Pénurie de main-d’œuvre? Ne comptez pas sur le système d’immigration au Québec

2021/10/27 | Par Anne Michèle Meggs

Chaque fois qu’on voit un reportage sur la pénurie de main-d’œuvre, peu importe le secteur, une des solutions inévitablement proposées est l’immigration.

Un exemple récent se trouve dans deux articles du Devoir sur les infirmières. Le premier raconte que plusieurs infirmières à l’étranger sont prêtes à venir travailler au Québec, mais que l’offre des agences n’avance pas. Quelques jours plus tard, un deuxième article détaille tous les obstacles liés à l’arrivée et à l’insertion en emploi des infirmières étrangères.

Cet exemple se prête bien à une analyse de la thèse erronée que l’immigration peut résoudre le problème de pénurie de main-d’œuvre. Il s’agit de postes permanents vacants actuellement dans un domaine d’occupation réglementé, c’est-à-dire géré par un ordre professionnel.

L’immigration ne sera jamais une solution pour pourvoir rapidement des postes permanents vacants. L’immigration temporaire peut parfois, à certaines conditions, servir à pourvoir des postes vacants dans des cas prévisibles dans un secteur particulier pour une période définie, par exemple le travail agricole saisonnier.

Il est pourtant nettement préférable pour tout le monde concerné -- la personne immigrante, l’employeur, la communauté d’accueil -- que les postes permanents vacants soient pourvus par l’immigration permanente. Un permis de travail temporaire crée une situation de précarité et de vulnérabilité pour les personnes qui les détiennent. Il est un fardeau administratif sans fin pour les employeurs et les travailleuses et travailleurs touchés. Il est aussi moins attractif, en particulier pour les personnes hautement qualifiées, comme dans les cas des infirmières qui font l’objet de campagne de recrutement par de nombreux pays industrialisés aux prises avec les mêmes problèmes que le Québec.
 

Le hic dans l’immigration permanente

Pourquoi l’immigration permanente ne se prête-t-elle pas à pourvoir les postes à court terme? Pour au moins trois raisons. D’abord, parce que l’immigration permanente au Québec est assujettie à des contrôles de deux gouvernements. Il y a des contrôles administratifs et un contrôle du volume total des personnes qui seront admises. Des contrôles administratifs sont appliqués à chaque demande pour valider que la travailleuse ou le travailleur satisfait les critères d’admission. Cette étape relève du gouvernement du Québec. Si le dossier ne pose pas de problèmes, le processus ne devrait pas dépasser neuf ou dix mois et donne lieu à un certificat de sélection du Québec (CSQ) pour la personne et, s’il y a lieu, pour les membres de sa famille immédiate qui l’accompagnent.

Ensuite, le gouvernement fédéral procède aux vérifications de sécurité et de santé et accorde le visa de résidence permanente permettant aux personnes de venir s’établir au Canada. Il est difficile de savoir exactement le temps requis par le gouvernement canadien pour faire ces vérifications, mais nous revenons plus loin sur l’effet du contrôle des volumes sur les délais de délivrance de la résidence permanente.

Deuxièmement, si les pénuries se trouvent dans les professions ou métiers réglementés, il y a une étape supplémentaire de vérification, et parfois de mise à niveau exigée, avant que la personne puisse travailler pleinement dans son domaine. Il ne faut pas non plus oublier la démonstration des compétences en français pour exercer la profession.

Troisièmement, un déménagement permanent international est un projet coûteux, qui exige beaucoup de sacrifices et de planification, surtout s’il s’agit de déplacer toute une famille.

Chacun de ces facteurs est incontournable et prend du temps.

Il est donc clair que, si tout se passait comme il devrait, le système d’immigration permanente permettrait d’accueillir les personnes, avec les formations et expériences dont on prévoit avoir besoin, dans un délai maximal de 12 à 18 mois. Des campagnes ciblées de recrutement pourraient inciter des déclarations d’intérêt des personnes avec les caractéristiques recherchées et l’algorithme permettrait de les déceler pour pouvoir prioriser l’invitation à en faire une demande.

Mais le hic dans le système d’immigration permanente au Québec est que, pendant des années, le gouvernement du Québec a émis beaucoup plus de CSQ qu’il fallait pour atteindre les volumes d’admissions planifiés. Le résultat : il y a des dizaines de milliers de personnes sélectionnées par le Québec en attente de leur visa de résidence permanente parce que le gouvernement fédéral, en tout respect pour les volumes que le Québec s’est fixés ralentit la délivrance des visas.

Il est vrai que la pandémie et certaines décisions du gouvernement fédéral, comme l’ajout de nouveaux programmes spéciaux, ont également ralenti le délai de traitement des dossiers, mais le problème des inventaires de CSQ en attente précède 2020. La baisse de 20 % des seuils en 2019 par le gouvernement québécois a également freiné la délivrance de visas de résidence permanente.
 

L’immigration temporaire, une solution de rechange malavisée

Avec un tel blocage dans le système d’immigration, les employeurs se tournent vers l’immigration temporaire pour pourvoir les postes qui sont, en fait, permanents. Et le ministère, conscient des obstacles dans le système, les encourage en offrant comme carotte un passage éventuel vers la résidence permanente pour la personne embauchée par le Programme d’expérience québécoise. Il est en train de pelleter le problème en avant.

De plus, les employeurs se plaignent que le processus d’immigration temporaire est lui aussi trop long et compliqué et toujours à recommencer. Dans le cas du Programme de travailleurs étrangers temporaires, les deux gouvernements -- québécois et canadien -- exigent des formulaires, des tarifs, des justifications et de la documentation. Le résultat est un permis valide généralement pour un maximum de deux ans.

Bref, dans les cas des infirmières, les délais à partir du moment où on commence à recruter et l’arrivée des infirmières sur le plancher se comptent en années.
 

La solution :  une politique québécoise cohérente

Quelles sont les solutions? C’est sûr que les démarches nécessaires pour travailler dans un autre pays sont complexes. Ça prend plus qu’un billet d’avion et une offre d’emploi. Tous les pays ont mis en place des mécanismes pour contrôler l’immigration de différentes manières et pour différentes raisons. Cela étant dit, quand deux gouvernements dans un même pays appliquent des conditions et critères liés à l’arrivée des personnes de l’étranger, il est inévitable que les délais bureaucratiques s’allongent.

Le Québec a besoin d’une politique d’immigration cohérente, qui prévoit les circonstances liées à des séjours temporaires et les distingue de celles liées à l’immigration permanente. La Constitution canadienne de 1867 stipule que les provinces peuvent légiférer en matière d’immigration, et l’Accord Canada-Québec a donné au ministère de l’Immigration du Québec le droit de consentir ou non à l’admission des étudiantes et étudiants étrangers et des travailleuses et travailleurs temporaires. Actuellement, le Québec n’exerce pas la marge de manœuvre qui lui revient en matière d’immigration temporaire.

Cette situation est grave parce que le fédéral délivre des permis de séjour temporaire sans aucune planification et le Québec n’a pas de dossier complet sur la majorité de ces personnes. De plus, l’information du fédéral sur l’immigration temporaire est souvent déficiente.

Il y avait au Québec, le 31 décembre 2019, 56 000 personnes détenant un permis de travail grâce au Programme de mobilité internationale. Mais, selon les données publiées par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), sous le titre « Catégorie professionnelle », dans le cas des deux tiers (67 %) de ces personnes, on peut lire dans le tableau : « a l'intention de se joindre au marché du travail ». Avec des dossiers incomplets et dispersés entre les deux gouvernements et plusieurs ministères, il est impossible de jumeler ces quelque 37 500 personnes avec des postes vacants! La même situation se présente à l’égard des demandeurs d’asile au Québec en attente d’une décision de leur dossier.

Avec un système d’immigration dans un tel désarroi, le gouvernement devra compter sur d’autres solutions pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre.

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