’équivalent en droit constitutionnel du droit à l’autodétermination que reconnaît le droit international. Logiquement, le droit à l’autonomie gouvernementale est le premier des droits ancestraux, puisque les peuples autochtones étaient souverains à l’arrivée des Européens. Les tribunaux ont toutefois refusé de considérer qu’il était implicitement protégé par l’article 35, parce que ce serait créer un troisième ordre de gouvernement. Un tel bouleversement du fédéralisme ne devrait avoir lieu selon eux qu’explicitement. L’Accord de Charlottetown a tenté d’inclure le droit à l’autonomie gouvernementale dans la Constitution, mais il a échoué en 1992. Le gouvernement de Trudeau fils est allé plus loin cette fois en tentant, au moyen d’une loi fédérale, de contourner la Constitution. Cette manœuvre, si elle est approuvée par les tribunaux, ne peut qu’affaiblir les compétences provinciales.

La résolution sur les droits autochtones que René Lévesque a fait adopter en 1985, juste avant son départ de la vie politique, contenait une reconnaissance du droit des nations autochtones de se gouverner de manière autonome dans le cadre des lois du Québec. À certains égards, elle allait plus loin que la Constitution de 1982 et anticipait sur la Déclaration. Elle est cependant restée largement lettre morte pour les gouvernements qui ont suivi, dont le gouvernement Legault qui s’oppose à la Déclaration parce qu’elle contrarie ses projets de développement au mépris des droits autochtones à l’extérieur du territoire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Celle-ci demeure une référence positive en raison surtout de ses nombreuses modifications dont la plus connue est la Paix des Braves. La Convention et la Paix des Braves sont des règlements hors cour de litiges majeurs qui ont été signés par le gouvernement du Québec sous la contrainte de décisions appréhendées des tribunaux après d’âpres batailles juridiques. Le gouvernement du Québec refuse d’étendre le modèle de la Convention et de la Paix des Braves à d’autres nations, principalement les Innus sur la Côte-Nord et au Saguenay-Lac-Saint-Jean, les Attikameks en Mauricie et les Anishnabés en Outaouais et en Abitibi-Témiscamingue. En jouant à l’autruche, le gouvernement du Québec a ouvert la voie à C-15 et à l’affaiblissement de sa propre autonomie. Il est sot de ne pas voir dans le renforcement des droits autochtones l’une des profondes tendances irréversibles de notre temps, et même l’élection de gouvernements conservateurs ne fera que la ralentir, parce qu’elle continuera d’être mise en œuvre par les tribunaux.

L’insertion de la Déclaration dans le système juridique canadien par cette loi aura aussi pour effet d’exposer le gouvernement du Québec à des compensations majeures pour les projets de développement du passé sans consentement autochtone, dont l’exemple phare au Québec est Manic 5, mais qui recouvre aussi le réservoir Gouin et le développement minier, de même que l’industrie forestière à laquelle nos gouvernements ont l’habitude d’obéir inconditionnellement. Le Québec aura une lourde facture à payer pour ses décennies de développement sans tenir compte des droits autochtones. Le prix à payer risque d’inclure la dilution définitive de sa compétence et de son droit de propriété sur les ressources naturelles. 

Si j’étais le ministre des Finances du Québec, au lieu de consacrer 10 milliards $ à un troisième lien douteux entre Québec et Lévis, j’aurais la prudence de mettre de côté un montant plus élevé pour des compensations qui sont commandées par le droit fédéral et le droit international. Il faudra un jour créer un fonds dédié à cette fin. Il y a une limite à gouverner dans le déni parce que la réalité finit toujours par nous rattraper. Quant aux Autochtones, le temps joue pour eux.

Le gouvernement fédéral avait cependant un obstacle de taille dans la rédaction de la loi. De manière surprenante, cet obstacle était le colonialisme judiciaire britannique. Dans la plupart des fédérations, le gouvernement fédéral peut contourner le partage des compétences pour assurer la mise en œuvre de ses engagements internationaux : l’Australie et les États-Unis, avec des variantes, en sont des exemples. Le droit constitutionnel peut ainsi se centraliser au moyen du droit international. Le Canada est une exception depuis l’Arrêt sur les Conventions de travail rendu par le Comité judiciaire du Conseil privé en 1937, à l’époque où ce tribunal, le plus haut de l’Empire britannique, était l’interprète en dernier ressort du droit canadien. Ces juges britanniques n’avaient aucune juridiction en droit interne dans leur pays, mais ont régi une plus grande partie de la planète que tout autre tribunal dans l’histoire humaine. Il est indéniable qu’ils ont construit et consolidé l’autonomie provinciale à leur guise de 1867 à 1949 au-delà des termes de la Constitution. John A. Macdonald a eu le temps de s’en désoler avant de mourir. Maurice Duplessis, qui n’était pas mauvais juriste, savait bien qu’il trouvait à Londres un rempart de l’autonomie du Québec, mais il ne le disait pas souvent.

Comme la Cour suprême a refusé de remettre en cause ce précédent, une loi fédérale, sous la pression autochtone, s’en est chargée. Sa validité sera mise en doute un certain temps. Si elle survit à l’examen judiciaire, une révolution constitutionnelle sera en cours dont seuls les avocats verront de près les rebondissements. Une grande partie de l’autonomie du Québec, dont le socle était les ressources naturelles, aura vécu.

Toute résistance ne fait probablement qu’aggraver l’inévitable. Il vaut mieux gérer le changement plus intelligemment dans un partenariat authentique avec des nations reconnues par notre Assemblée nationale, car bien gouverner c’est prévoir ce qui saute aux yeux. Le Québec n’a d’autre choix que d’apprendre à vivre avec sa douzaine de questions nationales. Certains politiciens mal conseillés s’acharneront encore quelques années à faire une lecture du droit constitutionnel qui est totalement dépassée.

 

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