Les éducatrices de CPE ne sont pas Mère Térésa

2021/09/29 | Par Orian Dorais

Les conventions collectives dans la fonction publique-parapublique sont échues depuis un an et demi, pourtant Québec et les grandes centrales syndicales négocient toujours. À ce jour, aucune convention officielle n’a encore été ratifiée, c’est à peine si le gouvernement Legault est parvenu à signer des ententes de principe avec les travailleurs de la Santé et de l’Éducation. Pire, et cela laisse présager une prolongation des négos jusqu’au printemps 2022, certains secteurs ne sont même pas encore arrivés au stade de l’entente de principe. C’est le cas des éducatrices de CPE représentées par la FIPEQ-CSQ et la FSSS-CSN, qui viennent de se voter, dans leurs syndicats respectifs, des mandats de grève de plusieurs jours pour l’automne 2021. Pourquoi les discussions progressent-elles si lentement ? Je m’entretiens à ce propos avec Stéphanie Vachon, représentante du secteur des CPE à la FSSS-CSN.

O. : Mme Vachon, la convention collective des travailleuses des CPE est échue depuis mars 2020. Comment se fait-il que, contrairement à plusieurs autres syndicats de la fonction publique, vous n’ayez même pas encore obtenu d’entente de principe ?

Il faut comprendre que les CPE sont des organismes semi-privés, donc autogérés, mais financés par le gouvernement, qui détermine nos salaires et une partie de nos conditions de travail. Ça veut dire qu’à chaque négociation, le gouvernement nous met un peu sur une voie d’accotement, il nous laisse de côté et se concentre exclusivement sur le secteur public. C’est seulement quand il a réglé avec toute la fonction publique qu’il daigne venir s’assoir à la table avec nous. Ça nous désavantage à chaque fois, on dirait que l’État nous prend moins au sérieux, parce qu’on représente moins d’engagements financiers.

O. : En plus, pour réduire encore plus ses engagements, il essaie d’économiser sur votre dos…

S.V. : Si vous saviez ! D’ailleurs, une raison pourquoi c’est si long cette négo-là, c’est qu’on veut éviter les problèmes qui ont touché les autres syndicats. Dans les ententes de principe qui ont été signées – par exemple avec les préposées et les infirmières – le gouvernement a encore essayé de limiter ses dépenses en ignorant des revendications. Et là, quelques mois après la signature, qu’est-ce qui arrive ? Le gouvernement doit rouvrir les ententes, doit revoir ses promesses à la hausse, parce que ses engagements initiaux sont insuffisants pour retenir le personnel de la Santé, alors que la quatrième vague frappe fort. M. Legault promet maintenant des primes et d’autres avantages aux infirmières. Nous, les éducatrices, on veut régler les problèmes en amont, en ayant une bonne convention maintenant ! Pas une semi-bonne à rouvrir dans une prochaine crise.

O. : Diriez-vous qu’avoir une entente équitable est aussi plus long et difficile pour vous parce que votre profession est majoritairement féminine ?

S.V. : C’est certain qu’il y a un manque de respect pour le rôle d’éducatrice à l’enfance. Le gouvernement semble penser que c’est naturel pour les femmes de s’occuper des enfants et qu’être éducatrice en CPE c’est comme la « vocation naturelle » de plusieurs femmes. Comme si c’était notre devoir et qu’on était toutes des mères Térésa qui vont juste se dévouer sans reconnaissance. Non. Travailler avec la petite enfance, c’est pas une vocation ni une obligation, c’est une profession. Une profession qui, dans le monde de l’éducation, est aussi essentielle que celle d’enseignant de cégep ou d’université. Les éducatrices font trois ans de collégial, elles ont les compétences pour détecter les problèmes de développement dès la pouponnière et elles jouent un rôle essentiel dans l’apprentissage des 0-5 ans.

Pourtant, pendant la pandémie, mes travailleuses n’ont pas eu de primes COVID, pas de statut de travailleuses essentielles, pas de matériel de protection et aucun remerciement officiel du premier ministre. Le pire, c’est qu’elles n’avaient pas de congés maladies payés; donc, si elles contractaient la COVID, elles étaient obligées de se mettre en quarantaine pour éviter d’infecter les enfants… Mais sans compensation financière. Pendant des mois, elles ont été à la disposition des services de garde d’urgence, toujours sur le « call ». Est-ce que c’est des conditions décentes pour des femmes chargées de quelque chose d’aussi fondamental que l’éducation de la jeunesse québécoise ? Je peux te dire qu’aucun milieu majoritairement masculin n’aurait des conditions aussi mauvaises.

O. : Donc la pandémie a empiré vos conditions de travail ?

S.V. : C’est clair. Déjà qu’avant 2020, on voyait un exode de la main-d’œuvre en dehors du réseau à cause du manque de valorisation dont on vient de parler. Les nouvelles prématernelles créées par Legault ont empiré la pénurie de travailleuses parce que les commissions scolaires viennent recruter nos éducatrices, sans vraiment réduire la clientèle. La COVID a fait déborder le vase. Dans le milieu, on assiste à une épidémie de burnouts et de dépressions. Plusieurs employées partent en arrêt de travail et d’autres quittent le milieu pour de bon, à un rythme alarmant. La pénurie est pire que jamais. C’est pour ça qu’il manque des dizaines de milliers de places dans le réseau. La charge de travail dans les CPE, en ce moment, est aussi élevée qu’au plus fort de la pandémie. Les éducatrices doivent encore désinfecter les surfaces, surveiller les symptômes des enfants et maintenir des « groupes-bulles ». C’est excessivement stressant.

O. : Alors comment ramener du monde dans le réseau ?

S.V. : Que le gouvernement écoute nos revendications !  Notre premier enjeu c’est le salaire. On veut que le salaire moyen monte à 28 $/l’heure, et à 30 $/l’heure pour le plus haut échelon. On veut que toutes nos appellations d’emploi soient rehaussées, pas juste pour les éducatrices, mais aussi pour les cuisinières et les préposées d’aide en service de garde. Certaines de mes préposées font moins de 15 $/l’heure ! Même si on les augmentait de 6 %, comme le propose le gouvernement, elles seraient encore en deçà du seuil de pauvreté. Il faut que l’ensemble des travailleuses de la petite enfance vivent convenablement et rattrapent l’inflation. Il faudrait aussi diminuer le coût de l’assurance collective – à laquelle tous les CPE doivent souscrire – qui représente un poids financier supplémentaire pour les éducatrices.

Ça va aussi être impératif de diminuer la charge de travail. Le gouvernement pourrait nous redonner les congés fériés et de maladie et les semaines de vacances qu’il nous a diminués dans les dernières conventions. Il pourrait s’assurer que les gestionnaires des CPE n’harcèlent pas les travailleuses pour qu’elles fassent cinq journées par semaine, au lieu de quatre. Je rappelle que les journées des employées sont habituellement de neuf heures, sans pause. En plus, les gestionnaires veulent faire inscrire une obligation d’être disponible pour cette cinquième journée dans la convention. Un peu comme le temps supplémentaire forcé des infirmières. C’est ridicule, on dirait que nos conditions se dégradent à chaque convention !

Il faudrait aussi augmenter les ressources pour que les CPE puissent engager plus de techniciennes en éducation spécialisée. En ce moment, sur un groupe de huit, il n’est pas rare qu’une éducatrice ait deux ou trois enfants ayant des besoins particuliers. Avec souvent des handicaps ou des troubles d’apprentissage et de comportement majeurs. La subvention actuelle permet d’engager une T.E.S. (technicienne en éducation spécialisée) une heure par jour, par groupe. Les huit heures qui restent, l’éducatrice doit s’arranger avec les enfants à besoins particuliers. Il nous faut des T.E.S qui soient là plus longtemps. Enfin, ce serait utile de diminuer la paperasse que les éducatrices doivent remplir et de leur laisser de l’autonomie dans l’éducation des enfants, sans que des gestionnaires surveillent leurs moindres faits et gestes.

O. : Avez-vous de l’espoir ?

Un peu. Avec la pandémie, les parents se sont rendus compte d’à quel point ils aiment les travailleuses de CPE. La population commence à apprécier notre travail à sa juste valeur. Et les six milliards promis par Ottawa vont faire du bien, si Legault les investit effectivement dans le réseau. Les négociations ne vont pas trop mal, mais il faut que Québec se réveille et ça urge !  Il nous faut une convention avantageuse, surtout pas une loi spéciale. Parce que j’ai plusieurs éducatrices qui risquent de démissionner si leurs espoirs sont déçus. Et là, ce serait grave.

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