Pierre Dubuc
En ce 14 novembre 2020, Luc, Martin, Marilou, Michel et Manon distribuent des bulletins de vote aux membres de leur syndicat par la fenêtre de leur voiture. Ces derniers étaient convoqués à une assemblée publique dans un ciné-parc temporaire installé sur l’emplacement du projet Royalmount. À ce moment à cause de la pandémie, il n’y avait aucune possibilité de se réunir, il ont eu cette idée géniale de les rassembler dans un ciné-parc où leur était présenté sur écran géant une vidéo expliquant l’état des négociations avec l’employeur. Pas moins de 2846 ont répondu à l’appel ! Le décompte des bulletins recueillis à la sortie indiquait que 97,2% d’entre eux donnait le mandat à leur exécutif d’exercer des moyens de pression, pouvant aller jusqu’à la grève générale illimitée, pour le renouvellement de leur convention collective échue depuis trois ans.
« Nous nous sommes écriés : le 301 est de retour ! », de déclarer le président Luc Bisson, rencontré dans les bureaux du Syndicat en compagnie des quatre autres membres de son comité de direction. « Ce jour-là on a reconstruit le syndicat ».
Tout change alors à la table de négos. Le rapport de forces est inversé. Menées sous l’égide d’un médiateur, les négos débouchent rapidement sur une entente où le syndicat enregistre des gains importants. Nous y reviendrons.
La tutelle
Parler de la renaissance du syndicat est pertinent, parce qu’il avait été placé sous tutelle par la fédération auquel il appartient – le Syndicat de la fonction publique du Canada – par suite de turbulences internes qui ont à l’époque défrayées la manchette des médias. Au cours de cette tutelle, qui a duré 40 mois, le SCFP a proposé lors d’une assemblée des modifications aux statuts qui furent rejetées par les membres – avant qu’une nouvelle proposition élaborée par un comité à l’interne soit adoptée.
Ces nouveaux statuts ont permis l’élection de Luc, Martin, Marilou, Michel et Manon. Selon le président Luc Brisson, « le point névralgique est la définition rigoureuse du rôle de chacun des cinq dirigeants avec, entre autres, la création de deux vice-présidences, une aux relations de travail et l’autre aux services aux membres », occupées respectivement par Martin Forest et Marilou Lamoureux.
Le Syndicat n’a pas fait table rase avec le passé. Martin Forest et le secrétaire-trésorier Michel Jeannotte faisaient partie de l’équipe d’avant la tutelle. Michel est retourné pendant trois ans dans son milieu de travail. « Cela m’a permis de reprendre contact avec la base, de réfléchir sur nos pratiques passées et de voir la nécessité de rebâtir la communication avec les membres. » Martin abonde dans le même sens : « Il était nécessaire de mettre fin aux luttes et aux tensions internes. »
Les deux saluent la décision d’avoir opérer une répartition plus équitable des ressources en redirigeant vers les douze directeurs une partie des salaires alloués auparavant aux membres de la direction. « Priorité aux membres, au collectif ! », proclame Michel. Propos confirmé par Martin : « Il n’y a jamais eu autant de candidats pour les différents postes sur les comités. C’est plus démocratique, plus transparent. » Manon Danis, la secrétaire-archiviste acquiesce : « J’ai été pendant onze ans au programme d’aide aux employés. Être à l’écoute des membres, c’est la raison d’être du syndicat. »
C’est avec un grand soulagement qu’au 78e jour de son mandat, le nouvel exécutif a accueilli la fin de la tutelle. « Même si on était élu, on ne pouvait pas engager une dépense sans en référer au tuteur », précise Michel. « Nous étions en position de faiblesse face à l’employeur. Avec la tutelle, on survivait », ajoute Luc.
Des gains appréciables
Le plancher d’emplois est un enjeu fondamental pour les cols bleus. Il est un rempart face à la privatisation. « En 2015-2016, l’administration Coderre-Marcoux nous avait supprimé 405 emplois. Dans la nouvelle entente, le plancher d’emplois est passé de 3804 à 4450. Un gain de plus de 600 emplois ! », s’enthousiasme Luc, tout en se félicitant d’avoir obtenu la possibilité d’une mobilité d’emploi à la grandeur de la ville pour les syndiqués, auxiliaires inclus. Auparavant, l’ancienneté se calculait par arrondissement. Un employé d’un arrondissement embauché en 2010 avait priorité sur un employé d’un autre arrondissement engagé en 2000.
Le syndicat compte aussi s’attaquer au fait que la convention collective centrale ne s’applique pas à 17 points de négociations (congés, temps supplémentaire, vacances annuelles, etc.), lesquels sont régis par les 19 arrondissements. Actuellement le syndicat est en processus de négociation dans chacun des arrondissements concernant les 17 points comme le précise la Charte.
« C’était un cadeau du maire Gérald Tremblay aux municipalités fusionnées pour les empêcher de défusionner », rappelle Luc Bisson, qui ne manque pas de souligner que « la ville de Toronto a un maire et 25 conseillers pour une population de 6,4 millions d’habitants, alors que Montréal a une mairesse, 18 maires d’arrondissements et 103 élus pour 1,8 million d’habitants ».
Implication sociale
Historiquement, le Syndicat a toujours été reconnu pour son implication sociale. En 1995, c’est un jeune délégué syndical du 301 qui, posté à l’usine de production d’eau potable à Verdun, avait alerté le syndicat sur un projet de privatisation de l’eau, après avoir intercepté une conversation entre des représentants d’une multinationale française et une firme de génie québécoise. Il s’en était suivi la mise sur pied d’une vaste coalition montréalaise contre la privatisation de l’eau, qui avait donné naissance à la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau – Eau Secours !
Aujourd’hui, Martin nous assure que « les causes sociales vont demeurer une priorité. C’est dans l’ADN des cols bleus. À chaque année, on distribue 350 paniers de Noël ».
La place des femmes et des minorités
Marilou Lamoureux, la vice-présidente des services aux membres, affirme prendre très au sérieux le Rapport d’enquête de M. Angelo Soares sur le racisme à l’encontre des cols bleus de l’arrondissement Montréal Nord. Le syndicat s’est formellement engagé à mettre en œuvre les trois recommandations le concernant : davantage d’énergie à la formation des membres de la structure, surveillance de l’application de la convention collective et diffusion de l’information permettant une meilleure défense de leurs droits.
Pour y parvenir, le Syndicat peut s’inspirer de son combat pour l’intégration des femmes dans un milieu d’emplois traditionnellement masculins. En 1980, il n’y avait que 50 femmes cols bleus. Aujourd’hui, elles constituent 20 % du membership.
Le syndicat a joué un rôle exemplaire dans cette avancée. Il s’est attaqué à des obstacles comme l’absence de vestiaires et de toilettes pour les femmes ; les bottines et les gants inadaptés; le réaménagement de lieux et de postes de travail conçus pour des hommes.
Il s’est aussi employé à transformer les mentalités (quolibets, harcèlement, incapacité présumée d’effectuer une tâche). Pour y parvenir, il s’est assuré que les femmes soient intégrées en groupe en s’assurant qu’elles allaient représenter au moins 20 % des effectifs de l’équipe de travail.
L’exécutif de l’époque a aussi adopté une déclaration de principe, affichée dans tous les lieux de travail, et il a mis sur pied le premier comité de la condition féminine au Québec. Des sessions de formation ont été instaurées et, quand des problèmes se sont présentés, les membres fautifs ont été convoqués au bureau du syndicat pour les conscientiser et leur dire que la transgression des règles établies mettait leur emploi en jeu et que leur cause serait indéfendable par le syndicat.
Aujourd’hui, Luc Bisson attire notre attention sur le fait que les femmes sont bien représentées dans instances avec 4 représentantes sur les 17 membres à l’exécutif et deux sur cinq à la direction du syndicat. On peut être assuré que le Syndicat mettra la même ardeur à combattre le racisme qu’il en a mis à lutter contre le sexisme.
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