Dé-réhabilitons Duplessis

2021/10/06 | Par Jean-François Lisée

Duplessis avait beaucoup de défauts, a dit François Legault, mais il « défendait la nation québécoise ». Son jugement, le mien et le vôtre, sont probablement brouillés par l’interprétation sympathique qu’en a fait Jean Lapointe dans la remarquable série présentée en 1978. Trop sympathique.

Peut-on trouver, dans le règne de Duplessis, des réalisations nationalistes ? Oui. Un drapeau. Un impôt provincial. C’est à peu près tout. En 18 ans, c’est lamentablement peu. Y-a-t-il eu, pendant ses années, du développement économique ? Oui. Il vendait aux multinationales étrangères les ressources naturelles au prix le plus bas possible et garantissait une répression brutale des syndicats. Sa police provinciale était ni plus ni moins le bras armé de la violence patronale. Résultat : les salaires étaient les plus faibles du continent. Et si un Archevêque avait l’outrecuidance de prendre parti pour des exploités, comme Mgr Charbonneau lors de la grève de l’amiante, le bras de Duplessis était assez long pour le faire muter ailleurs par le Pape. On dirait aujourd’hui qu’il l’a cancellé, déplateformé.

Y avait-il, pendant ses années de règne, de l’urbanisation ? Oui, mais c’était malgré lui. Jusqu’au bout, il chanta les louanges du Québec agricole et de la colonisation, dénonça les vices de la ville. Y-a-t-il eu une hausse du niveau de scolarité ? Oui, et beaucoup de nouvelles écoles. Reste qu’au moment de ce grand bond continental de la scolarisation, à la fin de son règne, les Québécois francophones avaient un niveau d’éducation moindre que celui des noirs américains de l’époque, alors victime de ségrégation généralisée.  Le verdict de René Lévesque sur Duplessis en éducation était sans appel : « mépris généralisé pour l’éducation, dégradation des enseignants, abêtissement collectif électoralement rentable, trahison quasi universelle des élites ».

Le plus grand exploit de Duplessis fut le plus antinationaliste de tous : retarder de 25 ans la révolution tranquille. Contre le gouvernement libéral corrompu d’Alexandre Taschereau, il avait conclu en 1936 une alliance avec les réformateurs de l’Action libérale nationale. Leur programme commun annonçait un grand train de réforme: nationalisation de l’électricité, bonification des programmes sociaux, lutte aux trusts, aide au développement de la petite et de la moyenne industrie, lutte contre la corruption gouvernementale et assainissement des moeurs électorales. Une fois au pouvoir, Duplessis renia ses alliés, rejeta leur programme et gouverna en autocrate. L’Union nationale eut d’ailleurs des assemblées, mais jamais de congrès, fondateur ou autre. Aucune résolution, aucun programme ne fut jamais discuté par ses membres ou ses délégués. C’était l’affaire du chef et de personne d’autre.

L’ampleur de son contrôle sur les affaires québécoises est simplement inimaginable. Il décidait personnellement du salaire des fonctionnaires et dressait la liste noire des personnes qui ne devaient être embauchés ni par l’État ou ni par les institutions scolaires. Le trafic d’influence était la règle, pas l’exception. Aucune subvention n’était statutaire. Aucune ne découlait d’un texte de loi ou d’un règlement. Toutes relevaient de l’arbitaire et du bon plaisir partisan.

Pour voler les élections, il achetait les votes à coup de paires de souliers, de frigidaires, de paiements comptant, de caisses de bières ou de 40 onces. Lors de luttes serrées, il usait de fiers à bras et faisait purement et simplement bourrer les urnes de bulletins de vote favorables à son parti. Plusieurs invoquent pour sa défense le fait qu’il ait gagné plusieurs élections. Mais les a-t-il vraiment gagnées ou ne les a-t-il pas plus simplement volées ? Dans une loi, en 1953, pour se faciliter la tâche, il exclua les représentants de l’opposition des bureaux de scrutin.

Les plaques minéralogiques allant de 1 à 2000 étaient réservées aux favoris de l’Union nationale. Les policiers savaient qu’il ne fallait pas leur donner de contravention. Il fit cependant voter le « Bill Picard » pour retirer au chef syndical Gérard Picard son permis de conduire.

Duplessis, c’était le maccarthisme au cube. Avec sa Loi du cadenas, votée dès son arrivée au pouvoir, Duplessis se donnait le droit de déclarer communiste toute organisation qu’il jugeait suspecte, de cadenasser leurs locaux – y compris leurs logements – et de les mettre à l’ombre pour quelques mois. Cette loi, comme celle visant les témoins de Jéhovahs, coupables de n’être pas des catholique, fut jugée anticonstitutionnelle. Il présentait tous ses adversaires comme des communistes. L’accusation portait au point que des sœurs pleines de bienveillance annonçaient faire des neuvaines pour le salut de l’âme du chef libéral Paul-Émile Lapalme, coupable entre autres de proposer une forme d’assurance maladie. Pas nécessaire, répétait Duplessis, « la meilleure assurance contre la maladie, c’est la santé ! »

Alors qu’a fait Duplessis, au juste, pour la nation ? Quand les autres États d’Amérique du nord construisaient des fonctions publiques professionnelles, ouvraient des universités, socialisaient la médecine, nationalisaient leur hydro électricité, légiféraient contre les accidents de travail, Duplessis faisait sentir sa chape de plomb sur tous ceux qui, au Québec, voulaient emprunter les chemins de la modernité. Un de ses combats fut de s’opposer à ce qu’Ottawa finance les quelques universités québécoises. C’eut été noble s’il avait proposé de les financer lui-même. Mais il s’y refusait. Pour lui, les intellectuels étaient des « joueurs de piano » dont il fallait se méfier. Duplessis se vanta un jour n’avoir jamais lu un livre depuis sa sortie du collège.

Ses initiatives n’inclurent jamais la moindre promotion culturelle, la moindre promotion de l’entrepreneuriat francophone, la moindre défense du droit de travailler en français dans les usines. Dans l’après-guerre, l’Ontario subventionnait la venue d’immigrants britanniques. Duplessis refusait les appels pressants (notamment du Devoir) à faire de même pour les immigrants de France. Pour lui les Français avaient tourné le dos à notre sainte mère l’Église et lisaient des livres à l’index. D’ailleurs, il jugeait que les Canadiens français étaient, répétait-t-il, des « Francais améliorés ». Alors on allait pas nuire à cette pureté en important des Francais de France qui n’étaient pas aussi purs que nous.

N’allez pas croire que Duplessis était à la botte de l’Église. C’était le contraire. Il se vantait que les évêques mangeaient dans sa main. Un jour qu’une déclaration cléricale lui avait déplu, il déchira devant le cardinal Léger de Montréal le chèque de 100 000$ (une somme énorme) qui devait financer l’hopital Hôtel-Dieu de Montréal en déclarant : « voilà ce que votre conduite aura rapporté ».

A quoi tenait son mantra autonomiste ? Lapalme, qui a dû écouter des centaines d’heures de ses discours à l’assemblée, se l’est demandé. Il écrit : « autonomie électorale, autonomie négative, autonomie verbale, autonomie saugrenue, autonomie de remplissage, autonomie du néant. Mais y a-t-il quelqu’un qui ait mieux doré l’autonomie que lui ? Quand il évoquait la menace de financement fédéral comme « le crucifiement de la province sur une croix d’or », il surélevait le plateau des offrandes autonomiste de façon à ce qu’on ne vit pas qu’il ne contenait rien. » René Lévesque écrit que l’autonomie de Duplessis était la « ligne Maginot derrière laquelle rien ne devait trop changer ». Prononça-t-il le mot « Émancipation ? Jamais, car si peu que ce fut, ça pourrait donner des idées », ajoute Lévesque. « On sentait partout, écrit-il encore, un besoin de changement que lui, couvercle rigide sur une bouilloire en ébullition, étouffait et de toutes ses forces empêchait même de s’exprimer. »

L’alors syndicaliste et journaliste Gérard Pelletier, dans ses mémoires Les années d’impatience, résume bien l’œuvre du Chef : « Aujourd’hui plus que jamais il importe de nous remémorer qu’au nom du nationalisme et de la religion, Duplessis nous a imposé pendant 20 ans le règne du mensonge, de l’injustice et de la corruption, l’abus systématique de L’autorité, l’empire de la mesquinerie et le triomphe de la bêtise. Il faut nous souvenir que cet homme et son régime ont retardé d’un quart de siècle l’entrée du Québec dans le monde moderne. »

C’est pourquoi invoquer aujourd’hui positivement l’héritage de Maurice Duplessis, c’est défendre l’indéfendable, fréquenter l’infréquentable. S’il défendait la nation, ce n’était que d’une façon. Il lui défendait de grandir, de déployer ses talents, de s’épanouir. Il lui défendait d’être moderne et d’être, dans tous les sens du terme, libre.

Tiré du blogue de Jean-François Lisée.

 

 

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