Je me suis délecté cet été de L’empire en marche. Des peuples sans qualités, de Vienne à Ottawa, du professeur Marc Chevrier. Rien de tel pour se dessiller les yeux quant à l’avenir que l’empire canadien réserve au français, caractère refuge d’un peuple conquis.
Le gouvernement de Trudeau fils nous a récemment prodigué de nouveaux gages à cet égard. Dans le discours du trône de septembre dernier, il en a étonné certains en reconnaissant qu’il incombe à Ottawa « de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec ». Ce n’était que du positionnement préélectoral. Seulement deux mois plus tard, il a rejeté un projet de loi du Bloc québécois visant à faire de la connaissance suffisante du français une condition pour obtenir la citoyenneté canadienne au Québec.
En raison, donc, de l’obstination de Trudeau junior à maintenir, dans sa Loi sur la citoyenneté, le libre choix entre connaître l’anglais ou connaître le français pour les candidats à la citoyenneté domiciliés au Québec, les nouveaux arrivants québécois qui ne connaissent ou n’apprennent que l’anglais pourront continuer à devenir citoyens. Or, une récente étude longitudinale réalisée par Statistique Canada a révélé que sur l’île de Montréal, la majorité des immigrants qui ignoraient le français à leur arrivée ne l’apprennent jamais. Par conséquent, les nouveaux citoyens canado-québécois qui ignorent le français seront encore nombreux à pratiquer autour d’eux l’anglais comme langue commune. Ils serviront en définitive comme autant d’agents d’anglicisation de leurs concitoyens allophones et francophones. Belle façon pour Ottawa de « protéger et promouvoir le français » au Québec !
Notons que c’est la deuxième fois qu’un gouvernement de Trudeau fils refuse de faire ce tout petit premier pas vers un Québec dont le français serait la langue commune. Mais le Bloc promet de ne pas lâcher le morceau. Dans sa présente plateforme électorale, il s’engage à déposer une troisième fois un projet de loi exigeant qu’un candidat à la citoyenneté résidant au Québec connaisse un minimum de français. Ottawa pourrait ainsi avoir l’occasion de démontrer de nouveau sa mauvaise foi quant à la protection et à la promotion du français dans la province.
La ministre Mélanie Joly a poussé la mascarade préélectorale encore plus loin. Lors de sa présentation en février dernier des grandes lignes de sa « réforme » de la politique linguistique canadienne, elle a reconnu que le français était en recul au Québec, comme ailleurs au Canada.
Qui dit réforme dit changement profond, radical. Cependant, parmi les mesures esquissées il n’y avait rien qui risquerait de mettre fin à l’anglicisation du Québec. Ni à l’anglicisation du Canada.
Déposé en juin, juste à temps pour les présentes élections, le projet de loi de Mme Joly « visant l’égalité réelle de l’anglais et du français » ne casse pas en effet la baraque. On ne réforme pas une politique qui, depuis cinquante ans, a si bien servi l’empire.
Le ministre Simon Jolin-Barrette avait d’ailleurs présenté entre-temps son projet de loi 96 sur « la langue officielle et commune du Québec, le français ». Trudeau fils avait fait mine de bien l’accueillir, en se disant disposé à reconnaître que le Québec a le français comme langue officielle. Le projet de loi de Mme Joly reconnaît justement que d’après la Charte de la langue française, le français est la langue officielle du Québec.
Que le français ait ce statut remonte en réalité à la loi 22 de Robert Bourassa. Mais ce qui importe vraiment, dans le contexte électoral actuel, c’est de savoir quel accueil Ottawa fera à la seconde dimension du projet de loi 96, soit au français en tant que langue commune du Québec. À en juger par les réactions négatives au Canada anglais envers le positionnement électoral, somme toute banal, de Trudeau fils sur le français au Québec, le français langue commune ne passera pas comme du beurre dans la poêle.
Quant au reste du Canada, Mme Joly multiplie les mesures cosmétiques. Elle propose, par exemple, de booster la connaissance du français parmi la majorité anglophone en bonifiant l’offre d’enseignement du français par immersion, et de freiner le déclin des minorités francophones en haussant l’immigration d’expression française. Autant prétendre remplir un seau percé. Hors Québec, la connaissance du français parmi les anglophones s’effondre après l’âge scolaire, et les immigrants francophones s’anglicisent aussi vite que les minorités francophones qui les accueillent.
C’est toutefois au beau milieu de l’été que l’empire s’est laissé le mieux deviner. La nomination de Mme Mary Simon au poste de gouverneure générale du Canada a fait voler en éclats l’illusoire « égalité réelle » du français et de l’anglais dont la ministre Joly avait enrobé sa « réforme » de la Loi sur les langues officielles.
Ce n’est pas seulement le fait que Mme Simon ignore totalement le français qui a laissé transparaître la nature véritable du Canada. Dans son discours d’acceptation de sa nomination, l’unique phrase qu’elle a lue – ou, plutôt, tenté de lire – en français en dit bien davantage : « Je prends très au sérieux mon rôle de défenseur de la diversité culturelle et linguistique qui rend le Canada unique. »
J’ai sursauté. Puis j’ai vérifié. Il ne s’agit pas d’une erreur de traduction. L’originale en langue anglaise dit exactement la même chose.
Nous y sommes, donc. Le bilinguisme s’avère soluble dans le multilinguisme. Désormais, ce n’est plus sa dualité linguistique, mais sa diversité linguistique, qui caractérise le Canada.
Voilà un demi-siècle, au terme de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Trudeau père avait d’abord pris soin de noyer le biculturalisme dans le multiculturalisme. Or, langue et culture ne se dissocient guère. Et la dissolution du bi- dans le multi- est maintenant achevée.
Il ne s’agit pas non plus d’un lapsus. Notre gouverneure générale a, pour l’essentiel, répété la même chose dans son discours d’installation, trois semaines plus tard : « At this point in our shared history it is clear that many languages are part of the fabric of our nation, as are the stories of those who have come to Canada in search of a new life. » (Traduisons : À ce stade de notre histoire commune, il est clair que de nombreuses langues font partie de l’essence même de notre pays, tout comme le sont les histoires de ceux qui sont venus au Canada à la recherche d’une vie nouvelle.)
À tout cela, aucun relecteur ni conseiller ne semble avoir trouvé de quoi redire. Aucun journaliste ni commentateur média non plus.
L’empire en marche. En effet.
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